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Drogue

Cocaïne : la filière guyanaise

À l’heure où l'Office des Nations unies contre la drogue et le crime (ONUDC) annonce un nouveau record historique de la production mondiale de cocaïne, avec près de 2 000 tonnes en 2017, regard sur la filière guyanaise. Une route du trafic international de la cocaïne en plein développement qui touche particulièrement la France, que commente le spécialiste de la géopolitique des drogues David Weinberger.

Saisie de cocaïne par la douane française en Guyane en janvier 2019 (image d'illustration).
Saisie de cocaïne par la douane française en Guyane en janvier 2019 (image d'illustration). jody amiet / AFP
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Le chercheur David Weinberger est un spécialiste des trafics illicites de drogue rattaché à l’Institut national des hautes études de la sécurité et de la justice (INHESJ).

RFI : David Weinberger, le trafic de drogue par des mules (passeurs de drogue) entre la Guyane et la métropole, qui semble s’intensifier depuis quelques années, est-il un phénomène que l’on vient de découvrir ?

David Weinberger : Le phénomène des mules de Guyane traduit en fait un phénomène bien plus large, qui est une route jusqu’alors méconnue de la cocaïne provenant des zones de production d’Amérique du Sud, à savoir la Colombie, le Pérou et la Bolivie. On connaît depuis plusieurs années les routes passant par les Antilles, ou aussi par le Brésil, qui alimentent l’Europe et la France. Mais on s’est rendu compte qu’il y a une route très active et très dynamique qui passe historiquement par le Suriname et qui s’est notamment diversifiée par la Guyane.

Pourquoi l’avènement de la Guyane française aujourd’hui par rapport au Suriname ?

Depuis une trentaine d’années, on assiste à l’évolution d’une route surinamaise et l’on sait aujourd’hui que les groupes criminels surinamais travaillent avec les groupes criminels colombiens depuis 40 ans. Des liens ont été créés avec le Cartel de Medellin dans les années 1980, et selon le renseignement colombien, Pablo Escobar se serait rendu à plusieurs reprises au Suriname afin d’organiser une nouvelle route permettant de développer le marché européen de la cocaïne.

Carte sur le narcotrafic du cartel de Medellin via le Suriname. Le Suriname plaque tournante de la distribution de stupéfiants en Europe (webdoc RFI).
Carte sur le narcotrafic du cartel de Medellin via le Suriname. Le Suriname plaque tournante de la distribution de stupéfiants en Europe (webdoc RFI). © RFI

Dans un premier temps, l’idée était de faire transiter la drogue vers les Pays-Bas depuis Paramaribo (la capitale du Suriname), car les liens historiques avec cette ancienne colonie néerlandaise permettaient d’offrir des routes commerciales et maritimes très actives aux trafiquants de drogue. Mais au tournant des années 2000, les autorités néerlandaises, dont le pays était l'un des principaux impactés par cette route, ont décidé d’augmenter les contrôles, notamment entre l’aéroport de Paramaribo et l’aéroport de Schiphol (Amsterdam, Pays-Bas) et cette augmentation des contrôles a, pour partie, poussé les Surinamais à ouvrir une nouvelle route qui était celle de l’aéroport de Cayenne vers l’aéroport d’Orly (Paris).

Cependant, les trafics, notamment maritimes, qui relient le Suriname aux Pays-Bas restent très actifs, comme le suggèrent les saisies records opérées il y a quelques mois sur des navires maritimes. J’opterai donc plus pour une diversification des routes que pour un report, on peut donc parler d’une route des Guyanes qui se diviserait entre une sous-route surinamaise et une autre sous-route guyanaise.

Est-ce que les groupes guyanais d’aujourd’hui sont aussi organisés que les groupes surinamais ?

Il est difficile de répondre clairement à cette question à ce stade de mes recherches, savoir s’ils sont aussi organisés. Mais on observe que les groupes surinamais restent les grossistes qui vendent la cocaïne en gros aux Guyanais, et les Guyanais ont su diversifier leur activité en s’autonomisant, c’est-à-dire en développant par eux-mêmes le transport de la cocaïne de la Guyane à la métropole, et surtout en développant des réseaux de distribution. Ces réseaux se sont notamment implantés dans les villes de province de petite et moyenne taille en métropole, pour ne pas se heurter aux traditionnels réseaux de distribution de la cocaïne, actifs depuis plusieurs décennies.

L’argent issu du trafic de drogue en Guyane aujourd’hui, a-t-il déjà un impact visible sur l’économie locale ?

