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Tchad: la désillusion des jeunes en quête d'emploi dans la ville de Mondo

À Mondo, chef-lieu du département du Sud-Kanem, au Tchad, de nombreux jeunes peinent à trouver un emploi. Pour subvenir aux besoins de sa famille, Mahamat Saleh Abdéramen a tenté de gagner la Libye. Mahamat Mahamat Nour a préféré poursuivre ses études supérieures au Cameroun. Tous les deux ont accepté de témoigner.

Mahamat Mahamat Nour est le secrétaire général de l’Association pour le développement de Mondo. Titulaire d'une maîtrise, il n'a pourtant pas réussi à trouver un emploi.
Mahamat Mahamat Nour est le secrétaire général de l’Association pour le développement de Mondo. Titulaire d'une maîtrise, il n'a pourtant pas réussi à trouver un emploi. © Ali Younouss Ali
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« Il vaut mieux mourir pauvre que de souffrir comme ça ! », lâche tristement Mahamat Saleh Abdéramen, 23 ans. Comme de nombreux jeunes originaires de Mondo, chef-lieu du Sud-Kanem, au Tchad, il a voulu tenter sa chance loin d’ici. Mais c'est l'enfer qu'il a trouvé. « L’année dernière, j’ai raté mon bac. J’étais vraiment découragé. Parce qu'il n’y a pas d’avenir, ici (lire encadré). Alors, j’ai suivi les conseils de mes amis partis en Libye, en Algérie, en France. Sur WhatsApp, ils m’envoyaient des photos et me disaient qu’ils s’en étaient sortis. Et qu’après 3 à 4 mois, ils avaient pu envoyer de l’argent pour soutenir leurs parents ».

De la frontière avec la Libye...

Une nuit, le jeune homme prend place à bord d’un véhicule avec une vingtaine de personnes. Direction : la Libye. Un voyage d’une semaine. Sa mère ignore tout de ses projets. « Je n’avais pas d’argent pour payer mon transport, qui coûtait 75 000 francs CFA. Mais on m’avait dit que je pouvais partir et qu’une fois sur place, quand j’aurais trouvé du travail, je pourrais payer. Cela me coûterait plus cher, entre 100 000 et 150 000 francs CFA ». 

Une fois arrivé à la frontière libyenne, le jeune homme déchante. « On nous a cachés dans une chambre, puis on m’a demandé d’appeler ma famille pour qu’elle m’envoie de l’argent afin d’être libéré. J’ai contacté mes amis. Mais ils n’ont pas voulu m’en envoyer. À la place, ils ont prévenu ma mère, qui m’a convaincu de rentrer ». 

Le jeune homme réussit à s’échapper, mais il ne rentre pas à Mondo. À l’extérieur, il est pourtant confronté à une réalité bien différente de celle décrite par ses amis. « J’ai vu des gens se faire tuer devant moi. J’ai été maltraité. Nous n’avions pas d’argent, pas d’armes pour nous défendre. Et nous n’étions pas encore entrés en Libye ». Finalement, il réussit à s’enfuir pour le Tibesti. « On nous avait dit qu’il y avait de l’or. Et qu’on pouvait se faire de l’argent ! ». 

...aux régions d'orpaillage dans le Tibesti

Mais, de nouveau, les choses tournent mal. « Sans détecteur de métaux, on ne pouvait rien faire. On s’est rapprochés des gens sur place. Mais ils étaient très méfiants et nous ont fait faire des choses bizarres ». Mahamat Saleh Abdéramen pense avoir enfin gagné leur confiance. « Mais les forces de l’ordre tchadiennes sont arrivées. Je ne savais pas que des Tchadiens pouvaient maltraiter comme ça d’autres Tchadiens. On nous a jetés à terre, battus. Je pense que c’était pour nous décourager. Au bout d’un mois de calvaire, je me suis dit : stop, ça suffit, je rentre ! »

De retour dans les rues de Mondo, il croise d’autres jeunes ayant connu, comme lui, les mêmes désillusions. « Il faut vivre l’enfer qu’on a vécu pour comprendre. Ceux qui ne l’ont pas traversé ne peuvent pas comprendre… »

