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Liban/Syrie

Liban: le front antiterroriste oublié

Eclipsé par les événements en Syrie et en Irak, le Liban mène en silence sa propre guerre contre le terrorisme. Mais son armée combat dans des conditions politiques et militaires difficiles et dangereuses pour l'unité nationale.

Des soldats libanais traversent la frontière musulmane sunnite de la ville d'Ersal, le 5 août 2014.
Des soldats libanais traversent la frontière musulmane sunnite de la ville d'Ersal, le 5 août 2014. Reuters/Hassan Abdallah
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De notre correspondant à Beyrouth

Moins médiatisé que Kobane, en Syrie, Mossoul ou al-Anbar, en Irak, le Liban n'en reste pas moins un front actif et décisif dans la guerre antiterroriste décrétée contre le groupe Etat islamique et al-Qaïda. Ces deux organisations déploient une stratégie à multiples facettes, dans le but de s'implanter durablement au Liban, un pays qui s'enfonce tous les jours davantage dans un climat de guerre.

Une famille fuit les combats entre l'armée libanaise et les extrémistes venant de Syrie, à Ersal, ce dimanche 3 août 2014, dans le nord-est du Liban, lors de la plus grande incursion de combattants de Syrie au Liban depuis le début de la guerre en 2011.
Une famille fuit les combats entre l'armée libanaise et les extrémistes venant de Syrie, à Ersal, ce dimanche 3 août 2014, dans le nord-est du Liban, lors de la plus grande incursion de combattants de Syrie au Liban depuis le début de la guerre en 2011. REUTERS/Ahmad Shalha

La bataille d’Ersal (est), qui a opposé début août l'armée libanaise d'un côté au Front al-Nosra - branche syrienne d'al-Qaïda - et au groupe Etat islamique de l'autre, peut être considérée comme un tournant. Il est vrai que l'armée a réussi à déloger les jihadistes de cette bourgade à majorité sunnite, située à la frontière libano-syrienne, au prix d'une vingtaine de tués dans ses rangs et d'une quarantaine de soldats et de policiers enlevés par les rebelles. Mais elle ne les a pas vaincus. Ils se sont repliés vers les montagnes de l'Anti-Liban, une zone escarpée et difficile d'accès, qui s'étend sur 70 kilomètres et sur une profondeur allant de 2 à 7 kilomètres, entre le Liban et la Syrie. Leur nombre serait de 4 000 à 6 000 combattants, essentiellement membres du Front al-Nosra, avec des contingents plus ou moins importants du groupe EI et d'autres groupes islamistes.

Offensive d'al-Nosra

Selon les services de renseignement libanais, les jihadistes ont établi, ces trois dernières années, une importante infrastructure militaire dans cette région, adossée aux montagnes syriennes du Qalamoun : dépôts d'armes et de munitions, hôpitaux de campagne, ateliers de réparation des véhicules endommagés... Ils s'abritent dans des grottes et des cavités naturelles ou spécialement aménagées.

Depuis leur repli d’Ersal, les jihadistes lancent des attaques contre des positions de l'armée libanaise et du Hezbollah, lequel dispose d'importantes forces, aussi bien des côtés libanais que syrien de la frontière. Sur le versant libanais de l'Anti-Liban, le Hezbollah s'est déployé de manière à empêcher toute avancée des jihadistes vers les villages dans ses fiefs au Hermel (nord-est) et à Baalbek (est). Avec l'approche de la saison des neiges, les jihadistes multiplient les tentatives d'infiltration. Pas plus tard que dimanche 19 octobre, l'armée libanaise a pilonné à l'artillerie des concentrations de combattants qui s'avançaient vers ses positions autour d'Ersal.

Les renforts de l'armée libanaise entrent dans Ersal, samedi 2 août, pour contenir les combats avec le Front al-Nosra dont l'un des hauts responsables a été arrêté par l'armée libanaise.
Les renforts de l'armée libanaise entrent dans Ersal, samedi 2 août, pour contenir les combats avec le Front al-Nosra dont l'un des hauts responsables a été arrêté par l'armée libanaise. AFP PHOTO / STR

Le 5 octobre, le Front al-Nosra a lancé une vaste offensive contre des postes fortifiés du Hezbollah, dans le secteur de Brital. Les combats, d'une violence inouïe, ont fait dix morts dans les rangs du Hezbollah et des dizaines de tués chez les jihadistes, qui ont finalement été repoussés. Selon des sources militaires libanaises, à travers ces attaques, les jihadistes tentent de désenclaver leurs zones de déploiement et de les relier, via un passage sûr, à la ville syrienne de Zabadani, toujours sous leur contrôle, à l'ouest de Damas, qui leur servirait de base de repli pendant l'hiver. Jusqu'à présent, ces tentatives ont échoué.

Un accès à la mer

Le commandant en chef de l’armée libanaise Jean Kahwaji (D) discute avec l'ancien ministre de la Défense Elias al-Murr (G), en août 2010.
Le commandant en chef de l’armée libanaise Jean Kahwaji (D) discute avec l'ancien ministre de la Défense Elias al-Murr (G), en août 2010. REUTERS/MOHAMED AZAKIR

A en croire le commandant en chef de l’armée libanaise, les ambitions des jihadistes vont bien plus loin. Dans une interview accordée au quotidien Le Figaro, le 9 octobre, le général Jean Kahwaji a averti que ces groupes envisagent « d'arriver jusqu’à la mer, sans avoir pu, cependant, parvenir à cet objectif, que ce soit en Irak ou en Syrie. La seule solution qui (leur) reste, c’est le Liban. » « Daech (le groupe Etat islamique, NDLR) a l’intention de s'emparer des armes dont il a besoin, en attaquant, tout comme il l'a fait en Irak, les bases de l’armée libanaise », a-t-il ajouté. Et les faits semblent lui donner raison.

