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Nigeria

[Chronique] Nigeria: ces gouverneurs qui se comportent comme des rois

Au Nigeria, les gouverneurs exercent un pouvoir croissant et se permettent de nombreuses facéties. Les contre-pouvoirs, eux, se font extrêmement rares.

Le gouverneur de l'Imo state, Rochas Okorocha, a récemment nommé sa soeur ministre du Bonheur dans son Etat.
Le gouverneur de l'Imo state, Rochas Okorocha, a récemment nommé sa soeur ministre du Bonheur dans son Etat. Pius Utomi Ekpei / AFP
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S’il y a bien une chose que l’on ne peut pas reprocher au gouverneur de l’Imo State, dans le sud-est du Nigeria, c’est de ne pas faire parler de son Etat. Grâce à Rochas Okorocha, ce petit territoire du pays igbo a bénéficié d'une couverture médiatique mondiale. En effet, le gouverneur a créé le 4 décembre un poste de « commissioner » (ministre) du Bonheur. L’heureuse élue n’est autre que la sœur de Rochas Okorocha. Le gouverneur part sans doute du principe que le fait de travailler en famille est l’une des clés du bonheur. D’ailleurs, sa sœur Ogechi Ololo travaillait déjà avec lui : elle a occupé les fonctions de « chief of staff », sorte de bras droit du gouverneur, l’un des postes clés dans l’organigramme de l’Etat.

A ceux qui s’étonnent de sa nomination, Ogechi Ololo répond fermement : « Calmez-vous ! ». La ministre du Bonheur explique qu’avec le temps les administrés comprendront à quel point son poste est essentiel à leur bien-être. Afin d’assurer l’épanouissement des habitants de l’Imo State, elle va utiliser sa force de persuasion pour « réduire le nombre des divorces » et assurer la paix et « l’épanouissement des ménages ». Tout un programme. On ignore encore à quel tarif seront facturés ces services irremplaçables. Mais les contribuables de l’Imo State ne cachent pas leur inquiétude. Dans un passé récent, Rochas Okorocha a prouvé qu’il était très peu porté sur les économies.

Statue de Zuma à plus d’un million d’euros

Ainsi, il a inauguré en octobre 2017 une statue à la gloire de Jacob Zuma. Quand on lui a demandé combien elle avait coûté, il a répondu tout de go : « Elle n’est pas bon marché... Elle est chère ! » Selon le quotidien de Lagos This Day, elle aurait coûté plus d’un million d’euros. Tout comme une autre statue, celle-ci à la gloire d’Ellen Johnson Sirleaf, l’ex-présidente du Liberia.

Le chef de l’Etat sud-africain a été invité à l’inauguration de la statue à son effigie. A cette occasion, il a pu constater qu’une rue d’Owerri, la capitale de l’Etat, portait désormais son nom. D’autres statues devraient être prochainement érigées à Owerri. A chaque fois, elles coûteraient un million d’euros pièce. « Comment justifier de pareilles dépenses dans un Etat où la plupart des gens n’ont pas l’électricité ? », se demande Chioma, une étudiante d’Owerri, révoltée par ces réalisations.

L’Etat d’Owerri multiplie les arriérés de salaire à l’égard de ses fonctionnaires. « Des pensions de retraite n’ont pas été payées depuis plus d’un an. Des retraités sont morts parce que sans leur pension, ils n’ont pas pu acheter les médicaments nécessaires à leur survie », estime le site d’information Naija247news.

Pour sa part, le Guardian de Lagos s’interroge sur le choix des héros africains à honorer. « Pourquoi Jacob Zuma plutôt que Nelson Mandela ? Jacob Zuma est impliqué dans une foule d’affaires de corruption. Est-ce un exemple pour l’Afrique ? », s’indigne ce titre de référence. Nombre d’internautes nigérians s’étonnent aussi de la volonté d’honorer le président de l’Afrique du Sud alors que des mouvements xénophobes ont fait de nombreuses victimes nigérianes dans la nation « arc-en-ciel » ces dernières années. Le quotidien lagotien Vanguard rappelle que le président sud-africain n’a pas fait grand-chose pour ramener le calme dans son pays et pour protéger les immigrés nigérians.

