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Entretien

L'ancienne impératrice d'Iran Farah Pahlavi expose sa collection privée d’art à Paris

C’est une exposition très attendue. Pour la première fois, Farah Pahlavi, ancienne impératrice d’Iran et figure emblématique pour l’art et la culture de son pays, montre une partie de sa collection privée d’art au public. Aujourd’hui âgée de 85 ans, exilée depuis la révolution islamique de 1979, elle a choisi comme lieu d’exposition Paris, la capitale de la liberté, comme pour faire résonner en arrière-plan de chaque œuvre d’art contemporain son souhait que l’Iran soit un jour (pas trop lointain) aussi libre que chaque tableau exposé. Entretien avec la commissaire de l'exposition, l'artiste iranienne Vanecha Roudbaraki, qui a sélectionné les œuvres en accord avec Farah Pahlavi.

Détail du Portrait de Sa Majesté Farah Pahlavi réalisé en 2010 par Hussein Madi, artiste libanais né en 1938, considéré comme le « Picasso du monde arabe ». Acrylique et technique mixte sur toile. 80 x 80 cm.
Détail du Portrait de Sa Majesté Farah Pahlavi réalisé en 2010 par Hussein Madi, artiste libanais né en 1938, considéré comme le « Picasso du monde arabe ». Acrylique et technique mixte sur toile. 80 x 80 cm. © Siegfried Forster / RFI
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RFI : Pourquoi qualifiez-vous cette exposition de la collection privée d’art de Farah Pahlavi d’« événement » ?

Vanecha Roudbaraki : Parce que c'est la première exposition de la collection privée de l'impératrice Farah Pahlavi. Beaucoup de gens, beaucoup d'artistes et beaucoup d’Iraniens attendaient ça. Nous connaissons son amour pour l’art et pour la culture depuis des décennies, elle a été toujours très présente dans les expositions et les événements culturels et artistiques. Beaucoup de gens voulaient connaître sa collection privée.

Pourquoi l’impératrice Farah Pahlavi a-t-elle pris la décision d’exposer maintenant une partie de sa collection à Paris avant de la transférer au Portugal pour y installer sa fondation à la mémoire de l'histoire et du patrimoine culturel de l'Iran ?  

L’année dernière, elle a créé la Fondation Shahbanou Farah Pahlavi. Et il fallait identifier cette collection et les très nombreuses œuvres. Mon lien d’amitié avec Sa Majesté est une chance dans ma vie. Elle a vu mon exposition personnelle dans ce lieu qu’elle a bien aimé. Donc, je lui ai demandé : « Avant que votre collection ne parte définitivement au Portugal, voulez-vous l'exposer ici, pour que les gens puissent venir de toute l'Europe pour la regarder ? » Elle a bien apprécié l'idée. Et voilà l’exposition !

Vue sur l’exposition de la Collection privée d’art de l’ancienne impératrice Farah Pahlavi.
Vue sur l’exposition de la Collection privée d’art de l’ancienne impératrice Farah Pahlavi. © Siegfried Forster / RFI

Pour l’instant, sa collection privée se trouve principalement à Paris. Quand vous avez fait la sélection des œuvres pour l’exposition, quel était le fil rouge ?

Oui, la partie la plus importante de la collection est à Paris. Ce sont plusieurs centaines d’œuvres d'art, des peintures, des milliers de livres, et beaucoup de photos et négatifs. Il fallait d'abord identifier toutes les œuvres disponibles, évaluer la qualité artistique. Une partie importante des œuvres a été achetée par Sa Majesté à l'étranger, après la révolution. Une autre partie lui a été offerte, durant ces dernières décennies, par les artistes. Certaines œuvres ont été offertes par des artistes non professionnels, par amour, d'autres par de grands artistes avec un renommé mondial. On ne pouvait pas tout exposer, mais on a essayé quand même de montrer aussi des artistes plus jeunes pour les soutenir. Ce sont des artistes contemporains de différentes époques en Iran.

L'Impératrice se retrouve sur de nombreux dessins, gravures, peintures, installations, sculptures, cartes à jouer… Que représente-t-elle pour les artistes ?

