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Journée internationale de la femme

Issara : l’exil et le souvenir de l'exil

Les bons souvenirs de son enfance sont rares. Issara a très vite été confrontée à la dureté de la vie, trop vite arrachée de l’insouciance de son enfance, au Laos. A 50 ans, toujours hantée par son passé, elle reste optimiste.

Issara : «la vie n’était pas tendre avec moi, mais je suis très optimiste».
Issara : «la vie n’était pas tendre avec moi, mais je suis très optimiste». DR
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« Pour moi, l’exil n’a pas commencé en France. L’exil s’est emparé de la maison, chez moi, quand du jour au lendemain le décor a changé, les gens ont changé et papa est parti ». C’était en 1975 et Issara* n’avait que 11 ans. Ce jour-là, de la suavité de l’enfance et de l’école, elle est soudainement jetée dans l’abomination de la guerre,  des troubles politiques et tout ce qu’ils comportent : les camps de réfugiés, la trahison, le mensonge, le mépris. « Ça te construit pour toute ta vie », susurre-t-elle.

Elle boit une gorgée de son chocolat chaud pour bien avaler son émotion. Regard attentif, les cheveux longs et lisses rangés derrière la tête, ses mains étranglent la tasse… pour se réchauffer ou se concentrer. Très pudique, elle est avare de mots pour décrire ses malheurs. Mais elle n’hésite pas à dire sa reconnaissance aux personnes qui l’ont accueillie à son arrivée en France, en 1979.

D’une vie de princesse au camp de réfugiés

Au début des années 1970, Issara vit « comme une petite princesse » à une vingtaine de kilomètres de la capitale laotienne, Vientiane. Issue d’une famille aisée et nombreuse, « huit frères et sœurs et un frère adoptif donc on est neuf », papa et maman sont fonctionnaires, une grande maison, trois voitures garées devant la porte… « Nous avons tout ! Et mes parents sont heureux, ils partagent beaucoup, ils aident les gens », raconte-t-elle. « Tous les jeudis, un médecin vient à la maison pour ausculter les campagnards qui n’ont pas les moyens d’aller à Vientiane pour des consultations ». Après des décennies, les souvenirs n’ont pas pris une ride. Le récit est au présent, le bonheur brille dans ses yeux.

Une autre gorgée, les mêmes yeux, cette fois, pleins de larmes… En 1975, la mère de Issara est en Thaïlande, envoyée par l’ONU pour un stage. Les événements s’accélèrent dans le pays. Après des années d’instabilité et de guerre civile, le roi et la reine sont chassés du pouvoir, Souphanouvong, dit le « Prince rouge », devient l’homme fort du pays. C’est la naissance de la République démocratique populaire lao et le début des arrestations pour certains, l’exil pour d’autres. Issara a 11 ans, elle est l’aînée des filles et donc un peu responsable des autres. « Papa m’appelle dans la cuisine. Il me dit qu’il doit partir pour une semaine pour participer à un séminaire. Comme maman est absente, je dois veiller sur les petits ». La petite fille comprend très vite que le « séminaire » n’est qu’ « un précamp » pour son père qui passera des années dans un camp de travail. Elle ne le reverra qu’en 1993.

« Où est votre père ? », demande la mère à son retour. « Des gens sont venus à la maison. Ils ont brûlé les livres, ils ont tout pris. » Papa est introuvable, maman doit travailler dur, vendre ses bijoux et le peu qui lui reste pour nourrir la famille. L’école n’est plus ce qu’elle était. « Nous travaillons la terre pour cultiver des pommes de terre, des tomates… et une fois par semaine, nous devons faire notre "autocritique" ». Cette situation dure deux ans. La vie devient insupportable. La mère, sans nouvelle de son mari, inquiète pour ses petits, joue le tout pour le tout. Elle se prépare au pire. « Si on reste, je vais vous perdre tous. En partant, je pourrai peut-être en sauver quelques-uns », dit-elle à ses enfants. Deux frères traversent le Mékong à la nage. Maman et les autres sont à la merci des passeurs. L’enthousiasme de fuir cette vie est tellement fort qu’ils oublient les misères vécues dans la forêt avec les passeurs, les voleurs et les brigands. Ils arrivent tous finalement, sains et saufs, au camp de Nong Khai en Thaïlande. Elle y reste deux ans.

