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France: 14 ans de prison requis contre l'ancienne membre de l'EI Douha Mounib

L'heure du réquisitoire, au procès de la « revenante » Douha Mounib, qui se présente aujourd'hui comme « repentie ». Contre cette sage-femme de formation, poursuivie pour association de malfaiteurs terroriste pour avoir rejoint à deux reprises l'État islamique en Irak et en Syrie entre 2013 et 2017, et avoir accouché plusieurs femmes sur place, l'avocate générale a requis 14 ans de prison, assortis d'une période de sureté des deux tiers. La défense a ensuite eu l'opportunité de s'exprimer.

La police sécurise une entrée de la salle d'audience de la cour d'assises spéciale (photo d'illustration).
La police sécurise une entrée de la salle d'audience de la cour d'assises spéciale (photo d'illustration). REUTERS/Charles Platiau
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De notre envoyée spéciale à la cour d'assises spéciale,

« Je demande un quantum significatif, j'en suis consciente, mais je vais expliquer pourquoi », débute l'avocate générale. Il y a d'abord « la gravité intrinsèque des faits » : avoir rejoint l'EI, « alourdie par la circonstance particulière d'avoir entrainé avec elle un bébé », et les tentatives répétées pour se rendre sur place durant une longue période pendant laquelle « sa détermination n'a jamais failli ».

Mais Douha Mounib a reconnu la « globalité » de ces faits, l'enjeu porte donc sur le crédit apporté à son repentir. Or la magistrate voit plusieurs raisons de douter. Et en premier lieu, Douha Mounib « minimise les faits, et partant, n'assume sa pleine responsabilité », estime-t-elle. Notamment en prétendant que son mari n'a jamais combattu et qu'elle-même n'a jamais vu d'exactions.

Mais aussi en édulcorant ses motivations derrière son activité de sagefemme : sans contester l'aspect « humanitaire » des accouchements, l'avocate générale estime que cela lui donne un « rôle supérieur » au rôle lambda des femmes sur place, car ce type de fonctions étaient « essentielles à l'EI » dans le cadre de sa politique « de peuplement et de formation de futurs combattants ».

La magistrate remet également en cause « la bonne volonté affichée de l'accusée à rendre des comptes à la justice », notamment en refusant de donner des détails sur son entourage sur zone. Et puis il y a la personnalité de Douha Mounib : « Une jeune femme jusqu'au-boutiste qui a longtemps persisté dans l'idéologie radicale », ce qui pose la question de la réalité de son « désengagement idéologique » ; tout comme sa « détermination extrême quant aux faits reprochés » mais aussi dans sa « tentative d'évasion assez spectaculaire préparée sur plusieurs semaines » fin 2021 marque, pour l'avocate générale, « sa volonté de se soustraire à l'action de la justice ».

« Le changement affiché aujourd'hui est-il réel ? Je n'en sais rien, je ne suis pas dans sa tête. Mais pour les intérêts de la société que je représente, je prendrai le pari de ne pas la croire », conclut la magistrate.

 

La parole à la défense

L'avocat de Douha Mounib a enjoint la cour de « lui faire confiance ». « Qu'il est difficile de se défendre dans ce type de dossier, mais surtout de convaincre et d'être cru ! », a lancé en préambule Me Hazan, qui affirme avoir constaté « une difficulté supplémentaire dans le cas de Douha Mounib à appréhender la sincérité de son repentir. Comme si son parcours et sa personnalité avaient cassé les certitudes que la justice antiterroriste avait acquises au fils du temps. »

D'abord, avance la défense, « Douha Mounib est plus intelligente que les autres, elle élabore un disque beaucoup plus fin que la majorité, et c'est terrible que la justice s'en inquiète, ça ne doit pas aggraver son cas. » Autre point troublant « qui permet au parquet de semer le doute et la crainte » selon lui : « C'est un parcours extrêmement individuel, très isolé, loin de la structure rassurante » des filières de recrutement sur Internet ou dans les mosquées, des réseaux de passeurs. « Là, on ne sait rien, car elle, autour d'elle, il y a un vide et le vide, c'est l'incertitude que la justice craint, de peur de passer à côté de quelque chose », analyse-t-il.

