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Culture

Le Louvre Abou Dhabi, la difficile «Naissance d’un musée»

Le Louvre Abou Dhabi est un projet gigantesque doté de moyens pharaoniques : 5 300 ouvriers travaillent actuellement sur l’île de Saadiyat, au bord d’Abou Dhabi, pour que ce Louvre des sables puisse être inauguré en décembre 2015. Un édifice de 64 000 mètres carrés, construit par Jean Nouvel, la star des architectes, au cœur d’une cité muséale et touristique aux Emirats arabes unis. Sous le titre Naissance d’un musée, la « mère porteuse », le musée du Louvre à Paris, offre à partir de ce vendredi 2 mai en avant-première un avant-goût de la collection permanente, mais fait l’impasse sur les débats politique et culturel du projet.

Détail du tableau Osman Hamdi Bey (Istanbul, 1842 – île de Galatasaray, 1910). Jeune Emir à l’étude, Istanbul, 1878. Huile sur toile H. 45,5 cm ; L 90 cm.
Détail du tableau Osman Hamdi Bey (Istanbul, 1842 – île de Galatasaray, 1910). Jeune Emir à l’étude, Istanbul, 1878. Huile sur toile H. 45,5 cm ; L 90 cm. Louvre Abu Dhabi / Agence photo F
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C’est une petite statuette, nommée chaleureusement « Princesse » de Bactriane, pas plus haute que la largeur d’une main ouverte, qui nous fait chaud au cœur. Cette œuvre, créée au début du 2e millénaire av. J.-C. en Asie centrale, suscite la première très forte émotion dans cette exposition qui nous fait rencontrer la collection du Louvre Abu Dhabi. Le parcours dans les salles du palais du Louvre réunit 160 sur un total de 400 œuvres de la toute jeune collection acquise par le musée émirien. 200 millions d’euros ont déjà été dépensés pour l’achat des œuvres de la collection permanente. Le budget annuel d’acquisition se situe à 40 millions d’euros.

L’enjeu du projet

Faire d’Abu Dhabi la place culturelle de demain, susciter une ouverture et un échange des cultures, mais aussi de renforcer le prestige de la France et les finances du Louvre. Grâce aux savoir-faire et aux œuvres mises à disposition par le Louvre et les musées français, l’émirat versera 965 millions d’euros (dont 400 millions pour l’utilisation de la marque « Louvre ») dans un fond de dotation au service de l’institution française. Pour Vincent Pomarède, l’un des trois commissaires de l’exposition, avec ce projet du Louvre Abu Dhabi « la France tient le rôle qu’elle a toujours tenu » : « la diffusion de la culture ». Cette fois, « avec des moyens extraordinaires ». Jean-Luc Martinez, le nouveau président du Louvre et président du conseil scientifique de l'Agence France-Muséum qui coordonne l'expertise de grandes institutions culturelles françaises, avance les enjeux stratégiques de l’affaire avec un monde en mouvement et « une Europe en périphérie ». Henri Loyrette, l’ancien président du Louvre, souligne à juste titre qu’il s’agit du « premier musée universel dans cette région du monde ». La ministre de la Culture Aurélie Filippetti se dit convaincue que cela sera « une vitrine pour la France et notre savoir-faire ».

Quelle est la vocation du musée du Louvre ?

N’empêche, toutes ces affirmations rassemblées dans une vidéo digne d’une bande-annonce sonnent plus comme une campagne de pub qu’une politique culturelle convaincante et rayonnante. Dans l’exposition et les propos tenus, il manque cruellement un œil extérieur, un regard critique qui dépasse l’enthousiasme uniforme des meneurs de jeu. Par exemple, il y a une absence totale des débats suscités justement lors de la naissance de ce musée : est-ce que la vocation du musée national du Louvre est d’aller au-delà les frontières nationales ? Peut-on mettre une institution du service public au service d’une institution privée ? Quant aux conservateurs des musées français qui décident des acquisitions pour le compte et la collection privée de l’émir d’Abu Dhabi, le cheikh Khalifa, quels sont les risques de conflit d’intérêts vu que le budget d’acquisition du Louvre Abu Dhabi dépasse maintes fois celui de 7,5 millions d’euros du Louvre à Paris ? Et l’universalisme affiché pour le projet muséal de cette monarchie absolue oublie volontiers que l’universalisme républicain repose sur les valeurs de la liberté et l’égalité et le respect des droits de l’homme.

