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RDC: justice populaire dans le Sud-Kivu, une recrudescence de cas qui inquiète

Cent trente personnes lynchées par la foule en 2021 et plus d'une vingtaine depuis le début de l'année : homme, femme, enfant, personne n'est épargné. Dans la province du Sud-Kivu, en République démocratique du Congo (RDC), depuis près de trois ans, la population se rend justice en mettant fin à la vie de présumés délinquants. Des voix s'élèvent pour dénoncer cette pratique.

Trois présumés voleurs ont été lynchés par la foule, début avril, dans le quartier Cahi, dans la commune de Bagira, à Bukavu.
Trois présumés voleurs ont été lynchés par la foule, début avril, dans le quartier Cahi, dans la commune de Bagira, à Bukavu. © Radio Star - Pascal Ngaboyeka
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Douleur, chagrin, amertume : voilà les sentiments qui animent Sylvestre Mushaga, enseignant, depuis la perte de sa tante, Arrieta M’Mihando. Elle vivait dans le village Buhehe, dans le territoire de Kabare, au nord de la ville de Bukavu, dans la province du Sud-Kivu, en RDC.

« C’était le 8 juillet, vers 6 heures du matin, se souvient M. Mushaga. Nous dormions encore quand nous avons entendu beaucoup de bruit dans le quartier. Je suis le plus âgé de la maison, donc je me suis précipité pour voir ce qui se passait. En arrivant à la route, un voisin est venu me dire : "On vient d’attraper ta tante, nue, et on la tabasse. Si tu y vas, on risque de te frapper aussi". »

 « Nous avons retrouvé son corps en feu »

L’enseignant est alors tiraillé entre secourir sa tante ou préserver sa vie. « J’avais peur. Vous savez, ici, c’est un peu compliqué. Si tu essaies de témoigner pour quelqu’un pris par la foule, on te prend pour un complice. » 

Sylvestre Mushaga décide tout de même de s’y rendre, accompagné par deux amis. Mais c’est une scène d’horreur qu'il découvre en arrivant sur place. « Nous avons retrouvé son corps en feu. C’est le pire moment que j’ai jamais vécu. Nous sommes vite rentrés à la maison, car je n’ai pas pu regarder. Je n’ai pas supporté cette tragédie. Quelques heures plus tard, la police est venue et le chef de village nous a permis d’évacuer les restes de ma tante. » 

Selon des témoins, Arrieta M’Mihando était accusée de sorcellerie par la foule. Cette dernière la soupçonnait d’être à l’origine de la mort d'un jeune garçon. 

Pascal Ngaboyeka

Journaliste à la radio Star

Bukavu, RDC

pascalngabodiga@gmail.com

CENT TRENTE PERSONNES LYNCHEES EN UN AN

Cent trente personnes lynchées et brûlées par la foule en un an : c'est le triste bilan publié le 10 janvier 2022 dans le bulletin de la synergie des associations des jeunes pour l’éducation civique, électorale et la promotion des droits de l’homme au Sud-Kivu (SAJECEK-Forces Vives). Parmi elles, Arrieta M’Mihando (lire par ailleurs).
Cette structure de défense des droits humains indique que le mois de septembre 2021 a enregistré le plus grand nombre de victimes, trente exactement, et le territoire d'Uvira a été le plus touché avec dix cas répertoriés. 
Cette organisation déplore le silence « total des autorités » et le déficit en matière de gouvernance sécuritaire dans le Sud-Kivu. Certains proches de victimes demandent aux autorités compétentes de mieux veiller à la sécurité des personnes et plus de promptitude des forces de l’ordre lorsqu’une personne est menacée par la foule. Et depuis janvier, plus d'une vingtaine de personnes ont été tuées par la foule.

POURQUOI LA PERSISTANCE DE CETTE PRATIQUE ?

