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RD-Congo/Cinéma/Droits de l'homme

RDC: inquiétudes sur le sort de Christian, personnage d’un film de Dieudo Hamadi

Alors que « Kinshasa Makambo » sera bientôt projeté sur la chaîne franco-allemande Arte [tourné fin 2016, ce documentaire témoigne de la lutte pour la tenue d’élections pluralistes en RDC], son réalisateur, Dieudo Hamadi, est venu nous parler d’un personnage de son film, actuellement dans un état critique à Kinshasa. Christian Lumu Lukusa, 27 ans, est détenu depuis près de six mois par l’ANR, le service de renseignement congolais. Il a besoin d'être transféré d’urgence à la prison de Makala pour enfin avoir accès à un médecin et à un avocat. A lire et écouter également à la fin de cet entretien : la réaction de Lambert Mende, ministre de la Communication de la République démocratique du Congo.

Christian Lumu Lukusa en 2015 au mariage d’un ami. "Son courage et son engagement politique m’ont amené à faire de lui un des trois personnages de Kinshasa Makambo".
Christian Lumu Lukusa en 2015 au mariage d’un ami. "Son courage et son engagement politique m’ont amené à faire de lui un des trois personnages de Kinshasa Makambo". @ Dieudo Hamadi
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RFI : Un de vos personnages, Christian Lumu Lukusa, aurait été enlevé puis incarcéré… Racontez-nous.

Le réalisateur congolais Dieudo Hamadi (2013).
Le réalisateur congolais Dieudo Hamadi (2013). © Dieudo Hamadi

Dieudo Hamadi : Christian est entre la vie et la mort dans une prison de Kinshasa. Je me sens concerné parce qu’on a travaillé ensemble près de deux ans. Je l’ai suivi ainsi que ses camarades dans des moments difficiles de leur lutte pour l’élection présidentielle. Et on s’est liés d’amitié.

Que savez-vous de son arrestation ?

Le 22 novembre 2017, alors qu’il attendait un ami devant un supermarché au niveau de la 7e rue de Limete, un quartier de Kinshasa, trois individus encagoulés l’ont fait monter de force dans une petite voiture et amené à l’IPKin, la station générale de la police. Après cinq jours de détention, il a été transféré à l’agence « 3Z » de l’ANR, le service de renseignement congolais situé en diagonale de la primature. Une agence aussi réputée que redoutée.

Quelle est sa situation actuelle ?

Tant qu’il est entre les mains de cette agence, il ne peut pas avoir accès à un avocat. Il ne connaît toujours pas le motif de son enlèvement et de sa détention. Sa famille a le droit de le voir deux minutes chrono chaque jour pour lui apporter à manger. Depuis quelques semaines, son état de santé s’est détérioré. Il s'est plaint de violents maux de dos. Il a contracté une infection urinaire et souffrirait, en plus, au niveau de la rate... Il n’a pas le droit de voir un médecin malgré la demande introduite par les siens auprès des autorités concernées qui leurs ont opposé une fin de non-recevoir. La situation est donc très alarmante, d’autant que le 7 mai dernier, il aurait été tabassé et menacé de mort.

Que demandez-vous à ces autorités ?

Cela fait près de six mois qu’il est détenu. On est censé être un pays de droit. Tout citoyen a droit à un avocat pour se défendre. La moindre des choses serait de lui permettre de passer devant un juge.

Le texto du 7 mai 2018.
Le texto du 7 mai 2018. @ Dieudo Hamadi

Il y a quand même un échange avec ses proches.

Au début, sa famille était confiante. Son père avait demandé que cette situation ne soit pas médiatisée. Il semble qu’il était en contact avec les agents de l’ANR qui auraient enlevé son enfant. Mais au bout de trois mois d’efforts et de rendez-vous, il s’est rendu compte que ça ne servait rien de faire pression par lui-même pour obtenir la libération de Christian. Aujourd’hui, complètement désespéré, il essaie de contacter les médias et certaines ONG des droits de l’Homme.

Comment décririez-vous Christian ?

