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Travail

France: la «clause Molière» impose le français sur les chantiers publics

Plusieurs collectivités territoriales ont récemment adopté une mesure imposant l’usage de la langue française sur les chantiers publics. Cette « clause Molière », censée lutter contre le travail détaché, pose question d’un point de vue juridique, notamment au regard des règles européennes, et fait polémique. Ce mardi 14 mars, plusieurs syndicats et le Medef ont dénoncé une mesure « nationaliste ».

Des ouvriers sur le chantier de Saint-Nazaire, en France, le 10 janvier 2017.
Des ouvriers sur le chantier de Saint-Nazaire, en France, le 10 janvier 2017. LOIC VENANCE / AFP
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Après la Normandie, les Pays de la Loire, les Hauts-de-France et l'Auvergne-Rhône-Alpes, la région Île-de-France a adopté, jeudi 9 mars, la « clause Molière », qui figurera désormais dans les appels d’offres de la collectivité. Selon un document du Conseil régional, cette dernière consiste à « s'assurer que l'ensemble des ouvriers comprennent et parlent le français, et, si c'est impossible, imposer la présence d’un interprète ».

Si une entreprise veut décrocher une commande publique dans l’une de ces régions, elle doit donc désormais garantir que ses travailleurs parlent tous la langue de Molière sur le chantier. Ou, à défaut, fournir un traducteur à ses frais. Les collectivités s’engagent à procéder à des contrôles et, en cas de non-respect de la clause, à des sanctions.

L’un des principaux arguments des défenseurs de cette mesure est celle de la sécurité des ouvriers, afin que les consignes soient bien comprises et les normes respectées. « C'est une condition sine qua non pour la sécurité des travailleurs sur les chantiers », s’est justifiée Valérie Pécresse, présidente de la région Île-de-France, lors de la séance du Conseil régional jeudi dernier.

Mais en conditionnant ainsi l’accès aux marchés publics à l’usage du français, cette clause entend aussi et surtout lutter contre le recours aux travailleurs étrangers. Il s’agit « de lutter contre les entreprises qui cassent les prix en allant chercher des travailleurs détachés sans que ces salariés ne cotisent à la Sécurité sociale », explique Vincent You, adjoint au maire d’Angoulême et créateur de cette mesure, au journal Le Monde.

Une mesure illégale ?

En mai 2016, sa ville adopte cette clause, avant d’être suivie par Bourges, Chalon-sur-Saône, Vienne, Montfermeil puis par le département de la Charente et, progressivement, cinq régions de France. Mais en Auvergne-Rhônes-Alpes, le préfet, saisi par l’opposition de gauche, a adressé au président de région Laurent Wauquiez (LR) un « recours gracieux », estimant que cette clause « susceptible de créer une discrimination fondée sur la nationalité des entreprises candidates, est contraire aux principes constitutionnels de liberté d'accès à la commande publique et d'égalité de traitement des candidats ».

« Les clauses et dispositifs votés par la région seront bien insérés dans nos marchés publics », a rétorqué Laurent Wauquiez dans un courrier adressé au Premier ministre Bernard Cazeneuve. Le président de la région a même installé, lundi 13 mars, une brigade de contrôle composée de cinq agents à temps plein et chargée de vérifier les cartes professionnelles du BTP et la bonne pratique du français, et ce alors que le préfet Michel Delpuech faisait valoir dans son recours que les agents régionaux ne sont « pas habilités à effectuer les contrôles » sur les chantiers.

Mais le préfet n’est pas le seul à remettre en question la légalité de cette mesure. Vendredi 10 mars, le ministère de l’Economie et des Finances a annoncé avoir saisi sa direction des affaires juridiques au sujet de la « clause Molière » afin qu’elle se prononce sur la légalité de cette dernière. Bien que Michel Sapin se refuse pour le moment à s’exprimer sur le sujet, dans les couloirs de Bercy, on estime que « ce sont des mesures racistes, discriminatoires et inapplicables », rapporte l’agence Reuters.

