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Bande dessinée

«L’Arbre aux pies», un conte fantastique de Daria Schmitt

Vous aimez les univers instables qui, pour des raisons mystérieuses, risquent de basculer à tout moment ? Daria Schmitt a plusieurs fois changé de vie avant d’atterrir dans la bande dessinée. Après des études d’histoire et d’architecture, après avoir travaillé en agence sur des décors et pour des metteurs en scène, elle s’est alors transformée en « jeune dessinatrice » qui n’aime guère révéler son âge. L’Arbre aux pies, son troisième album, nous plonge dans des univers étranges, inquiétants, inconnus, peuplés d’enfants capturés et envoyés dans la ville haute, le royaume de la magicienne Circé, le lieu de l’avenir. Entretien.

Détail de la couverture de la bande dessinée "L'Arbre aux pies", de Daria Schmitt, éditions Casterman.
Détail de la couverture de la bande dessinée "L'Arbre aux pies", de Daria Schmitt, éditions Casterman. Daria Schmitt
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Dans L’Arbre aux pies, Nel, l’héroïne de votre histoire, refuse de quitter la forêt et de grandir. Est-ce un conte initiatique ?

C’est un conte dissonant. J’avais envie de travailler sur quelque chose qui nous fait dire que nous sommes dans l’univers d’un conte, avec des couleurs assez douces, un univers enfantin. Mais alors que le conte est très codifié et qu’on connaît le déroulement, L’Arbre aux pies est dissonant. Il n’y a jamais la bonne chute. Il ne s’arrête jamais au bon moment. J’avais envie de décaler l’univers du conte. Le refus de grandir, c’est aussi l’histoire d’un retour impossible. Qu’est-ce qu’on fait quand on refuse de grandir ? On est devant une sorte d’impossibilité. Le personnage se trouve pris dans cette contradiction.

L’histoire est tellement troublante, qu’on a envie de s’accrocher aux choses qu’on connaît : le refus de grandir évoque l’histoire de Peter Pan, l’arbre aux pies et la forêt omniprésente pourraient sortir d’un conte des frères Grimm, la ville basse et la ville haute font penser au film culte Métropolis de Fritz Lang, la transformation des humains en porcs, rappelle le dessin animé Le Voyage de Chihiro de Hayao Miyazaki… Quels sont les univers qui vous ont inspirés pour cette histoire ?

Quand j’ai commencé cette histoire, j’ai lu absolument tous les contes de Grimm. J’ai aussi lu des contes de l’Europe de l’Est sur la forêt. Évidemment, Miyazaki est aussi une référence très forte. J’ai aussi lu les Contes fantastiques d’E.T.A. Hoffmann. J’ai cherché la littérature qui avait travaillé sur ce type d’imaginaire, sur le fantastique lié au conte.

Il y a l’histoire qui intrigue et des couleurs qui frappent : des verts et noirs sombres, on dirait presque sales. Une palette de rouges, très difficile à saisir : ce n’est jamais rouge comme le sang, une rose ou des framboises.

Le rouge et le vert sont justement complémentaires. Il y a quelque chose un peu dur dans le message sous-jacent de cette histoire, mais il est traité d’une façon plus enfantine. J’avais envie d’adoucir le propos souterrain qui est douloureux. Les framboises écrasées font penser à l’enfance qui se termine, mais le rouge sang est trop littéral, trop brutal. Comme il s’agit d’un conte décalé, j’ai décalé aussi les couleurs dans ce qu’elles transmettent immédiatement. On a tous un imaginaire sur le rouge qui est un peu agressif et violent. Dans l’histoire, ce n’est pas vraiment un rouge. C’est un rouge doux, revu par un enfant. Le vert n’est pas un vert de forêt, c’est le vert d’une forêt dont on aurait rêvé, un vert légèrement bleu. Il est toujours filtré par l’imaginaire de cette jeune fille qui, finalement, est un peu la mesure de cette histoire. On voit l’histoire à travers son regard, à travers ses émotions et d’ailleurs à travers ses mots, parce qu’elle est devenue elle-même la narratrice de l’histoire. Et les couleurs suivent cela.

Comment travaillez-vous les couleurs ? À l’ordinateur ? À l’acrylique ?

C’est de la couleur directe. C’est un très gros travail avec d’abord l’acrylique, de la peinture, et ensuite il y a un très grand travail aux crayons de couleur. Des crayons un peu spéciaux, avec beaucoup de cire. Quand on voit les originaux, il y a quelque chose de presque peint.

Casterman

La pie est omniprésente dans l’histoire. Dans notre culture, elle a une réputation douteuse. On pense à La Pie voleuse de Rossini, mais aussi à la BD de Hérgé, Les Bijoux de la Castafiore. Chez vous, les pies écoutent, sont curieuses, des bonnes accompagnatrices. Partez-vous à la rescousse d’une mauvaise réputation ?

[Rire] Dans la mythologie chinoise, les pies accompagnent par exemple le cortège de la mariée. Ce que j’aime dans les pies, c’est qu’elles jacassent et sont bavardes. Cette histoire est aussi une histoire de mots, puisque, à la fin, l’héroïne Nel va raconter son histoire différemment. C’est aussi quelque chose personnelle. J’ai beaucoup vécu en Provence où l’on était entourés de pies et du bruit des pies. Elles ont quelque chose d’omniprésent, d’assez discret, d’assez furtif. Elles me plaisent bien, ce sont des oiseaux que j’aime beaucoup.

Il y a les pies, mais il y a aussi le sanglier Ulysse, une amie Electre, la chatte Stella, l’orpheline Noé… Votre histoire regorge de noms mythologiques. Sommes-nous toujours tous des enfants de la mythologie, malgré les technologies qui guident et contrôlent de plus en plus nos vies ?

Ah oui, je pense que ce sont des choses très profondes qu’on ne quitte pas et qu’on peut tout à fait associer à toutes les technologies du monde actuel. D’ailleurs l’univers technologique, même les technologies science-fiction utilisent beaucoup les références à la mythologie.

Et des enfants orphelins chassés par une force diabolique qui prétende de construire un monde idéal, est-ce pour vous une allégorie de notre société actuelle ?

C’est une histoire à travers les yeux de Nel qui ne veut pas grandir. Pour elle, ce passage entre le monde de la forêt, de l’enfance et le monde de l’adulte, ne peut pas se faire dans la douceur et dans l’acceptation. Du coup, le fameux chasseur qui les arrache tous et qui fait aussi penser à Blanche Neige, est quelque chose d’assez radical. C’est vrai que je ne peux pas m’empêcher de penser qu’on grandit très très vite aujourd’hui, trop vite.

L’Arbre aux pies, de Daria Schmitt, éditions Casterman, 72 pages, 13,75 euros.
Du 18 octobre jusqu’au 2 novembre, Daria Schmitt expose les planches originales en couleur de L’Arbre aux pies ainsi que des illustrations inédites et créations réalisées en collaboration avec F. Schuiten à la galerie 9eArt à Paris. Dédicace de l'album L'Arbre aux Pies le samedi 19 octobre dès 15h.

 

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