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Reportage

Liban: les réfugiés syriens ne se sentent plus en sécurité dans les régions chrétiennes

Depuis le meurtre, le 7 avril, d’un responsable du parti chrétien des Forces libanaises, imputé à des ressortissants syriens, les exactions contre les réfugiés syriens se multiplient au Liban et le discours raciste bat son plein.

Malgré les tensions avec les réfugiés, beaucoup de Libanais sont conscients que la main-d'œuvre syrienne est indispensable notamment dans les secteurs de l’agriculture ou de la construction.
Malgré les tensions avec les réfugiés, beaucoup de Libanais sont conscients que la main-d'œuvre syrienne est indispensable notamment dans les secteurs de l’agriculture ou de la construction. © Paul Khalifeh / RFI
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De notre correspondant à Beyrouth,

« Des inconnus ont tiré des feux d’artifice et des coups de fusils de chasse sur la maison d’à côté où vit ma cousine et ses enfants. Nous n’avons pas pu fermer l’œil de la nuit. Nous étions terrorisés ». Mohsen, installé dans le village de Chamat, dans la région de Jbeil au Mont-Liban, affirme qu’il n’a jamais eu autant peur depuis qu’il a fui sa province natale d’Idleb, au nord-ouest de la Syrie, au tout début de la guerre en juin 2011.

La tension est palpable entre les Libanais et les ressortissants syriens depuis l’enlèvement et l’assassinat, imputés à un gang de voleur de voitures syriens, du responsable local du parti chrétien des Forces libanaises, Pascal Sleiman, le 7 avril.

Après l’annonce de la découverte du corps de cet employé de banque dans une région proche de la frontière syro-libanaise, une vague de violences a éclaté contre les Syriens, agressés dans leurs voitures, leurs magasins où leurs lieux de résidence, surtout dans les régions à majorité chrétienne.

Depuis cette affaire, les vexations et les intimidations se multiplient. Le 20 avril, une rixe géante a opposé des Libanais et des réfugiés syriens dans la banlieue de Bourj Hammoud, proche de Beyrouth. L’armée a dû intervenir pour rétablir le calme.

« Ce matin, j’ai reçu des menaces teintées de propos racistes sur ma messagerie vocale. L’interlocuteur m’a sommé de ne plus me rendre dans son village sous peine de m’administrer une bastonnade », se plaint Mohsen, un artisan-maçon d’une quarantaine d’années.

Au Liban, la plus forte densité de réfugiés au monde

Le meurtre de Pascal Sleiman a replacé au centre du débat politique la présence des Syriens au Liban, qui a la plus forte densité de réfugiés au monde. Près de 740 000 Syriens sont enregistrés auprès du Haut-commissariat des Nations unies pour les réfugiés. Les autorités libanaises estiment cependant leur nombre à plus d’1,5 million, soit le quart de la population. Elles affirment que le pays n’a plus les moyens d’accueillir un nombre tellement élevé de déplacés.

« La présence massive de Syriens constitue un danger sur le plan sécuritaire, explique à RFI Simon Abi Ramia, député de la région de Jbeil. Tous les jours, on entend parler d’assassinats, de vols, de violences imputés à des Syriens, qui constituent 40% de la population carcérale ».

« Ceux dont la situation est régulière sont les bienvenus mais les illégaux doivent être renvoyés. Le Liban doit se protéger et fermer hermétiquement ses frontières pour mettre un terme aux passages clandestins », insiste le député, membre du Courant patriotique libre (CPL), fondé par l’ex-président de la République Michel Aoun.

La position des Forces libanaises est sensiblement similaire même si les relations entre les deux formations sont mauvaises. « La présence des Syriens est illégale, ils doivent être renvoyés vers un pays tiers ou être rapatriés en Syrie, notamment dans les régions sûres », indique un communiqué publié le 23 avril par ce parti qui dispose du plus important bloc parlementaire chrétien.

Cette nouvelle crise intervient à un moment où le Liban est sans président de la République depuis un an et demi, avec un gouvernement d’expédition des affaires courantes boycotté par les principaux partis chrétiens et des institutions paralysées.

La faiblesse chronique de l’État encourage les dérives et les exactions. Des tracts anonymes sommant les Syriens de plier bagages sous peine de « représailles » sont distribués dans certaines localités. Ailleurs, des menaces de mort sont proférées par téléphone. Souvent, des ressortissants syriens sont pris à partie, humiliés ou intimidés. « Nous sommes restés cloîtrés chez nous pendant une semaine, nous n’osions même plus allez chez l’épicier », se lamente Abed, un ouvrier en bâtiment d’une cinquantaine d’années.

Un rôle central pour les municipalités

En raison de l’absence de l’État, les élus locaux voient un lourd fardeau peser sur leurs épaules. « Le pouvoir central demande aux municipalités de tout faire à sa place, soupire Rustom Souaiby, président du Conseil municipal de Bejjé, dans la région de Jbeil. On nous demande de nous acquitter des tâches des différents ministères, d’organiser la présence des déplacés syriens, de mettre en œuvre les décisions sécuritaires du ministère de l’Intérieur, de la Sûreté générale. Lorsque les tensions sont apparues, il nous a fallu gérer la colère des Libanais et la peur des Syriens ».

Les municipalités ont dû jongler entre les pressions des jusqu’au-boutistes qui réclament l’expulsion pure et simple des Syriens et d’autres habitants qui estiment que leur présence est indispensable pour le bon fonctionnement de l’économie locale.    

« Le Liban a de tout temps eu besoin de la main d’œuvre syrienne dans les secteurs de l’agriculture et du bâtiment. Cette dimension est parfaitement organisée par les lois libanaises qui doivent, cependant, être appliquées », fait observer Simon Abi Ramia.

« Notre approche doit être humaine. Nous avons réuni les Syriens du village pour les rassurer mais aussi pour organiser leur présence, explique Rustom Souaiby. La plupart sont en situation illégale, nous leur avons donc accordé un délai d’un mois pour régulariser leurs papiers. Nous n’expulserons personne, de toute façon les municipalités n’ont pas le droit de le faire. Toutefois, nous n’accueillerons plus de nouveaux venus et nous avons à l’œil sur les fauteurs de troubles. Au moindre incident, nous préviendrons les services de sécurité. D’un autre côté, nous avons demandé à nos administrés de traiter les réfugiés avec dignité et dans le respect des lois en vigueur ». 

Après les mesures prises par les municipalités et les autorités gouvernementales, les tensions ont quelque peu baissé. Mais l’impression que le feu couve sous la cendre demeure.

« Cela fait 13 ans que je suis au Liban et je n’ai jamais pensé partir pour l’Allemagne ou les Pays-Bas comme beaucoup de Syriens l’ont fait, confie Mohsen. Depuis le meurtre de Pascal Sleiman, j’envisage sérieusement d’émigrer. Quelque chose s’est brisé dans la relation avec les Libanais… je ne sais pas si on peut le replâtrer. »

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