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Italie / Viticulture

[Reportage] Italie: la renaissance du vignoble sicilien

En 2015, une bouteille de vin sur cinq vendue dans le monde est italienne. Le pays est même désormais le premier exportateur devant la France et l’Espagne, selon l’Organisation internationale du vin (OIV). Une réussite de la politique agricole européenne qui souligne l’évolution de la qualité des produits, soumis à des contrôles plus stricts. L’Italie est ainsi le premier pays en Europe pour le nombre de ses vins classés, selon la Confédération européenne de cultivateurs (Coldiretti). RFI est allée en Sicile, le plus grand vignoble du pays, là où toute une génération de vignerons se bat au quotidien pour produire des vins d’une qualité remarquable, renouant avec une histoire millénaire.

En Sicile, se trouve le plus grand vignoble italien et l'un des plus diversifié qui soit.
En Sicile, se trouve le plus grand vignoble italien et l'un des plus diversifié qui soit. Photo: Marc Verney / RFI
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Non loin du village de Camporeale, à une bonne heure de route de Palerme, le vigneron Francesco Spadafora nous reçoit sur la terrasse de son domaine, qui surplombe un doux paysage de collines plantées de vignes et d’oliviers. « Ici, la terre est travaillée depuis 2000 ans, dit-il, on a même trouvé d’anciennes pièces romaines dans les champs, alors j’aborde mon sujet avec grande humilité ». C’est que l’île et ses vins ont une histoire multiple, raconte le guide-conférencier et spécialiste de l’histoire de la Sicile, Jean-Paul Barreaud : « Tour à tour conquise par les Phéniciens, les Grecs, les Arabes, les Normands, les Angevins et les Espagnols, la Sicile est un concentré d’histoire méditerranéenne. C’est même l’une des terres à l’origine du vin car ce sont les Phéniciens, avec les Grecs, qui y inventent la vinification entre le Xe et le VIIIe siècles avant notre ère… ». Et, sur les nombreux sites archéologiques de l’île, on y a retrouvé, indique-t-il encore, des zones de foulage des grappes qui mènent à des citernes de stockage.

« Il faut savoir, précise aussi Jean-Paul Barreaud, que l’on a trouvé dans le port de Marseille des amphores qui portaient le cartouche du producteur du vin d’Alcamo, ainsi exporté dans la Gaule narbonnaise ». De même, un très ancien cépage local est cité dans L’Odyssée d’Homère. Puis Rome poursuit la culture des vignobles, transformant ses légionnaires vétérans en agriculteurs, habile façon d’implanter durablement la culture romaine dans l’Empire et d’assouvir les besoins alimentaires toujours plus grands des populations et des armées en opération… Les Byzantins et les musulmans cultivent eux aussi la vigne. On doit notamment à ces derniers l'excellent zibibbo (« raisin doré » en arabe) dit aussi muscat d'Alexandrie. Cependant, pour Jean-Paul Barreaud, le deuxième grand moment dans l’histoire des vins siciliens remonte au XVIIIe siècle avec l’arrivée des industriels anglais : « Ceux-ci viennent investir dans les mines de soufre (qui aide à la lutte contre un champignon responsable d’une maladie des vignes, l’oïdium, ndlr), et ils découvrent dans la région de Marsala, un vin d’assemblage extraordinairement souple qu’ils vont bonifier dans des fûts de chêne et embouteiller à Londres après ajout d’alcool ». Ainsi naît le célèbre marsala, vin muté issu d'une exposition au soleil identique à celle utilisée pour le xérès en Espagne ! La troisième période est moins faste. Durant une grande partie du XXe siècle, la Sicile produit de grandes quantités de raisins, dont la majeure partie est exportée pour être ajoutée à du vin fabriqué dans d’autres contrées.

La noblesse de la terre… en bio !

Francesco Spadafora: «Je voulais sortir de la logique de productivité qui prévalait jusqu’à mon père».
Francesco Spadafora: «Je voulais sortir de la logique de productivité qui prévalait jusqu’à mon père». Photo: Marc Verney / RFI

Aujourd’hui en 2016, la spécialisation de la Sicile dans le vin en vrac est bien révolue. Grâce à une climatologie favorable, les vignerons peuvent compter sur les vents secs et chauds venus du Sahara qui limitent fortement l’irruption des maladies liées à l’humidité, favorisant l’essor de la culture bio qui représente à présent 20% du vignoble. Francesco Spadafora est l’un de ceux-ci. Avec des ancêtres anoblis au XIIIe siècle par un descendant de l’empereur Frédéric Barberousse, l’homme sait pourtant garder les mains dans la terre afin de produire des blancs et rouges souples et racés à partir de cépages locaux et « internationaux » sur la centaine d’hectares de son Azienda Agricola Virzi. « Ma première bouteille date de 1993, explique-t-il, dans un élégant français, car je voulais sortir de la logique de productivité qui prévalait jusqu’à mon père, qui vendait son raisin au poids à de grandes coopératives… Maintenant, mon rendement est tout autre et la qualité de mon vin ne cesse de s’améliorer ».