Je ne peux parler que pour moi. Et constater ce que j'ai entendu. Beaucoup d'artistes actuellement en Iran souhaiteraient être là et pouvoir exposer. Mais ce n'était pas possible, parce que nous avons sélectionné par rapport à la collection privée de l'impératrice. On ne pouvait pas rajouter d'autres œuvres. Beaucoup d'artistes souhaitaient lui offrir des œuvres uniquement pour participer à cette exposition, la première de ce genre.

L’impératrice est une référence par rapport à l'art et à la culture. Depuis plusieurs décennies, depuis l’âge de 20 ans, elle a fait beaucoup de choses dans ce domaine en Iran. Elle a fondé plusieurs musées, créé l’Institut pour le développement intellectuel des enfants et des jeunes adultes, le festival de Chiraz et de Touss… Elle a complètement renouvelé l’histoire contemporaine de l'art et de la culture en Iran. Donc c'est normal que les artistes, et beaucoup d’autres gens souhaitent être en lien avec elle.

Mais pour moi, personnellement, en dehors de tout ça, elle est une messagère de paix, au travers de sa vie, ses actes, son combat. Elle est très populaire en Iran. Elle est extrêmement sollicitée par les artistes et les gens, parce que sa vie a transmis ce message qu’elle répète très souvent : « C'est la lumière qui va vaincre les ténèbres. »

Pour elle, la valeur suprême est-ce la paix ? C’est ça qu’elle promeut à travers sa collection ?

Oui, absolument.

Vue sur l’exposition de la Collection privée d’art de l’ancienne impératrice Farah Pahlavi.
Vue sur l’exposition de la Collection privée d’art de l’ancienne impératrice Farah Pahlavi. © Siegfried Forster / RFI

Visiblement, elle n’apprécie pas seulement le talent, mais aussi l’humour des artistes. La caricature de Philippe Geluck montre un chat absent, mais des souris empêchées à danser, parce que « dans certains pays… la musique est interdite ». Et la célèbre « écriture » de l’artiste Ben martèle : « Oublions d’oublier ! » L’impératrice, a-t-elle eu aussi un impact sur les artistes ?

À travers les œuvres des artistes, on voit bien que l’Impératrice a eu une influence sur les artistes. Souvent, ils ont réalisé des œuvres liées à elle, son portrait ou d’autres images d’elle… De l'autre côté, quel était l'impact des artistes sur elle ? Dans son dernier message, elle a dit : « Tant qu'il y a l'art, il y a un espoir pour réunir le monde. » Ça, c'est vraiment son message. Pour elle, l'art, c'est de l'espoir. Tant qu'elle voit que les artistes la sollicitent et souhaitent la voir, elle reste très optimiste et sait qu'elle est sur la bonne voie.

Cette collection, ces œuvres, sont-elles connues en Iran ?

Maintenant oui. Puisqu'on en parle en Iran, on a eu des galeries de Téhéran qui ont visité cette exposition ici à Paris. Les journalistes ont fait leur travail et aujourd'hui, on parle dans nombreux les lieux culturels et artistiques de cette exposition.

Vue sur la caricature de Philippe Geluck, feutre sur papier, montrée dans l’exposition de la collection privée d’art de Sa Majesté Farah Pahlavi.
Vue sur la caricature de Philippe Geluck, feutre sur papier, montrée dans l’exposition de la collection privée d’art de Sa Majesté Farah Pahlavi. © Siegfried Forster / RFI

Née en 1938 à Téhéran, Farah Diba, ancienne étudiante en architecture, est devenue la première impératrice couronnée de l’histoire de l’Iran, lors du sacre de son mari Mohammad Reza Pahlavi. Et vous l’avez mentionné, elle a créé plusieurs musées en Iran : le musée Negarestan, le musée du Tapis de Téhéran, le musée de la Céramique et de la Verrerie anciennes de Téhéran, le musée Reza Abbassi et notamment l’ouverture du musée d’Art contemporain de Téhéran en 1977… Qu'est-ce que cela a laissé comme traces d’elle dans l'Iran actuel des ayatollahs ?

