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Analyse

Conflit en Ukraine: un voisinage menacé?

Mardi 24 février, au Sénat américain, le secrétaire d’Etat John Kerry s’est fendu d’une réflexion concernant l’Ukraine qui n’est pas passée inaperçue, en évoquant une « ligne de feu » entre Moscou et Washington sur laquelle se tiendraient un bon nombre d’autres Etats du Sud-Est européen. Au-delà d’un énième avertissement à l’endroit du Kremlin, la région, et notamment les Balkans, courent-ils le risque d’une propagation du conflit ukrainien ? Eléments de réponse.

Le président serbe Tomislav Nikolic (d.) reçoit son homologue russe Vladimir Poutine à Belgrade, le 16 octobre 2014.
Le président serbe Tomislav Nikolic (d.) reçoit son homologue russe Vladimir Poutine à Belgrade, le 16 octobre 2014. AFP PHOTO / VASILY MAXIMOV
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La formule a eu son petit effet et a été abondamment reprise dans les médias des pays concernés. Peu avant une audition devant le comité des Affaires étrangères du Sénat largement consacrée à la lutte contre l’organisation Etat islamique et à Cuba, le secrétaire d’Etat américain John Kerry, interrogé sur la stratégie d’influence du Kremlin, a expliqué que plusieurs pays d’Europe du Sud-Est - la Moldavie, la Serbie, le Kosovo, la Macédoine ou encore le Monténégro - se trouvaient sur une « ligne de feu » entre Washington et Moscou. Et le chef de la diplomatie d’enjoindre, au cours de son audition cette fois, les parlementaires à prendre la mesure de l’imposante « machine de propagande » russe à l’oeuvre dans la région.

La réflexion a certes plus attiré l’attention par le vocabulaire guerrier employé que par la dénonciation à proprement parler des velléités russes de déstabilisation de la région. Depuis les débuts du conflit en Ukraine, de nombreux officiels occidentaux ont fait part publiquement de leurs craintes de voir la péninsule balkanique (re)devenir le théâtre d’affrontements larvés entre l’Union européenne et les Etats-Unis d’une part, et la Russie d’autre part. Encore, en décembre dernier, Angela Merkel, la chancelière allemande, accusait Vladimir Poutine de « créer des problèmes » dans de nombreux pays, dénonçant le renforcement, par exemple, de ses liens économiques avec certains Etats des Balkans occidentaux pour mieux pouvoir jouer de son influence. Au même moment, la toute nouvelle représentante de la diplomatie européenne, Federica Mogherini, recommandait à Moscou de ne pas exporter les tensions ukrainiennes dans la région.

La rhétorique est donc connue, mais cette nouvelle déclaration illustre le climat diplomatique actuel. Depuis l’éclatement de la Yougoslavie, la région est le terrain de jeu des diplomates occidentaux (américains et allemands notamment) et russes. Les crises s’y sont succédé, avec comme point d’orgue l’intervention de soldats russes à l’aéroport de Pristina, en juin 1999, alors que les Etats-Unis et leurs alliés mettaient un point final à 78 jours de bombardements contre les positions serbes au Kosovo. Mais paradoxalement, les Balkans ont aussi été l’une des rares régions où des terrains d’entente ont pu être trouvés.

Le cas transnistrien

Alors derrière les avertissements, quelle menace ? Celle de troubles armés comparables à ce que connaît l’Ukraine actuellement ? Ce scénario, personne ne l’envisage sérieusement, même si le cas de la Transnistrie pose question depuis de nombreuses années. Cette minuscule République « soviétique » qui a fait sécession de la Moldavie - et qui borde le flanc sud de l’Ukraine - a officiellement demandé, par deux fois au printemps dernier, son rattachement à la Fédération de Russie. Une demande restée lettre morte mais qui demeure une carte dans la manche du Kremlin. La Transnistrie vit à ce jour sous complète perfusion russe.

La Moldavie est ainsi sans doute l’Etat du Sud-Est européen le plus vulnérable. Et même si le pays s’est tourné sans ambiguïté vers Bruxelles depuis les législatives tumultueuses de 2009, Chisinau reste sous la menace des velléités sécessionnistes. Outre les gesticulations transnistriennes, la région autonome de Gagaouzie (Sud) s’est aussi prononcée - au cours d’un référendum non reconnu par le pouvoir -, l’année dernière, en faveur d’un rapprochement douanier avec Moscou.