Ici, le raisin pousse à une altitude comprise entre 200 et 400 m. La température varie de 10° à 15° entre le jour et la nuit, et les vendanges se déroulent du mois d’août au mois d’octobre. Francesco Spadafora réalise une quinzaine de crus dont un Don Pietro rouge, hommage à son père, assemblage de nero d'Avola, de cabernet sauvignon et de merlot au bouquet riche et fruité. Mais, esprit de famille oblige, il a également baptisé du nom de sa fille un vin mousseux frais et lumineux, l’Enrica Spadafora, fabriqué en monocépage grillo. Sa philosophie est simple : « Notre expérience, par rapport au travail de la vigne en France, est plus faible. Donc on doit beaucoup travailler. Le choix de me lancer dans le bio m’a paru évident ». Spécificité sicilienne, il faut se protéger du soleil : « Ici, il faut faire attention à la luminosité. Mes vignes font environ 1,80 m de haut avec un feuillage touffu, protecteur, qui, de plus, donne de l’oxygène au raisin ».

Du sel, du soleil et du vin

Marilena Barbera: «On respecte la personnalité de chacun de nos vins».
Marilena Barbera: «On respecte la personnalité de chacun de nos vins». Photo: Marc Verney / RFI

Plus au sud de l’île, nous voici à côté de Menfi, face à l’Afrique, qui n’est qu’à 140 kilomètres en traversant le canal de Sicile. Là, les terres prennent de la couleur avec le sable rouge saharien amené au-delà des eaux méditerranéennes par le redoutable vent sirocco. Marilena Barbera dirige avec une tranquille énergie la Cantina Barbera, 15 hectares de vignobles situés sur la plaine de bord de mer qui produisent 75 000 bouteilles par an, commercialisées dans une quinzaine de pays. « On respecte la personnalité de chacun de nos vins », lance immédiatement la jeune femme au regard vif et pénétrant. Comme de nombreux vignerons siciliens, elle s’est émancipée du modèle parental pour produire elle-même ses vins : « J’ai pris la décision de produire en bio dès 2006, après le décès de mon père. J’ai voulu appliquer mes propres idées et me rapprocher de mes goûts personnels en matière de vin ; du coup, il m’a fallu briser les habitudes des gens avec qui je travaillais ». Jusqu’à 2012, Marilena Barbera travaille donc en mode bio sans avoir la certification. C’est là, que, satisfaite du résultat obtenu, elle continue par la suite dans cette direction. « Quand on fait du bio, il faut complètement revoir son rapport au terroir, affirme-t-elle. Dans un processus traditionnel, le sol n’est qu’un support ; dans le bio, c’est la terre qui est la nourriture du fruit et la feuille qui apporte son oxygène ».

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Afin de respecter le cahier des charges, le désherbage chimique est totalement banni, les plantes sauvages entrent dans le processus d’enrichissement du terrain, l’air salin facilite la lutte contre les maladies de la vigne, contre les champignons notamment ; mais, pour Marilena Barbera, « il faut aussi donner à la plante les moyens de se défendre toute seule, en particulier par une taille judicieuse au bon moment ». « Contre les nuisibles, nous cumulons protection physique du pied par des barrières plastiques et maintien d’un feuillage protecteur ». Pour la volubile vigneronne de Menfi, le travail biologique est le signe d’un retour aux sources : « Dans le passé, la recherche de la productivité à outrance a fait oublier cette sagesse. Et en Sicile précisément, l’introduction de cépages " internationaux " qui ne sont pas liés à notre terroir n’a pas été si positive, hormis le fait que cela a permis d’attirer l’attention sur nos vignobles. Ici, le chardonnay est poussé au-delà de ses limites climatiques, et c’est sans doute pour cela que l’on a beaucoup utilisé de produits chimiques plutôt que de penser à acclimater la plante ». Dans sa production de treize crus où chaque parcelle a son identité, nous avons tout particulièrement repéré le Dietro le Case, un blanc à base de cépage inzolia sur des vignes âgées d’une quarantaine d’années donnant un vin au bouquet riche et complexe.