Son courage et son engagement politique m’ont amené à faire de lui un des trois personnages de Kinshasa Makambo. Christian est un jeune activiste. Il milite à la fois à l’Union pour la démocratie et le progrès social, le plus grand parti d’opposition du pays, et au sein du mouvement citoyen Quatrième Voie. Il est beaucoup plus jeune que moi, il n’a que 27 ans. Il a lutté très tôt pour ses droits. Il avait à peine 14 ans quand il est entré à l’UDPS. En grandissant, il a compris que les partis ont des raisons qui leurs sont propres et que, parfois, leurs revendications ne sont pas bien portées par leurs leaders. Ce profil m’a intéressé : il est celui qui défend une certaine vision du monde et du pays mais qui va plus loin en étant aussi avec ces jeunes du mouvement citoyen dont on entend beaucoup parler. Des gens qui bravent les menaces de mort, les balles réelles… J’avais besoin de rendre hommage à ce courage.

Citez-nous un exemple de ce courage ?

Plusieurs fois, je me suis retrouvé à cause de Christian, grâce à Christian, en première ligne des affrontements entre la police et l’armée d’un côté et la population à mains nues de l’autre. Je voulais comprendre ce qui l’animait, ce qui pouvait amener un jeune si intelligent, qui poursuit ses études, à s’exposer ainsi à la mort. C’est quand même triste de voir des jeunes ainsi engagés. En fait, le pays se prive de telles personnes simplement parce qu’elles ont osé revendiquer ce qui devrait leur revenir de droit.

Dans le film, un autre personnage, Jean-Marie, vient de sortir de prison…

Le problème au Congo, c’est que vous pouvez passer des mois voire des années en prison pour tellement peu de choses. Ne serait-ce qu’un post sur Facebook ou je ne sais quel motif dérisoire... Surtout les jeunes. L’autre personnage que j’ai suivi, Jean-Marie Kalonji, on ne compte plus les fois où il a été arrêté et relâché. Quand on a tourné ce film, il venait d'être incarcéré huit mois pour enfin s’entendre dire que son dossier était vide. Huit mois quand même… A la fin, je ne sais pas quel résultat on escompte en traitant ainsi les jeunes d’un pays. Je ne sais pas.

Vous le montrez dans le film, ce sont des étrangers dans leur propre pays …

Ils sont obligés de vivre dans la clandestinité. Ils sont obligés de se taire. Ils sont obligés de baisser les yeux, de ne rien dire pour exister.

S’il avait un avenir, et il en a un, il va sortir Christian, on l’attend, il se destinait à quoi ?

Il fait des études de droit ! Il a quasiment fini ses études. Il veut devenir avocat ou magistrat. Mais il a tout à fait son avenir et c’est ce qui est intéressant. Ce n’est pas un « vulgaire » jeune congolais, comme on a l’habitude de le dire, un enfant de la rue, un désœuvré. Non. C’est un cadre universitaire qui peut avoir un diplôme et un emploi. Le voir conscient de la situation de son pays, essayer de porter sa voix pour contribuer à l’avancement de nous tous, et le prix qu’il doit payer à cause de ça, c’est assez révoltant.

Avez-vous en mémoire une anecdote avec Christian ?

Je me rappelle de la dernière fois où on était ensemble... C’était pendant le tournage. On venait tous d’apprendre la mort du leader de l’UDPS, l’icône de l’opposition congolaise. Certains de ses amis ne partageaient pas son avis mais, pour lui, c’était quelqu’un de très important. Il était abattu. Il a dit que « le Vieux » avait fait sa part et que c’est à la jeunesse de reprendre le flambeau. Il a insisté : « Ce pays ne va pas se relever sans sa jeunesse… » [Pause...]Je vous parle juste d’un jeune qui étudie avec ses moyens personnels. Sa famille n’est pas prospère. Il travaille pour payer ses études. Il vit au jour le jour et, comme on dit au Congo, « aujourd’hui tu manges et demain, tu ne sais pas si tu vas manger ». Il doit poursuivre ses études mais il ne sait pas quel jour il va retrouver la liberté.

Vous dites qu’il a un problème à la rate. Aurait-il subi des sévices ?