L'opinion publique est unanime : la recrudescence des cas de justice populaire au Sud-Kivu est un fait. Et les chiffres sont là pour le démontrer (lire par ailleurs). 
Mais pourquoi la population opte de plus en plus pour la voie illégale, en se rendant justice elle-même ? Pour de nombreuses personnes interrogées, la réponse est claire : c'est le manque de confiance envers les services de sécurité et de justice qui les pousse à agir ainsi. Tout en déplorant ces actes, certains habitants rejettent ainsi la responsabilité sur l’État. « Il revient à l’État de redresser son pouvoir judiciaire. Il doit travailler en toute indépendance et objectivité afin de punir tous les récalcitrants qui troublent la quiétude dans la société. », explique Prospère Bisimwa, habitant du village Tshofi, dans le territoire de Kalehe.
Delphin Birimbi, le coordonnateur de l’association Ensemble pour la promotion des droits humains (EPDH), abonde dans le même sens et ajoute que « le manque de sensibilisation à l’endroit de la population civile et des forces de l’ordre et de sécurité explique en partie la persistance de cette pratique ».

Prospère Bisimwa et Delphin Birimbi
Prospère Bisimwa et Delphin Birimbi © Radio Star - Pascal Ngaboyeka
CE QUE DIT LA LOI CONGOLAISE

Me Pascal Mupenda est directeur des programmes pays de l’organisation de défense des droits de l’homme Partenariat pour la protection intégrée (PPI). Il dit comprendre la peur qu’éprouve la population qui revoit dans un quartier ou village une personne jadis arrêtée et considérée comme « brigand ». Et il reconnaît qu'elle n’a aucune confiance dans les forces de sécurité et dans la justice. Mais il tient à rappeler différents articles de la Constitution congolaise du 18 février 2006 ainsi que des textes légaux évoquant notamment les responsabilités des uns et des autres. 

Le pouvoir judiciaire seul habilité à rendre justice

Il est ainsi indiqué « à partir de l'article 149, (que) le pouvoir judiciaire est le seul habilité à rendre justice. Ce qui sous-entend qu’aucune personne n’est permise de se rendre justice. L’article 6 du Code de procédure pénale insiste sur le fait que lorsqu’une personne est poursuivie par la clameur publique, (elle) doit être conduite vers un poste de police le plus proche. Dans le cas contraire, les auteurs peuvent être poursuivis pour arrestation arbitraire ». 
Selon lui, la foule qui amène la personne arrêtée par la « clameur publique » doit faire le suivi du dossier en délégant, par exemple, deux personnes afin de présenter les preuves sur les bases desquelles le magistrat instructeur ou l’officier de police judiciaire peut se fonder pour établir les faits.

La présomption d'innocence

Me Pascal Mupenda poursuit en parlant de responsabilité à deux niveaux. Et il met en exergue le principe de « la présomption d’innocence » évoqué à l’article 6 du Code de procédure pénale congolais et à l’article 17 de la Constitution. « À ce niveau, vous comprendrez que toute personne que vous pouvez faire arrêter en le déférant devant la justice, celle-ci est là pour vérifier si oui ou non la personne est coupable. Et tant qu’elle n’est pas encore jugée, la personne continue à jouir de la présomption d’innocence conformément à l’article 17 », explique-t-il.

Me Pascal Mupenda est directeur des programmes pays de l’organisation de défense des droits de l’homme Partenariat pour la protection intégrée (PPI)
Me Pascal Mupenda est directeur des programmes pays de l’organisation de défense des droits de l’homme Partenariat pour la protection intégrée (PPI) © Radio Star - Pascal Ngaboyeka
QUELLES PISTES DE SOLUTIONS ?

Me Pascal Mupenda, directeur des programmes pays de l’organisation de défense des droits de l’homme Partenariat pour la protection intégrée (PPI) plaide pour le renforcement professionnel des services de police et la sensibilisation de la population afin qu'elle évite de se rendre justice. 
Pour Théophile Kiluwe, ministre provincial de l'Intérieur et de la Sécurité, même si des cas de justice populaire sont toujours rapportés dans le Sud-Kivu, ils sont en régression ces dernières semaines. Mais les acteurs sociaux et les défenseurs des droits humains dénoncent le manque d’effectifs policiers pouvant contenir la foule lors de tels actes. Sur ce point, le ministre rassure. 
Des efforts sont en train d’être fournis par le gouvernement provincial afin de limiter ce fléau : « Le manque d’effectifs policiers est un problème national, ce n’est pas seulement au Sud-Kivu. Mais il y a déjà une solution qui a été envisagée par le chef de l’État, et d’ici peu, il y aura un recrutement sur toute l’étendue de la République, dans l’armée et dans la police. Raison pour laquelle on ne cesse de sensibiliser la jeunesse de quitter les groupes armés et de venir servir l’État dans les forces de sécurité loyales », a-t-il précisé.

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