Devant la maquette du futur Louvre Abu Dhabi, le Président François Hollande est entouré à gauche du Cheikh Sultan Bin Tahnoon Al Nahyan, président de l’autorité du Tourisme et de la Culture d’Abu Dhabi, de Jean Nouvel et de la ministre Aurélie Filippetti.
Devant la maquette du futur Louvre Abu Dhabi, le Président François Hollande est entouré à gauche du Cheikh Sultan Bin Tahnoon Al Nahyan, président de l’autorité du Tourisme et de la Culture d’Abu Dhabi, de Jean Nouvel et de la ministre Aurélie Filippetti. REUTERS/Alain Jocard

Une sélection de chefs-d’œuvre en mode « best of »

Côté muséographie et scénographie, malgré le titre, l’exposition ne procure pas le sentiment d’assister à la naissance d’un musée. On est loin de l’innovation majestueuse de la grande Galerie du temps du Louvre-Lens avec sa mise en scène épatante de 205 œuvres qui avait marqué les esprits lors de l’ouverture en décembre 2012. Avec le Louvre-Lens, on avait vu naître un vrai musée universel du XXIe siècle. Le défi était d’enlever les frontières des départements et des disciplines et permettre ainsi un dialogue nouveau et fructueux entre les œuvres et les époques. Rien de cela ne règne dans le hall Napoléon du Louvre parisien qui présente la collection du Louvre Abu Dhabi. On a plutôt l’impression de parcourir une sélection de chefs-d’œuvre en mode « best of » pour épater la galerie.

Tout reste aligné par thèmes ou pour illustrer une civilisation ou une époque : la statuette égyptienne en bronze du dieu Osiris enchaîne avec une tête de Bouddha de la dynastie chinoise des Wei orientaux et une tête impériale romaine de l’Italie du IIe siècle après J.-C. « Sous le signe du sacré » laisse défiler un Christ montrant ses plaies (vers 1515) en bois de tilleul bavarois et polychrome à côté d’une figure Soninké/Djennenké du XIIIe siècle au Mali et d’un Shiva dansant en bronze de l’Inde du Sud du Xe siècle. La Bible gothique côtoie sagement un Coran syrien du XIIIe siècle. Et après la peinture en Iran, en Inde et au Japon nous attend « Le regard occidental » illustré par des peintres comme Ingres, Corot et Gauguin... Ce qui est gênant, n’est pas l’absence imposée d’œuvres jugées trop érotiques par les Emirats ou les trous d’acquisition souvent cités concernant la Renaissance ou l’impressionnisme qui menacent l’ambition encyclopédique. Décevant s’avère plutôt que ce nouveau musée ne semble pas profiter de sa liberté de construire quelque chose de nouveau. Peut-être aussi, parce que le Louvre Abu Dhabi n’a toujours pas désigné son directeur.

De Gustave Le Gray à Cy Twombly

Le seul domaine où « l’élève » dépasse son « maître » est de nature chronologique. Contrairement au Louvre parisien, le Louvre d’Abu Dhabi intègre les œuvres photographiques comme les pièces maîtresses d’un Gustave le Gray ou d’un Walker Evans, mais aussi la « Figuration et abstraction au XXe siècle » avec les toiles de Picasso, Magritte, Kazuo Shiraga, une Anthropométrie d’Yves Klein et même le « pseudo-writing » de l’expressionniste abstrait américain Cy Twombly, neuf acryliques monumentaux de 2008, achetés avec l’argent des Emirats apparemment au même moment où Twombly avait « gratuitement » décoré le plafond de la salle des bronzes du palais du Louvre. Tout cela ne change rien, tous ces chefs-d’œuvre semblent rester enfermés dans des cases, prêts à remplir les petites maisonnettes prévues par Jean Nouvel sous l’immense dôme blanc en acier perforé du nouveau musée, présenté en modèle réduit à l’entrée de l’exposition.

Dans les galeries du Louvre parisien, on n’assiste pas à la « naissance d’un musée ». On aura vu une partie de la collection d’Abu Dhabi. Le résultat de ce qu’il est possible d’acheter en œuvres d’art sur le marché de l’art en espace de cinq ans, conseillé par les conservateurs du Louvre. L’émotion de la véritable naissance du musée, on la vivra lors de l’ouverture prévue le 2 décembre 2015 aux Emirats arabes, le jour de leur fête nationale. Au programme : la collection permanente d’Abu Dhabi, accompagnée par 300 œuvres prêtées par les plus grands musées français et certainement entourées par toutes les discussions et polémiques qu’on essaie d'éviter actuellement à Paris.

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La Naissance d'un musée. Louvre Abou Dhabi, du 2 mai au 28 juillet au musée du Louvre à Paris.

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