« Kerry met quasiment sur le même plan des pays des Balkans et ceux de la périphérie de l’ex-Union soviétique, s’étonne tout de même le politologue Jacques Rupnik, professeur à Sciences Po Paris et auteur de Géopolitique de la démocratisation. L'Europe et ses voisinages (Presses de Sciences Po). Les moyens d’intervention de la Russie dans les Balkans ne sont pas comparables avec ce qu’elle a pu faire avec la Géorgie en 2008, de ce qu’elle peut faire en Transnistrie ou de ce qu’elle fait actuellement en Ukraine. »

Lutte d’influence

Mais demeure l’enjeu de l’influence, notamment sur des pays « frères » comme la Serbie et l’entité serbe de Bosnie (Republika Srpska). Selon le politicologue bulgare Ivan Krastev, ce territoire pourrait être l’occasion pour Vladimir Poutine d’allumer un contre-feu au conflit ukrainien, à même d’affaiblir les Européens. « La Bosnie-Herzégovine est d’abord déstabilisée par le mauvais fonctionnement des accords de Dayton, juge pour sa part Jacques Rupnik. Tout le monde en Bosnie considère que ces accords ont fait leur temps et on espère que pour le vingtième anniversaire de leur signature [en décembre cette année, ndlr], il y aura une révision majeure. Mais il est vrai que les Russes essaient d’exploiter l’idée d’un Etat dans l’Etat. » L’annexion de la Crimée par la Russie a ainsi renforcé le désir d’un rattachement à la Serbie. « Seulement pour que ça marche, il faudrait d’abord que l’Union européenne abandonne complètement les Balkans, [et que] deuxièmement, la Serbie ait envie de jouer ce jeu-là, ce qui sonnerait la fin de ses ambitions européennes. »

Belgrade a en effet pris le chemin de l’Europe depuis longtemps - les négociations d’adhésion ont réellement débuté il y a un an - mais la Serbie reste un « proche allié » des Russes, comme l’a encore rappelé Vladimir Poutine lors d’un déplacement dans la capitale serbe à l’automne dernier.

 → A (RE)LIRE : Vladimir Poutine à Belgrade: le grand écart serbe

D’autant que l’échec du grand projet d’oléoduc South Stream, qui devait relier la Russie à l’Est de l’Europe, via la Bulgarie, a rebattu les cartes : il est devenu nécessaire pour la Russie de renforcer ses liens économiques avec certains Etats balkaniques. Les sanctions européennes et la réponse russe par l’embargo sur les produits agricoles européens a été par exemple l’occasion pour Moscou d’inciter des pays comme la Bosnie ou la Serbie à « profiter » de l’occasion pour écouler leurs marchandises sur son territoire. Mais il est difficile de rivaliser avec l’engagement, pris en 2003 par Bruxelles, de faire de ces Etats des pays membres à part entière de l'Union européenne.

La « plus-value » OSCE

Reste que la Serbie revêt une importance nouvelle, en cette année 2015 : elle préside l’OSCE, l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe, organe de dialogue Est-Ouest qui est garante, notamment, du respect des accords de Minsk en Ukraine. « La Serbie, qui sur le plan international ne pèse pas énormément, se trouve dans une situation où elle peut avoir une influence. Voilà une raison importante, parmi d’autres, pour la Russie de cultiver ses liens avec elle », souligne Jaques Rupnik. Mais pour cette même raison, elle demeurera sous le regard attentif des chancelleries occidentales.

A l’instar de Belgrade, plusieurs capitales de la région tentent ainsi de trouver une forme d’équilibre, tant les enjeux - économiques comme politiques - sont d’importance. Mais aucune ne semble partager l’alarmisme de John Kerry. Depuis dix ans, et le conflit en Irak, les Etats-Unis sont désengagés des Balkans, mais l’Otan gagne du terrain : après les adhésions croate et albanaise, trois pays de la région attendent leur tour, la Macédoine, le Monténégro et la Bosnie-Herzégovine. Une raison supplémentaire pour Washington de ne pas détourner les yeux de cette partie de l’Europe.

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