Et puis surtout, sa cliente « bouscule aussi la dichotomie que la justice s'est construite sur le rôle des hommes et des femmes », avance-t-il, « la certitude que l'on poursuit les hommes pour des activités de combattant et les femmes pour le soutien qu'elles leur apportent et pour leur statut de femme, c'est-à-dire d'épouses qui mettent aussi leur fonction procréatrice au service de leur mari et de l'organe terroriste ». Or, pour l'avocat, Douha Mounib « balaie cette dichotomie d'un revers de main » en affirmant que lorsqu'elle est partie la première fois fin 2013, elle voulait combattre.

Mais elle ne l'a jamais fait. Et ce qui compte, c'est le rôle réel qu'elle a tenu sur place, insiste Me Hazan. Il réfute la théorie du parquet qui estime que Douha Mounib, en accouchant plusieurs femmes sur zone, a voulu contribuer à la politique nataliste de l'EI, et s'offusque du surnom médiatique qui a pu lui être donné, de « sage-femme de Daech ». « Ça veut dire quoi ? C'était sa formation, ce sur quoi elle s'était construite avant son tournant radical. En quoi cela caractériserait une imprégnation idéologique supérieure à d'autres présences féminines sur zone », qui ont généralement été condamnées à des peines bien inférieures à celles requises aujourd'hui, s'offusque l'avocat.

Et de rappeler, en outre, que sa cliente a mal vécu un avortement et été traumatisée par la mort de son 1er enfant deux jours après sa naissance à cause d'une maladie génétique. « N'y a-t-il pas là des ressorts personnels ? », interroge-t-il.

 

« Pas la peine du doute »

Mais Me Hazan souhaite surtout s'attarder sur la question de l'authenticité de l'évolution de sa cliente, le point central pour déterminer le quantum de la peine. Peut-on croire à son repentir ? « Il y a un autre aspect troublant chez elle, pointe-t-il. Elle déclare être revenue de cette idéologie, mais revendique quand même la persistance d'une pratique rigoriste de l'islam, c'est rare. » Mais pour l'avocat, ce n'est pas inquiétant ; au contraire, « ce devrait être interprété comme un élément de franchise ».

Il réfute également la position l'avocate générale qui affirme que sa cliente n'assume en réalité pas vraiment ses responsabilités, car elle minimise son rôle et celui de son mari au sein de l'organisation terroriste. Mais pour Me Hazan, « la minimisation reste un mécanisme de défense naturel, surtout quand on risque 30 ans. » Et cela doit être distingué de la dissimulation, la taqîya, « qui est autre chose et marque une persistance idéologique ».

Le conseil estime d'ailleurs que Douha Mounib a au contraire offert des éléments incriminants qu'elle n'était pas obligée de donner, puisqu'ils ne sont pas ou peu étayés en dehors de ses propres déclarations. Comme lorsqu'elle confie qu'elle voulait initialement combattre, que la condition de son 1er mariage était d'aller en Syrie, que son second mari ne serait jamais parti sans elle et que lorsqu'il lui a suggéré de quitter l'EI, elle voulait rester ; ou encore qu'elle avait approuvé l'attentat contre la rédaction de Charlie Hebdo en janvier 2015. « Il n'y a pas de minimisation, et sans ses déclarations, vous ne pouvez pas aller jusqu'à une condamnation de 14 ans avec une période de sureté des deux tiers », lance-t-il. D'ailleurs, « 14 ans, ce n'est pas la peine du doute, c'est la peine de la certitude », assène l'avocat.

Quant à sa tentative d'évasion fin 2021, pour laquelle elle sera jugée ultérieurement, Me Hazan rejette la position du parquet qui contredit radicalement le fait que Douha Mounib soit prête à assumer ses actes devant la justice. Lui l'analyse comme un acte de désespoir et la volonté de revoir sa fille, après quatre ans de détention à attendre un jugement ou une liberté conditionnelle. Et Douha Mounib « ne fait jamais les choses à moitié », rappelle-t-il. Il faut en tout cas « la contextualiser et la décorréler d'une motivation idéologique », estime-t-il.

« Douha Mounib a cette capacité, dès lors qu'on lui reconnait l'authenticité de son discours et les efforts énormes qu'elle a fournis pour évoluer, d'honorer la confiance de l'institution judiciaire », affirme Me Hazan, avant d'enjoindre la cour de « faire un pas vers elle ».

►À relire : Au premier jour de son procès, Douha Mounib se présente en repentie

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