Luxe, calme… et volupté à la sicilienne

Une partie de l'équipe Tasca d'Almerita, avec de g. à dr. : Fabio Tornatore, directeur administratif, Adriana Falsone, chargée de communication, Laura Orsi, oenologue, Gaetano Macarone, directeur technique et l'un des responsables de la boutique.
Une partie de l'équipe Tasca d'Almerita, avec de g. à dr. : Fabio Tornatore, directeur administratif, Adriana Falsone, chargée de communication, Laura Orsi, oenologue, Gaetano Macarone, directeur technique et l'un des responsables de la boutique. Photo: Marc Verney / RFI

Au centre de l’île, non loin de la route Palerme-Agrigente, vers Villalunga-Pratameno, le domaine Tasca d’Almerita nous offre ses 350 hectares de vignobles (dont certains âgés de 70 ans) plantés de 400 à 800 m d’altitude. Les parcelles sont étagées autour d’une propriété dominant tous les environs, offrant à notre regard la beauté austère de paysages battus par les vents en hiver et écrasés de soleil cru en été. L’entreprise agricole familiale, possédée par une noblesse remontant à l’ère espagnole, date de 1830. Changement radical de perspective ici : au total, ce sont désormais 3,3 millions de bouteilles qui sortent chaque année des installations ultramodernes jouxtant de magnifiques bâtiments anciens, où l’on trouve aussi quelques chambres, offrant un hébergement de luxe. La réforme agraire italienne de 1951 – qui redistribue les terres - est à l’origine de l’actuel domaine de 500 ha de blé, d’oliviers et de vignes. Au départ, nous dit Adriana Falsone, chargée de la communication, « le fondateur du vignoble, Giuseppe Tasca d’Almerita, a planté les vignes dans un objectif convivial, pour sa famille et ses amis »… Aujourd’hui, les nombreux vins produits par la société proviennent aussi de toute l’île. Ainsi, vers Palerme, sur le domaine Sallier de la Tour, réalise-t-on La Monacale, un vin très remarqué, à partir de cépage syrah. L’entreprise Tasca d’Almerita, ne parle pas de bio, mais de « modèle durable », précise l’œnologue du domaine, Laura Orsi, qui explique la philosophie à l’œuvre dans l’entreprise : « Si nous n’avons pas choisi de produire en bio, c’est parce que nous avons fait le choix de gérer globalement le travail sur l’environnement. Cela va du labeur de l’ouvrier au transport de nos produits jusqu’au traitement adéquat des vignes. Notre contrôle est total et millimétré, et va souvent au-delà des critères du bio ».

Des vins portant la marque du territoire, voilà une démarche qui prend peu à peu corps en Sicile, notamment dans la région de l’Etna. Chez Tasca d’Almerita, le design des bouteilles lui-même, se veut lié au « climat » spécifique du lieu : Adriana Falsone évoque ainsi un vin blanc d’assemblage réalisé par l’ancêtre Giuseppe, composé de cépages locaux cataratto, grecanico, inzolia et de chardonnay (5% à 10%), qui est embouteillé dans les fameuses « flûtes rhénanes » symbolisant l’élégance du cru. Dans la gamme des vins rouges, prévalent aussi les vins d’assemblage, comme le Rosso del Conte, vin de garde inventé dans les années 1970, et majoritairement composé de nero d’Avola avec une légère addition de perricone. Chez Tasca, les vins sont assemblés après avoir été réalisés comme des monocépages. Toujours dans les années 1970, Lucio, le fils de Giuseppe introduit, surmontant l’avis paternel, les « variétés internationales », telles que le cabernet et le chardonnay. Preuve du grand professionnalisme de l’entreprise : la visite se conclut dans un petit magasin où l’on peut acheter vins, produits locaux et… produits dérivés !