Le parcours du combattant même diplômé

Pourtant, même avec un baccalauréat, poursuivre ses études et trouver un emploi peuvent relever du parcours du combattant. « Les études primaires et secondaires sont gratuites au Tchad, rappelle Mahamat Mahamat Nour, 24 ans, secrétaire général de l’Association pour le développement de Mondo. Mais il faut financer nos études supérieures. Souvent nos parents sont analphabètes. Ils ne voient pas l’intérêt de faire des études. Et surtout, ils n’ont pas les moyens de nous les payer. Moi, j’ai la chance d’avoir un oncle qui me soutient ».

Après l’obtention de sa maîtrise, le jeune homme a cherché du travail à N’Djaména, la capitale. « Mais depuis 2016, la fonction publique ne recrute plus. Alors, je suis revenu à Mondo, sans emploi et sans argent ». 

Récemment, il a été admis en Master 2 à Yaoundé, au Cameroun. « Grâce au soutien de mon oncle, je peux poursuivre mes études. Tout le monde n’a pas cette chance. Mais plus tard, ce sera à moi de prendre en charge ma famille, mes petits frères. Donc, je tiens le cap ». Et de s’interroger : « Malgré ma maîtrise, je n’ai pas réussi à trouver de travail. Alors, vous imaginez un jeune sans diplôme qui n’a pas de parent ou de tuteur pour le soutenir ? »

60% des jeunes quittent la ville

Une situation qui l’inquiète : « Mondo a 20 000 habitants. Près de la moitié est constituée de jeunes, constate-t-il, 60% d’entre eux quittent la ville pour chercher du travail ailleurs. Une partie va vers les centres urbains, l’autre va vers l’extrême nord, dans les régions d’orpaillage et la Libye. Mais les jeunes y sont souvent embrigadés. Beaucoup n’en reviennent jamais. Une véritable perte ».

Ce qui génère beaucoup de colère. « Dernièrement, nous avons annoncé la mort de cinq jeunes à la radio, s’emporte Ali Younouss Ali, 30 ans, chef des programmes de la radio Bissam de Mondo. Ceux qui partent vantent leur réussite sur les réseaux sociaux et incitent les jeunes à les rejoindre. Mais tout ceci n’est pas vrai ! Pourquoi ils n’investissent pas le peu d’argent qu’ils ont dans le développement de Mondo au lieu de partir ? ».

CHANGEMENT CLIMATIQUE, INSÉCURITÉ ET MANQUE D'INFRASTRUCTURES

Pourquoi les jeunes de Mondo sont-ils si nombreux à quitter la ville, parfois au péril de leur vie ? L'exode rural n'est, pourtant, pas un phénomène nouveau, selon Ali Youssouf Idriss, enseignant de 37 ans et représentant de l'Association des jeunes intellectuels de Mondo. « Auparavant, les jeunes allaient travailler sur les rives du lac Tchad. Ils faisaient des travaux champêtres. Les rendements étaient bons. Les éleveurs pouvaient s'y déplacer avec leur bétail. Ensuite, ils revenaient à Mondo avec l'argent gagné et pouvaient nourrir leur familles. Mais aujourd'hui, ce n'est plus possible ».

La baisse du niveau du lac Tchad

Même si le niveau du lac Tchad semble ne plus baisser, d'après une étude de l'Institut de recherche du développement (IRD)1, « il s'est retiré sur de grands espaces », rappelle le Dr Allassembaye Dobingar, enseignant à l'université de N'Djaména. Dans les années 1970-1980, il avait ainsi perdu près de 90% de sa superficie, passant de 25 000 km2 à 2 500 km2. Ce qui a eu des conséquences sur les conditions de vie des populations de la région.