Dans cette entreprise, les jihadistes peuvent compter sur l'appui de cellules dormantes implantées dans plusieurs régions du Liban et sur le soutien de partisans dans certaines régions sunnites, notamment à Tripoli, la deuxième ville du Liban, au nord. Ces cellules dormantes semblent être entrées en mode opératoire. Depuis début septembre, six soldats libanais ont été tués et plusieurs autres blessés dans des attentats perpétrés par des inconnus.

Deux attaques ont eu lieu dans la région d’Akkar au Liban-Nord, la dernière en date s'étant déroulée le vendredi 17 octobre, lorsqu'un minibus transportant des soldats a essuyé des tirs. Bilan : un militaire tué et un autre blessé. Une troisième attaque mortelle a visé une position de l'armée à Beddaoui, près de Tripoli. Enfin, deux soldats ont été tués et trois autres blessés dans l'explosion d'une bombe au passage de leur véhicule, le 19 septembre, à Wadi Hmayed, près d'Ersal. A Tripoli même, pas un jour ne passe sans que des grenades ne soient lancées contre des postes de l'armée. Sous le manteau de la nuit, des inconnus recouvrent les murs de certains quartiers de slogans à la gloire du groupe EI et d'al-Nosra.

Défections de soldats

Ces incidents s'accompagnent d'une campagne de propagande, incitant les soldats sunnites à déserter l'armée libanaise, qualifiée par les jihadistes « d'armée croisée » ou de corps « répondant aux ordres du Hezbollah et de l'Iran ». Ces dernières semaines, quatre soldats ont fait défection pour rejoindre les rangs du groupe EI ou d'al-Nosra.

Première apparition publique d'Abou Bakr al-Baghdadi, le «calife du jihad», le 5 juillet 2014.
Première apparition publique d'Abou Bakr al-Baghdadi, le «calife du jihad», le 5 juillet 2014. REUTERS/Social Media Website via Reuters TV

Dans des vidéos postées sur Youtube, les déserteurs avancent toujours les mêmes arguments : défendre les sunnites contre « l'hégémonie du Hezbollah et de l'Iran ». Le dernier déserteur en date, le soldat Abdel Menhem Khaled, originaire d’Akkar, prête allégeance à Abou Bakr el-Baghdadi, alors que des photos de l'émir de l'EI sont diffusées dans la vidéo, sur fond de chants jihadistes. Le déserteur s'en prend violemment à l'armée, formée selon lui « de chrétiens, de chiites et de druzes ». « Le président est chrétien, le chef de l'armée est chrétien, la plupart des officiers sont chrétiens et le rôle des soldats est de leur prêter allégeance. Notre armée est formée de chrétiens, de chiites et de druzes. L'armée humilie les sunnites », lance le soldat.

Ce discours montre une volonté manifeste d'affaiblir l'armée libanaise, dernière institution multiconfessionnelle encore capable de cimenter les Libanais. Ces mises en scène confirment les craintes du général Jean Kahwaji, qui a affirmé, au Figaro, que « Daech cherche à provoquer une guerre civile, au Liban, en s’appuyant sur ses partisans, à Tripoli et à Akkar ».

Ambiguïtés politiques

Certes, la majorité de la rue sunnite n'est pas favorable aux thèses extrémistes du groupe EI. Une récente enquête d'opinion effectuée par le Washington Institut for Near East Policy montre que seul 1% des sunnites du Liban appuie les idées de cette organisation. Mais les jihadistes profitent du discours ambigu tenu par certaines hommes politiques libanais, dont des députés, qui, soit justifient leurs actes, soit ne les condamnent pas avec assez de vigueur. C'est notamment le cas de deux députés islamistes de Akkar, Khaled Daher et Mouïn Merhebi, ou encore de plusieurs ulémas, qui ont des affinités salafistes.

Conscient du danger que constituerait pour le Liban l'affaiblissement de l'armée, le leader druze Walid Joumblatt multiplie les mises en garde. Ce dimanche, il a encore appelé au ralliement autour de la troupe « qui mène une rude bataille et qui a besoin, avant tout, d’une couverture politique ». « Chaque semaine, un ou deux nouveaux martyrs de l’armée tombent, d’où la nécessité pour la troupe d'une immunité politique et d'un minimum de consensus », a souligné Walid Joumblatt.

Un soldat libanais.
Un soldat libanais. AFP PHOTO IBRAHIM CHALHOUB

Deux mille arrestations

Pour tenter de faire échec à ce plan de déstabilisation, les services de sécurité renforcent leur vigilance. L'armée multiplie les perquisitions, notamment dans les campements de réfugiés syriens. Deux mille suspects ont été arrêtés depuis le mois d'août et des quantités d'armes et de munitions ont été saisies. En plus du climat politique tendu, caractérisé par des divisions internes, l'armée manque cruellement de moyens. Après la bataille d’Ersal, les Etats-Unis ont, certes, livré quelques armes et munitions. Mais les besoins sont beaucoup plus importants et toutes les promesses sont restées lettres mortes, y compris le don saoudien de trois milliards de dollars, censé financer l'achat d'armes auprès de la France.

En attendant que l'armée reçoive les armes dont elle a besoin pour affronter le péril terroriste, beaucoup de Libanais se tournent vers l'option de l'auto-sécurité. Dans des localités chrétiennes et druzes frontalières de la Syrie, des jeunes s'arment et s'entrainent. La nuit, ils organisent des rondes pour protéger leurs villages d'éventuelles infiltrations de jihadistes. Des scènes qui rappellent étrangement l'ambiance à la veille de la guerre civile, en 1975.

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