La France, terre d’accueil

A son arrivée en France, la famille de Issara est accueillie dans un foyer au sud du pays. Très vite, la jeune fille est envoyée dans une famille française, pour apprendre la langue de Molière. « Ma famille française était très gentille, j’ai appris la langue, les us et coutumes d’une vie à la française ». Elle fait des études, pas très poussées faute de moyens, mais elle s’en sort bien. Très vite elle commence les petits boulots, puis un travail plus stable et chemin faisant, des années après, elle devient journaliste. Issara ne s’est jamais sentie discriminée à cause de ses origines, mais elle sait et le répète à l’envi qu’elle doit redoubler d’efforts pour avancer dans la vie. « C’est sûr qu’une Française, avec le même âge que le mien, ayant les mêmes compétences et le même parcours, avancera plus facilement que moi. C’est normal, c’est quand même son pays ».

Persque quarante ans après son arrivée, Issara ne se sent toujours pas une citoyenne à part entière. « Pour les Français, je suis une Laotienne ; pour les Laotiens, je suis une Française ! ». Elle se souvient, au début des années 1990, « il y avait une soi-disant ouverture dans le pays, je n’avais pas vu mon père depuis 1975. Il était très malade, j’ai décidé de retourner au Laos pour le revoir et mon pays me manquait aussi ». Sur place, elle est traitée comme une étrangère par l’administration et par ses compatriotes. Et quelques années plus tard, quand elle devient journaliste, on lui interdit officiellement de rentrer chez elle. Quand son père décède en 2002, elle ne peut pas se rendre au Laos. « Je n’ai jamais pu faire mon deuil, je dois voir sa tombe ».

Entre deux cultures

Issara ne s’est jamais mariée. « Bien sûr, j’ai déjà été amoureuse comme tout le monde. Mais quand on grandit sans père, on n’a pas la même notion de la famille. Je ne me voyais pas avec un mari, une maison… C’est compliqué ! ». Elle n’a pas d’enfant non plus. Elle a réfléchi à l’adoption, pendant un court moment, mais elle a très vite déduit que « c’était par pur égoïsme et que ce n’était pas dans l’intérêt de l’enfant ». Alors le mieux c’est d’aider les enfants qui sont dans le besoin et de se sentir comme une mère. « J’adore les enfants, j’ai des dizaines d’enfants. Tous ceux que je parraine, qui sont dans les camps, je les aime et je les aide comme si ils étaient mes propres enfants ». Parce qu’il y a toujours des milliers de Laotiens dans les forêts thaïlandaises. « Les gens qui fuient le pays, des familles entières avec des enfants ».

Une raison de son activisme dans la vie associative : « SOS enfants Laos » ou « Comité des Veuves, femmes, enfants et familles des prisonniers politiques lao ». « On n’en parle pas beaucoup dans les journaux mais la situation est toujours très tendue au Laos (…) Eh oui, c’est toujours un Etat communiste ».

Issara « cultive son jardin », selon la formule littéraire : elle est libre, elle a un travail, une maison, mais l’ombre de l’enfance perdue la suit partout. « Je n’ai pas eu d’enfance, la vie n’était pas tendre avec moi, mais je suis très optimiste », dit-elle avec un brin de tristesse. Pas de colère ni de nostalgie, elle ne veut surtout pas se laisser aller et elle a trouvé son remède : « penser aux autres et me dire que ce que j’ai vécu ne doit pas être la vie des autres enfants ».

* Le prénom a été changé.

Notre dossier complet : Femmes d'ici, femmes d'ailleurs: paroles d'exilées

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