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Inde

En Inde, des paysannes privées d’utérus pour être plus productives

Des associations de lutte pour les droits des femmes alertent sur un nombre anormalement élevé d’ablations forcées de l’utérus de coupeuses de cannes à sucre dans un district du centre du pays. Elles pointent même une entente financière entre le secteur médical et les dirigeants d’exploitations.

Une femme dans une plantation de canne à sucre, près de Damalcheruvu (sud de l'Inde), en 2012.
Une femme dans une plantation de canne à sucre, près de Damalcheruvu (sud de l'Inde), en 2012. Wikimédias commons/Bhaskaranaidu
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Usha, 32 ans, est coupeuse de canne à sucre, comme ses parents. Lorsqu’elle a 12 ans, ces derniers la marient de force pour ne pas qu’elle reste seule lorsqu’ils émigrent pour la récolte. Entre 13 et 20 ans, elle donne naissance à trois enfants, après quoi elle est stérilisée. Obligée de continuer à travailler jusqu’au terme de sa grossesse, elle accouche des deux derniers à l’usine de transformation. Après le dernier accouchement, elle ne reçoit aucun soin et ne peut se reposer que quelques jours. Au bout de quatre mois, une ligature des trompes, des pertes blanches et d'intenses saignements surgissent. Après divers traitements infructueux, elle se rend dans un hôpital privé. Le médecin préconise une ablation immédiate de l’utérus. Après l’opération, elle ressent des maux dans le bas du dos, dans le cou et des caillots sanguins apparaissent dans ses jambes. De l’acte médical, elle n’a aucune trace écrite.

Le calvaire d’Usha est rapporté par mail à RFI par MahilaKisanAdhikarManch (MAKAAM), une association membre d’un réseau d'ONG spécialisées dans la lutte pour les droits des femmes. Les faits décrits se sont déroulés à Bid, un district de l’État du Maharashtra, dont Mumbai (ex-Bombay) est la capitale. Le calvaire d’Usha n’est pas isolé. Mais c’est la nombre anormalement élevé de ces cas qui a conduit ce réseau à tirer la sonnette d’alarme. Ces derniers jours, deux sites d’information, le Hindubusinessline d’abord puis le Firstpost, dont l’article a été repéré par Courrier international, ont rapporté des histoires similaires alimentées par d’édifiants témoignages.

4500 ablations en trois ans

Chaque année, environ 1,4 million de saisonniers sont engagés pour la coupe de la canne à sucre (septembre à mars) dans l’État du Maharashtra. La majorité est originaire d’une région appelée Marathwada, et dont le secteur de Bid est le principal pourvoyeur. «  Les coupeurs de canne vivent dans des conditions misérables, sans eau potable ni sanitaires dans leurs abris de fortune  », explique le réseau dans un communiqué. Parmi eux, «  les femmes sont particulièrement vulnérables  : leur corps est non seulement exploité mais il est aussi contrôlé. On note une hausse du nombre d’hystérectomies effectuées sur les coupeuses de canne et un pic juste avant le début de la récolte.  »

Ainsi, selon deux enquêtes menées à Bid par les autorités régionales et étudiées par les militants, en 2018, sur 200 femmes interrogées, 72 avaient subi une ablation de leur utérus. Le taux de ces actes s’élève à 36%, contre une moyenne régionale de 2,6% et nationale de 3,2% ; en 2019, le nombre est déjà de 21% en l’espace de cinq mois. Au total, près de 4500 hystérectomies auraient été effectuées à Bid au cours des trois dernières années. Enfin, selon les informations obtenues de l’administration de Bid par le Firstpost, 85% des chirurgies ont été pratiquées dans des hôpitaux privés, parfois dépourvus de gynécologue.

Pourquoi ? «  Les femmes qui ont leurs règles ou qui sont enceintes ne sont pas considérées comme de bonnes travailleuses. Donc leurs employeurs s’assurent, en avançant l’argent, qu’elles subissent une ablation de l’utérus.  » L'objectif poursuivi par les entrepreneurs sucriers est clair  : obtenir une plus grande productivité de la part de ces femmes qui peuvent alors travailler de façon ininterrompue. Dans la plupart des cas, elles sont forcées à retourner au travail sans avoir pu récupérer. Les pauses ne sont pas admises et chaque jour non travaillé est retenu sur la maigre solde, souvent la seule de l'année pour les familles. Les conséquences sur la santé des femmes sont lourdes, incapacitantes et chroniques.

Endettées

Une autre source associative locale, contactée par email, dénonce pour sa part «  la cupidité du secteur privé, et l’ignorance, et parfois la complicité, de l’État. Les acteurs de santé privés, qui ne sont pas contrôlés, dégagent d’énormes bénéfices de l’exploitation de ces pauvres femmes. Il y a aussi des croyances patriarcales sur l’inutilité d’un utérus après plusieurs grossesses.  »

Le réseau d’associations s'insurge lui aussi contre ces pratiques mafieuses  : «  un intérêt commercial évident lie les entrepreneurs, les propriétaires des usines et le corps médical. Les praticiens persuadent les femmes d’accepter ces hystérectomies en brandissant des risques de cancer ou d’œdème à l’utérus. Ces femmes sont amenées à penser qu’après avoir fait deux ou trois enfants, leur utérus ne sert plus à rien. Elles placent alors toutes leurs économies dans ces opérations.  » Les victimes évoquent des interventions forcées allant de 250 à 500 euros, soit grosso modo l’équivalent du salaire d’une saison entière. «  Elles sont alors endettées et à la merci de leurs employeurs  », concluent les ONG.

Et le réseau associatif d’ajouter  : «  de toute évidence, ces violations des droits sont très répandues dans d’autres secteurs du Maharashtra.  » Ainsi, l’Hindubusinessline rapporte qu’à Vanjarwadi, bien loin de Bid mais toujours dans le même État, les hystérectomies sont «  la norme  ».

Le gouvernement a publiquement promis des enquêtes et des poursuites contre les responsables de ces agissements. MAKAAM et les autres ONG s’indignent quant à elles de l’incurie judiciaire des autorités.

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