Là où l’on associe vin et sons…

Alessandra Pagliaro (g.), chargée de communication à l'Abbazia Santa Anastasia et Giuseppe Campisi, ingénieur agronome du domaine: «Notre ambition est de produire 500 000 bouteilles en 2020».
Alessandra Pagliaro (g.), chargée de communication à l'Abbazia Santa Anastasia et Giuseppe Campisi, ingénieur agronome du domaine: «Notre ambition est de produire 500 000 bouteilles en 2020». Photo: Marc Verney / RFI

Notre dernière étape en Sicile nous emmène sur les rivages nord de l’île, aux approches du massif boisé et tourmenté des Madonies, en amont du port typique de Cefalù. On y découvre un territoire sauvage et préservé, empli d’histoire, où l’on rencontre de nombreux édifices religieux, monastères, ermitages et églises rupestres, souvent isolés en haut des monts et collines. C’est le cas du domaine de l’Abbazia Santa Anastasia (un ancien monastère du XIIe siècle), perché au-dessus de son vignoble de 66 ha, planté en variétés autochtones et « internationales » entre 200 et 500 m d’altitude dans une ambiance sous forte influence maritime. La production y est de 350 000 bouteilles par an. Giuseppe Campisi, issu d’une vieille famille vigneronne de Sambucca di Sicilia, gère ce vignoble isolé, sans autre activité agricole alentours, l’un des plus anciens de Sicile à être labellisé bio : « Notre activité a débuté dans les années 1980 ; auparavant, les cultures étaient uniquement céréalières. Ici, dès le projet d’implantation des vignobles, le vin a été indissociablement lié à son terroir. Il n’y a pas d’irrigation, pas d’enfumage, nous plantons, entre les rangs de la vigne, certaines espèces de fèves qui fertilisent le terrain ». « L’objectif est de renforcer suffisamment la vigne afin qu’elle puisse se défendre naturellement », termine-t-il. Le domaine est aussi très influencé par les préceptes de Rudolf Steiner, philosophe et agronome autrichien, qui a initié la culture biodynamique.

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Parmi sa production, très appréciée en Allemagne, l’Abbazia Santa Anastasia met en avant un assemblage en rouge, le Passomaggio, composé de nero d’Avola vieilli en fûts de hêtre d’Alsace, avec un ajout de cépage merlot légèrement trop mur et 10% de cabernet sauvignon pour donner élégance et race au breuvage. L’assemblage se fait, nous explique Giuseppe Campisi, après l’élevage des récoltes « en pureté, avec légère variation des dosages en fonction des années ». Puis Giuseppe Campisi évoque un projet qui lui tient particulièrement à cœur : « Dans le village voisin de Castelbuono se trouve un conservatoire qui a gardé d’anciens cépages antiques. L’idée serait, en coopération avec l’université de Palerme, de faire revivre ces plants historiques pour notamment les greffer sur les variétés internationales présentes en Sicile ». Touche étonnante et personnalisée de ce domaine actuellement sous administration publique, c’est l’organisation régulière de dégustations à la belle étoile, devant le large panorama de la mer et des montagnes, accompagnées de mixages sonores censés refléter le caractère de chaque vin présenté…

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Entre mer, soleil et vents brûlants venus d’Afrique, le jeune vignoble sicilien développe une spécificité tout à fait unique en Europe : de multiples cépages locaux et « internationaux » liés à une terre aux caractéristiques très variées, du sable de bord de mer aux terres volcaniques…

La Sicile et ses vignobles


Raisins locaux et « variétés internationales »

Plusieurs types de raisins sont cultivés en Sicile, soit utilisés simplement in purezza (en monocépage), soit pour être assemblés de façon assez libre à d'autres cépages. Les variétés autochtones sont implantées depuis des siècles alors que d'autres, appelées « variétés internationales », ont été importées: en rouge parmi les premières, il y a le nero d’Avola (la « star » locale), le nerello mascalese, le nerello mantellato, le perricone, le frappato, le calabrese ; et parmi les « variétés internationales » le merlot, le cabernet sauvignon, le cabernet franc et le syrah. En blanc, dans les cépages locaux, on trouve le cataratto, le grecanico, le grillo, l'inzolia, le zibibbo, le damaschino, le trebbiano, l'ausonica, le moscato bianco, le corinto nero ; et dans les « variétés internationales », le chardonnay et le viognier.

DOC et DOCG : Il s’agit de l’équivalent des appellations d’origine contrôlées françaises. L’appellation DOCG est plus stricte et correspond à un certain volume de production imposé. Ces appellations s’appliquent à des vins élaborés à partir de cépages spécifiques, dans une zone délimitée, vinifiés et vieillis selon des méthodes prescrites ; ils doivent enfin répondre à des standards précis de couleur, de parfum, de goût, de degré d’alcool et d’acidité.

A noter : l’abus d’alcool est dangereux. A consommer avec modération

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