Les attaques de Boko Haram

Les attaques du groupe islamiste Boko Haram ont ensuite généré une importante insécurité. « Beaucoup de personnes ont été tuées, poussant les éleveurs à se rendre dans le sud du pays. Ce qui génère d'ailleurs des tensions avec les agriculteurs, dont les cultures sont parfois détruites par les troupeaux. Des ONG ont mis en place des programmes de lutte contre l'extrémisme islamiste. Mais certains projets ne tiennent pas suffisamment compte des besoins réels des populations », déplore le Dr Dobingar, aussi consultant dans le développement local.

Ni eau potable, ni électricité

Enfin, selon les habitants interrogés, la ville manque cruellement d'infrastructures. « Il y a d'importants problèmes sur le plan urbain et social », a constaté le consultant, qui s'est rendu à Mondo dans le cadre de projets, « il n'y a ni eau potable, ni électricité. Beaucoup de jeunes diplômés reviennent pour essayer de développer leur ville. Mais c'est difficile de lancer une activité quand il n'y a pas d'électricité. Il leur faut prendre en charge les coûts et cela revient cher ».

Des emplois dans l'artisanat ?

Les motos-taxis, le petit élevage et le commerce permettent à ceux qui restent de gagner un peu d'argent. « Mais ce n'est pas suffisant pour en vivre, explique le Dr Dobingar. Il n'y a pas de perspectives d'avenir pour eux. Alors, beaucoup partent, laissant derrière eux les femmes avec la responsabilité de nourrir les familles (lire encadré). Pourtant, il y a des besoins, au niveau local en maçonnerie, plomberie, menuiserie. On pourrait aussi améliorer la production agricole. Mais, il faudrait former la population ». Et espérer qu'elle puisse ainsi s'en sortir.

1 https://lemag.ird.fr/fr/le-lac-tchad-ne-sasseche-pas

QUAND DES FEMMES FONT VIVRE LEUR FAMILLE GRÂCE AUX OUADDIS

Avec le départ massif des jeunes de leur communauté (lire ci-dessus), certaines femmes de Mondo ont dû s'organiser pour générer des revenus et nourrir les enfants et les aînés. Rassemblées en groupement grâce à l'appui d'ONG, elles exploitent des ouaddis (photo). « Lors de la saison des pluies, l'eau s'accumule dans des vallées fermées et y reste plusieurs mois, explique le Dr Dobingar. Cela permet aux femmes d'y faire des cultures de septembre à décembre, comme des céréales, tubercules, légumes ». 

Dr Allassembaye Dobingar (à gauche) et des femmes de Mondo, qui font vivre leur famille grâce aux ouaddis.
Dr Allassembaye Dobingar (à gauche) et des femmes de Mondo, qui font vivre leur famille grâce aux ouaddis. © Ali Younous Ali
LA RADIO BISSAM (90.5 FM), «LA VOIX DU PEUPLE SAHÉLIEN»

Lancée en 2011 afin de servir la communauté rurale du département du Sud-Kanem, la radio Bissam a pour devise : « Éducation, Communication et Entente ». Elle couvre un rayon de 100 km. Santé, nutrition, éducation, environnement, agriculture, élevage, sport, culture sont autant de thèmes abordés dans les émissions diffusées en français, en arabe, ainsi qu'en gorane et kanembou. 
« Notre radio joue un rôle crucial dans cette localité sahélienne et pauvre, insiste Ali Younouss Ali, le chef des programmes de la radio Bissam. Grâce à nos émissions, nous arrivons à sensibiliser les communautés sur le VIH, la violence, la délinquance, l'importance d'inscrire les enfants à l'école ou de ne pas couper de petits arbres de manière abusive pour le bois de chauffage et la construction de cases afin de préserver l'environnement. Nous avons aussi souvent recours au théâtre et à la comédie pour éveiller la conscience des populations, surtout les jeunes ».

Ali Younouss Ali, le chef des programmes de la radio Bissam de Mondo, dans le Sud-Kanem, au Tchad.
Ali Younouss Ali, le chef des programmes de la radio Bissam de Mondo, dans le Sud-Kanem, au Tchad. © Radio Bissam

 

Reportage réalisé avec la collaboration de la radio Bissam, Mondo, Tchad.

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