Je n’ai pas de témoignage direct de sa famille là-dessus. Je ne peux pas dire s’il a été torturé ou pas. Par contre, les conditions de détention sont extrêmement difficiles. Au point que les prisonniers des services de renseignement préfèrent être transférés à Makala, la grande prison du pays, où elles sont déjà difficiles. Jean-Marie y est passé aussi. Il dit que Makala n’est pas un paradis mais qu’on s’y sent redevenir humain. On a un petit carré où dormir, où respirer. Alors que dans les cachots de l’ANR, c’est invivable. D’un instant à l’autre, vous pouvez perdre connaissance, perdre la faculté de parole. Vous ne parlez à personne pendant de longs jours, de longues semaines. Vous êtes isolé dans le noir…

Il est à l’isolement ?

Oui et cela peut expliquer que sa santé se détériore*. En tout cas, il n’est pas en mesure de consulter un médecin alors qu’il souffre au niveau de la rate. Il est établi qu’il a contracté une infection et que jusqu’à présent il n’y a pas de prise en charge.

* Sans doute à cause de l’urgence qu’il ressent de témoigner, Dieudo Hamadi a arrêté ses études de médecine deux ans avant la fin pour devenir cinéaste… Il a reçu notamment le prix Joris Ivens au festival Cinéma du réel 2013 pour Atalaku et le Grand prix du Réel 2017 avec Maman Colonelle.
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Lambert Mende: «Un avocat peut s’occuper utilement de cela»

RFI a demandé au ministre de la Communication de la République démocratique du Congo, Lambert Mende, de réagir à nos informations sur le cas Christian Lumu Lukusa, ce personnage du film de Dieudo Hamadi dont l’état préoccupe le cinéaste.

RFI : Pouvez-vous nous donner des nouvelles de Christian Lumu Lukusa qui, selon nos sources, aurait été enlevé le 22 novembre 2017 et serait détenu à l’agence 3Z de l’ANR ?

Lambert Mende: «C’est le Congo bashing.»
Lambert Mende: «C’est le Congo bashing.» FEDERICO SCOPPA / AFP

Lambert Mende : De mon point de vue, il y a un abus de langage. Quand quelqu’un parle d’enlèvement puis de détention, pour moi qui suis juriste de formation, il y a un abus de langage. Quelqu’un qui a été enlevé ne peut pas être détenu. Chez nous, ne sont détenues que des personnes qui ont été arrêtées. Quelqu’un qui a été enlevé ne peut être que disparu. Il faut un avocat qui aille demander à la police pourquoi on l’a arrêté, pourquoi on le détient. Dès que vous parlez de détention, mon instinct de juriste tend à se méfier. On ne peut pas dire qu’il s’agit d’un enlèvement.

Concernant le cas de Christian Lumu, ce n’est pas un enlèvement.

Comment est-ce que je peux vous le dire ? Il y a séparation des pouvoirs. Ceux qui arrêtent les gens, c’est le pouvoir judiciaire, moi je suis du pouvoir exécutif. Au Congo, il y a séparation des pouvoirs. La justice est indépendante du gouvernement. Nous ne pouvons pas être mis au courant. Nous ne recevons pas leurs rapports. Même nous, ils peuvent nous arrêter, vous savez. Si je commets un détournement, on peut m’arrêter et me détenir. Ils n’ont pas à nous rendre compte.

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Lambert Mende 3

Mais vous, vous ne connaissez pas ce cas.

Non, pas du tout. Je suis au Kasaï d’ailleurs en mission. Et même si j’étais à Kinshasa, on ne m’aurait rien dit. On ne m’aurait rien dit parce que ça ne me regarde pas.

On dit qu’il va très, très mal, que son état sanitaire est très avancé…

Un avocat peut s’occuper utilement de cela. Je m’étonnerais que la presse puisse l’aider. C’est un avocat qui peut savoir, aller voir son client…

Mais justement, il ne peut pas avoir accès à un avocat. On me dit que…

S’il a recours à vous, c’est qu’il y a une manipulation. Excusez-moi. Il y a une manipulation. Vous êtes à Paris, Madame, moi je suis au Kasaï. Il ne faut pas qu’on nous manipule vous et moi... Et il ne peut pas avoir d’avocat ! Moi, je ne connais personne au Congo qui ne peut pas avoir d’avocat.

On me dit qu’il est à l’isolement.

C’est le « Congo bashing », Madame, ça ne m’intéresse pas. Je n’ai pas envie de discuter avec vous de cela. C’est le Congo bashing. Merci.

Merci.

Propos recueillis par Antoinette Delafin

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