«Run», le premier film sur la crise en Côte d’Ivoire sort en 2014
« Action ! » L'acteur court, suivi par une foule de figurants visiblement prêts à le lyncher. Philippe Lacôte, réalisateur, ne lâche pas des yeux cette nouvelle scène de Run, premier film sur la crise en Côte d'Ivoire, qui a fait plusieurs milliers de morts de 2002 à 2011.
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Le moment est important dans un pays meurtri par les violences vieilles de deux ans à peine. Run, dont le tournage s'est achevé début septembre, peut servir de catharsis, ou de prise de conscience pour les plus jeunes.
Le film retrace la trajectoire d'un paisible adolescent, appelé à devenir le « faiseur de pluie » (féticheur) de son village, qui rejoindra pourtant les « jeunes patriotes », les farouches partisans - parfois extrêmement violents - de l'ex-président Laurent Gbagbo.
De l'innocence au crime... « J'étais en Côte d'Ivoire en septembre 2002 quand la rébellion a commencé. J'ai filmé mon quartier à Yopougon Wassakara (fief des partisans de Gbagbo) pendant trois semaines. Plus tard, j'ai continué de suivre le conflit », se souvient Philippe Lacôte, Franco-Ivoirien de 42 ans, déjà auteur d'un documentaire sur le sujet.
« Alors que je filmais des ‘jeunes patriotes’, j'avais demandé à un des jeunes comment il était devenu l'un d'entre eux. Il m'avait répondu : ‘Moi j'ai trois vies !’ Je suis parti de cette phrase pour écrire le film », poursuit-il.
Une fiction ancrée dans le réel
Run se veut donc une fiction ancrée dans le réel. « Il y a des scènes qui me rappellent textuellement mon vécu pendant et après la guerre », commente Abdul Karim Konaté, 32 ans, l'acteur tenant le rôle principal. « J'étais là, à Yopougon. Là où ça a vraiment chauffé. (...) On raconte l'histoire. Il faut la raconter à ceux qui ne l'ont pas vue ».
Un exercice nécessairement périlleux quand le traumatisme est si récent. Car la crise reste omniprésente en Côte d'Ivoire. Laurent Gbagbo est actuellement emprisonné à La Haye, en attente d'un jugement de la Cour pénale internationale. Au quotidien, les partis ivoiriens s'invectivent toujours par presse interposée, dans un langage parfois cru.
Le contexte ne pourrait être plus épineux. « On a déjà eu des problèmes », reconnaît Philippe Lacôte : « on a tourné dans un ancien siège du FPI (le parti de l'ex-président) occupé aujourd'hui par l'armée ivoirienne. La presse du FPI nous a accusés de faire un film pour réunir des preuves contre Laurent Gbagbo. »
Le réalisateur, conscient de tourner une œuvre « politique indirectement », revendique pourtant « le droit d'aborder le sujet par la fiction », même « en terrain glissant ». « Mon objectif n'est pas de dire qui a tort ou qui a raison. Il est de raconter cette crise à travers un prisme individuel. La question principale du film, c'est : ‘Comment nous sommes arrivés à la violence ?’ »
Relancer le cinéma ivoirien
Run entend jouer un autre rôle, celui de relancer le cinéma ivoirien, actuellement « à terre », selon Mamidou Coulibaly-Diakité, président du conseil de gestion du fonds de soutien à l'industrie cinématographique. Les réalisateurs du cru reconnus (Henri Duparc, Gnoan M'Bala, Yéo Kozoloa ou encore Fadika Kramo-Lanciné) sont morts ou inactifs depuis plus de dix ans.
Sur 80 salles maillant le territoire, seules deux sont encore en exploitation. « Il faut tout reprendre à zéro », lance M. Coulibaly-Diakité via « une action volontariste sur le cinéma ». L'État ivoirien finance ainsi le film à hauteur de 7% du budget. Le reste des fonds provient de France et d'Israël. Pour une mise totale de 1,8 million d'euros. De quoi avoir à l'affiche Isaach de Bankolé, plus grand acteur ivoirien, reconnu à Paris et Los Angeles, qui n'était pas revenu au pays depuis 17 ans.
M. Coulibaly-Diakité rêve à terme d'une large production cinématographique en Côte d'Ivoire, à l'instar du Nigeria. La sortie de Run est prévue en 2014, avec une diffusion « en France, en Allemagne et dans de nombreux festivals », selon sa productrice Claire Gadea.
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