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Grèce: six ans après, Mati se souvient du jour où le village a été ravagé par un incendie

La Grève va investir près de 2 milliards d’euros d’équipements dans la Protection civile. Une somme record, notamment constituée de fonds européens, censée aider la lutte contre les incendies saisonniers. Le pays reste pourtant régulièrement pointé du doigt pour le manque d’anticipation et de réaction face aux flammes. Comme à Mati, village martyr où un incendie a fait 104 morts en 2018.

Le village de Mati, dans l'Attique, dévasté par un incendie, le 27 juillet 2018.
Le village de Mati, dans l'Attique, dévasté par un incendie, le 27 juillet 2018. AFP - LOUISA GOULIAMAKI
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Avec notre envoyé spécial à Mati,

Mati, c’est le nom d’un village balnéaire de la région grecque de l’Attique, à environ 40 kilomètres à l’est d’Athènes. Depuis l’été 2018 et l’incendie meurtrier qui l’a ravagé un 23 juillet, Mati fait aussi figure de traumatisme national. Plus de 100 personnes ont perdu la vie, des dizaines d’autres ont été gravement brulées et plus de 3000 maisons sont parties en fumée. Aujourd’hui, les habitants répètent, amers, à quel point ce jour-là, ils ont été livrés à eux-mêmes. Au café Artion, calciné puis reconstruit, Nikos Yiannopoulos, la soixantaine, raconte.

« Le 23 juillet 2018, c’était une journée tranquille, nous étions ici en toute quiétude, se rappelle Nikos Yiannopoulos. Et là, sans aucun message d’alerte, aucune sirène, aucun son de cloche, aucun avertissement, rien, un incendie est arrivé de la montagne à grande vitesse, à cause d’un rare vent d’ouest. Et sans être prévenus, sans que l’on reçoive la moindre information, Mati a brulé, nous avons brulé. Personne ne nous a aidés. Il n’y avait pas de pompiers, pas de police, pas d’avion pour lutter contre le feu, pas de télévision ou de radio pour diffuser le message… Certains ont même brûlé dans leur maison. Ma mère, par exemple, habitait à 50 mètres d’ici et je n’ai pas pu la sauver. »

Une série de dysfonctionnements

Un premier feu qui accapare l’attention ailleurs, un second départ de flammes causé par un vieux monsieur qui brûle des branchages, un vent qui monte en puissance, pas d’alerte, des pompiers très en retard, des policiers qui bloquent la route principale, envoyant des voitures à la mort, des garde-côtes absents… Le drame de Mati, c’est une série de dysfonctionnements, de manquements, d’erreurs voire de fautes, qui, ensemble, ont conduit à un désastre. Aujourd’hui en Grèce, la politique d’évacuation systématique face aux feux poursuit un même objectif prioritaire : éviter à tout prix un nouveau « Mati ». Pourtant sur place, la méfiance règne.

« Moi, je crois qu’absolument rien n’a changé depuis l’incendie ici. Si un nouveau feu se déclare dans les environs, tout brûlera à nouveau de la même manière. Il n’y a aucune anticipation de la part de l’État pour qu’une intervention adaptée puisse être mise en place dès les premiers instants », estime aussi Nikos Yiannopoulos.

Le 112, un numéro d'urgence européen

Depuis Mati, une chose, tout de même, a changé explique Iannis Oikonomidis, architecte et résidant du village côtier, c’est la mise en place effective du numéro d’urgence européen le 112. Un numéro qui aurait déjà dû être fonctionnel en 2018, mais que les autorités avaient tardé à mettre en place.

Bonnet vissé sur la tête, l’homme nous fait faire un tour du village. Il se rappelle les 3h30 qu’il a passé dans la mer pour échapper aux flammes, son chien dans les bras. « Ce qui a été à la fois tragique et criminel, c’est que la police a fermé le boulevard de Marathon, qui est la grande route un peu plus haut, constateIannis Oikonomidis. Les policiers ont donc bloqué cette route et ils ont dirigé la circulation en provenance des deux côtés, vers le bas, au cœur de Mati. Tous ces gens se sont alors retrouvés bloqués sur la route de la plage, avec en plus les véhicules qui eux essayaient de fuir… et c’est comme ça qu’une majorité de gens ont brulé à l’intérieur de leur voiture. »

« La vérité a toujours du mal à se faire entendre »

Sur cette route de la plage, l’homme, traumatisé, revit la scène. À Mati, il y a très peu de plages, surtout de petites falaises et l’accès à la mer est souvent difficile. Une topographie et un bâti qui ont participé au lourd bilan du feu. Après l’incendie, Marina Karyda, elle, a cofondé Salvia, un centre de soins national pour grands brulés. Elle vient de publier un livre, le mois dernier, sobrement intitulé « Mati, 23 juillet 2018 ». « J’ai écrit ce livre parce que, près de six ans après l’incendie, la vérité a toujours du mal à se faire entendre, assure-t-elle. Souvent, les gens ne savent pas ce qu’il s’est réellement passé à Mati. La propagande, les dissimulations et les mensonges racontés à l’époque ont tendance à prévaloir. Et on ne croit pas non plus que la vérité va émerger des tribunaux. Donc, c’est pour ça que ce livre est important. »

Fin avril, à l’issue d’un lent procès qui fait planer un risque de prescription sur l’affaire, un verdict sera rendu en première instance sur le drame de Mati. Les habitants sont dubitatifs, les poursuites ne concernant que des délits et non des crimes, comme ils l’auraient souhaité. Quoi qu’il en soit, alors que le gouvernement d’alors s’est retranché derrière l’aménagement urbain présenté comme anarchique pour expliquer le désastre, à Mati, les habitants refusent qu’on leur fasse porter le chapeau et veulent qu’on regarde leur tragédie pour ce qu’elle est en grande partie : une faillite d’État.

Au plan national, une dizaine d’avions, autant d’hélicoptères et plus d’un millier de camions de pompiers doivent ainsi être acquis par la Grèce d’ici à 2025 pour la lutte contre les incendies saisonniers, qui ont tendance à s’intensifier avec le changement climatique.

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