Le musée des Arts contemporains de Téhéran, en particulier, est très apprécié par les artistes et les gens en lien avec l'art en Iran. En fait, la collection d’art contemporain extrêmement importante de ce musée [qui inclut plus de 200 œuvres occidentales, de l’expressionnisme abstrait au pop art, de Gauguin à Picasso, Rothko, Bacon..., NDLR], est toujours fermée au public. Par rapport au fait que Sa Majesté Farah Pahlavi avait créé cette collection, on voit bien qu'elle avait enrichi son pays. Pendant qu'elle était en Iran, en tant que reine, impératrice, elle avait beaucoup investi dans l'art et la culture. Et elle a souvent soutenu les artistes, par exemple à travers des bourses données aux étudiants. Elle a tout fait pour enrichir culturellement le pays, parce qu'elle avait compris l'importance et l'impact de l'art pour développer la société.

Vous avez côtoyé et portraituré l’impératrice et sa famille. Quand vous faites le portrait, qu'est-ce qui est important pour elle : une couleur, une matière, un angle, le titre ?

Pour elle, ce qui est important, c'est plutôt l'esprit. L’impératrice est très spirituelle. J'ai eu aussi la chance de connaître le prince héritier Reza Pahlavi, qui est aussi très spirituel. Ce sont des gens vraiment très simples et très sensibles aux actes humains. Par exemple, elle a une collection très importante de mes portraits et de mes peintures, mais pour elle, ce qui est très important, ce sont des petits portraits simples, en fusain, avec une âme, un esprit… Le plus important, ce ne sont vraiment pas les matières. Même pour cette sélection de sa collection, je voyais combien elle a été sensible aux petites touches…

Vue sur Abou Ata : photo (1968) du Prince Reza Pahlavi et dorure (Tazhib) ; Russell Powell : « Femme, Vie Liberté ».
Vue sur Abou Ata : photo (1968) du Prince Reza Pahlavi et dorure (Tazhib) ; Russell Powell : « Femme, Vie Liberté ». © Siegfried Forster / RFI

Il y a un tableau intitulé Femme, vie, liberté. Est-ce en liaison avec le mouvement de protestation du même nom contre le régime islamique après la mort de Mahsa Amini ?

Oui, c'est l'œuvre d'un artiste qui n'est pas iranien. C'est un artiste américain (Russell Powell) qui l'a fait volontairement. Justement, c'est parmi les œuvres admirées par Shahbanou Farah Diba Pahlavi, qu’elle avait posé au milieu de son salon. Elle était très touchée. Et il n'est pas le seul artiste non iranien qui a fait des portraits [après la mort de Mahsa Amini le 16 septembre 2022, NDLR]. Ce mouvement très fort a commencé il y a un an et demi et ce n'est pas fini. Cela nous a donné énormément d'espoir, parce que ce sont les jeunes.

Parmi les œuvres exposées de la collection se trouve aussi le drapeau iranien sous forme d’une calligraphie de Fereydoon Omidi, peintre iranien né en 1967.

Nous n'avons pas exposé le drapeau iranien, nous avons exposé l'œuvre d'un artiste, une œuvre importante. Bien évidemment, ça évoque le drapeau… Pour moi, c'était quand même important de présenter d'une manière ou d'une autre le drapeau, directement ou indirectement. Là, c'est via une œuvre d'art créée par un artiste. Pour moi, l'impact est encore beaucoup plus important.

Pour vous, qu'elle est la chose la plus importante qui va rester de cette exposition ?

Tout d'abord, les gens qui viennent visiter l'exposition. Tous ces échanges avec des gens qui venaient de toute l’Europe : Angleterre, Espagne, Suède, Suisse, Belgique, Allemagne, Hollande… Il y a des gens qui vont venir des États-Unis. Tous ces gens qui se déplacent. Pour moi, encore plus important, ce sont les œuvres, cette force qui va au-delà d'un objet d’art. De pouvoir réunir les gens autour de l'art. C'est ça qui m'a touché le plus.

Vue sur un détail de « Paysage » du peintre iranien Manouchehr Niazi né en 1936.
Vue sur un détail de « Paysage » du peintre iranien Manouchehr Niazi né en 1936. © Siegfried Forster / RFI

► Exposition de la collection privée d’art de Sa Majesté Farah Pahlavi, du 8 avril au 24 mai au Fiap Jean Monnet, 30 rue Cabanis, 75014 Paris, tous les jours, de 10h à 21h, entrée gratuite.

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