Il y a encore beaucoup de questions qui se posent, mais on voit effectivement qu’il y a de plus en plus d’activités commerciales en Guyane, et notamment des activités étonnantes comme des bars, des restaurants en pleine forêt amazonienne... Mais il apparaît surtout que les investissements les plus massifs s’opèrent de l’autre côté de la frontière, au Suriname. Ces investissements sont effectués par des Surinamais qui sont des grossistes implantés notamment à Albina (ville frontière surinamienne). Ils gagnent beaucoup d’argent. Mais le blanchiment est aussi opéré par des Guyanais qui préfèrent investir au Suriname pour éviter des saisies et des confiscations de leurs biens par la justice française.

L’une des questions encore sans réponse à ce stade et de mieux comprendre le rôle des organisations criminelles surinamaises et leur influence sur les réseaux français. Les Néerlandais ont condamné en 1999 le président actuel du Suriname (Dési Bouterse) pour trafic de cocaïne. Ce fut aussi le cas pour le chef historique de l’opposition surinamaise (Ronnie Brunswijk), qui fut aussi condamné à la même époque pour des faits similaires. Il y a cinq ans, leurs fils respectifs ont aussi été arrêtés pour trafic de cocaïne. Mais sont-ils aujourd’hui les chefs d’un cartel surinamais ? Rien ne le prouve à ce stade.

En revanche, les autorités américaines ont récemment communiqué sur les liens éventuels avec les groupes criminels colombiens, mais aussi vénézuéliens et mexicains. Ce qui est certain, c’est que la localisation des trois Guyanes (Guyana, Suriname et Guyane française) reste idéale pour se connecter à l’Europe, soit directement, soit via les Caraïbes ou l’Afrique de l’Ouest et que le marché européen de la cocaïne est en pleine croissance.

Albina 2 au Surinam, lieu de tous les trafics, vu depuis la rive française.
Albina 2 au Surinam, lieu de tous les trafics, vu depuis la rive française. © RFI/Igor Strauss

La cocaïne qu’on retrouve en métropole provient-elle principalement de la Guyane ?

La cocaïne qui circule en métropole vient a priori en majorité du Brésil, car ce pays est aujourd’hui le premier pays exportateur de la cocaïne en Amérique latine, même s’il n’est pas un pays producteur. Tout vient des Andes, c’est-à-dire de la Colombie, du Pérou et de la Bolivie, dont la production estimée explose. Dans son dernier rapport, publié hier, l'Office des Nations unies contre la drogue et le crime (ONUDC) annonce un nouveau record historique de la production mondiale de cocaïne, avec près de 2 000 tonnes en 2017. Et le dernier rapport de l’Observatoire européen des drogues et de la toxicomanie (EMCDDA) insiste sur l’augmentation du marché européen de la cocaïne. Cette dernière est donc devenue la seconde drogue illicite consommée par les Européens après le cannabis. Et la France n’est pas épargnée, au contraire.

En revanche, on pourrait estimer que la cocaïne qui transite par la Guyane, notamment via la voie aérienne commerciale et le phénomène des mules, serait aujourd’hui la deuxième ou la troisième route d’exportation la plus importante en France. C’est donc une route très significative.

Y a-t-il des facteurs socio-économiques qui expliquent aujourd’hui le développement de ce phénomène de mule ?

Sur le plan économique, le facteur, c’est le prix très bas de la cocaïne, avec une pureté très élevée puisque c’est à peu près 5 000 euros le kilo en Guyane pour un prix de revente à 3 000 euros. Donc effectivement, le modèle économique de la Guyane est intéressant du point de vue du trafiquant. Par exemple, le même kilo de cocaïne est négocié autour de 10 000 euros en République dominicaine, qui reste aussi une zone de transit significative pour le marché européen.

De plus, les frontières entre le Suriname et la Guyane sont très poreuses et particulièrement difficiles à contrôler, ce qui facilite le travail des trafiquants malgré les efforts déployés par l’action publique en Guyane. Et enfin, les trafiquants peuvent puiser dans une réserve assez importante de passeurs, qui proviennent des classes souvent défavorisées. Or, les populations proches de la zone frontalière du Suriname ont un taux de chômage extrêmement élevé. Ces facteurs offrent malheureusement une des réserves de recrutement significative aux trafiquants.

Pensez-vous qu’en France, dans l’avenir, nous arriverons à diminuer ce trafic ?

Un plan de lutte élaboré par le préfet de Guyane et le procureur de la République a été remis à la ministre de la Justice et au ministre de l’Intérieur à la fin de l’année 2018, qui s’est accompagné d’un renforcement des moyens de lutte en Guyane comme en métropole. On peut donc espérer que ces initiatives de l’action publique vont rapidement réduire cette route dans un contexte de consommation croissante de cocaïne.

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