La directive européenne de 1996

Des mesures problématiques, notamment au regard des textes européens, dont la directive de 1996 sur les travailleurs détachés. Car en limitant le recours aux travailleurs étrangers sur les chantiers publics, cette disposition s’en prend aux ouvriers venus d’autres pays de l’Union européenne. Or cela va « à l’encontre de l’esprit européen, à l’encontre des libertés fondamentales prescrites au niveau européen », prévient l’eurodéputée LR Elisabeth Morin-Chartier, interrogée par RFI. « Parce qu’il y a une liberté fondamentale au niveau européen, qui est la libre prestation de services à travers toute l’Europe et la libre circulation des citoyens et des travailleurs. Et ce sont des libertés intangibles », explique l’élue, qui est aussi rapporteur au Parlement européen sur la révision de la directive sur les travailleurs détachés.

Sept pays de l'Union européenne, dont la France, veulent une réforme de cette directive, estimant qu’elle laisse libre cours aux abus et aux fraudes. Les travailleurs détachés en France, venant de Pologne ou de Bulgarie par exemple, doivent normalement être payés au salaire minimum français, explique l’eurodéputée Elisabeth Morin-Chartier, « mais bien souvent, ce qui se passe c’est qu’on défalque de leur Smic des frais d’hébergement, des frais de transport, de nourriture. Et donc ils sont payés bien en dessous du Smic. C’est une forme de dumping social. »

Sujet sensible pour l'UE

Le sujet est source de conflit au sein de Vingt-Huit, opposant les défenseurs de la libre circulation et les détracteurs d'un présumé « dumping social ». L’année dernière, la Commission européenne a donc proposé une révision du texte, suggérant qu'un travailleur détaché au sein de l'UE bénéficie désormais des conditions de rémunération en vigueur dans son pays d'accueil et non plus seulement du salaire minimum appliqué dans ce pays. Mais le dossier n’a guère progressé depuis, faisant face à l’opposition d’une dizaine de pays d’Europe de l’Est.

Dans ce contexte tendu, Elisabeth Morin-Chartier voit « la clause Molière » d’un très mauvais œil. Il faut s’attendre selon elle à un retour de bâton : « Il y a 200 000 Français qui sont travailleurs détachés à l’étranger, alors quand les Français prennent des décisions comme la clause Molière en les insérant dans les marchés publics, il faut qu’ils s’attendent à une chose : qu’il y ait la réponse du berger à la bergère et que les Hongrois, les Polonais exigent la même chose des Français. Non, c’est une mauvaise route, un très mauvais pli ». L’eurodéputée a même écrit une lettre au candidat de son parti, François Fillon, pour l’alerter sur ce « repli national qui ne dit pas son nom ».


Une disposition « nationaliste » et « électoraliste »

En France, outre les réactions de l’opposition dans les collectivités territoriales concernées - le Front de gauche francilien dénonçant notamment une clause « abusive et discriminatoire » et le PS pointant « un problème de légalité » - plusieurs syndicats ont élevé la voix ce mardi 14 mars. Interrogé sur France Inter, Philippe Martinez, numéro un de la CGT, a estimé que cette mesure « purement électoraliste » allait « sur les traces du Front national », en stigmatisant « les étrangers parce qu'ils ne parleraient pas assez bien français ».

La CFDT, elle, a fustigé dans un communiqué « l’instrumentalisation » de la santé et de la sécurité des salariés avec une clause « inacceptable » qui « ne règle en rien la question du travail illégal ». « Vous commencez comme ça, et puis après vous commencez à faire du favoritisme, et puis ensuite vous fermez les frontières françaises, et puis vous finissez par sortir de l'euro », a estimé pour sa part Pierre Gattaz, le patron du Medef, qui a mis en garde contre une « dérive nationaliste » lors de sa conférence de presse mensuelle.

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