Sapin de Noël à 1,5 million d’euros

En 2015, déjà, Rochas Okorocha avait marqué les esprits en « offrant » à ses administrés un sapin de Noël coûtant 1,5 million d’euros. Ces dépenses somptuaires lui valent peu d’ennuis. En théorie, l’activité des gouverneurs élus pour quatre ans est contrôlée par des assemblées locales, mais elles osent rarement s’opposer à « l’homme fort » de la région. Okorocha est au pouvoir depuis 2011. Il a été réélu en 2015. Par ailleurs, il est proche du président Muhammadu Buhari. Il est l’un des rares élus du sud-est à soutenir le président originaire du nord. Dès lors, ses projets ne sont pas non plus contrecarrés par le pouvoir central.

Lorsque des élus locaux ont réclamé récemment la mise en place d’un vrai fédéralisme, l’ex-président Olusegun Obasanjo, au pouvoir de 1999 à 2007, a déclaré : « Mais de quoi se plaignent-ils ? Les gouverneurs ont déjà plus de pouvoir que le président ». Un gouverneur qui a travaillé à la présidence partage en grande partie cette analyse : « Je ne sais pas si nous avons plus de pouvoir que le président, mais en tout cas, nous en avons beaucoup… Les assemblées locales osent rarement nous contredire. Alors qu’au niveau national, le Parlement s’oppose régulièrement à la présidence ».

Parmi les 36 gouverneurs élus pour quatre ans, l’un des plus puissants est sans conteste celui de Lagos : Akin Ambode. Le PIB de l’Etat de Lagos est équivalent à celui de la Côte d’Ivoire, du Cameroun et du Sénégal réunis. Si cet Etat était indépendant, il serait l’une des premières économies du continent. La sixième, selon les autorités de Lagos.

Ces dernières années, la puissance de cet Etat a encore cru : Lagos lève ses propres impôts et dépend de moins en moins financièrement de l’Etat fédéral. Signe des temps, le président Muhammadu Buhari n’a pas mis les pieds à Lagos depuis son élection en avril 2015. Il laisse ainsi le champ libre au gouverneur pour « incarner le pouvoir ». Ambode appartient au même parti que le chef de l'Etat, l’All Progressives Congress (APC). Il y a donc peu de chance pour que le pouvoir fédéral tente de contrecarrer ses initiatives.

Peu de Lagotiens osent affronter le gouverneur ou ses proches. Un pasteur a fait les frais de la toute-puissance de la famille Ambode. Lors d’une cérémonie où il officiait, il a donné sa bénédiction à plusieurs fidèles. Crime de lèse-majesté, il n’a pas commencé par l’épouse du gouverneur. Ne l’a-t-il pas reconnu ? A-t-il sciemment décidé de ne pas commencer par la première dame ? Les versions divergent. Quoi qu’il en soit, il a été démis de ses fonctions quelques jours plus tard.

Des gouverneurs « incontournables »

Les gouverneurs ne peuvent pas exercer plus de deux mandats. Mais pendant leur règne de huit ans, « ils engrangent tellement de contacts et d’argent qu’ils demeurent incontournables », analyse un ministre de l’Etat de Lagos. Ainsi Bola Tinubu, gouverneur de Lagos de 1999 à 2007, est toujours surnommé par les Lagotiens le « roi de Lagos ». « Bola Tinubu possède ou contrôle près de la moitié de la ville, affirme un influent patron de presse de Lagos. C’est lui qui choisit ses successeurs. Il finance leurs campagnes électorales et leur assure les soutiens nécessaires à leur élection. Babatunde Fashola, au pouvoir de 2007 à 2015, était son poulain. Tout comme l’est Akin Ambode, le gouverneur élu en en 2015. »

La puissance des gouverneurs se mesure aussi dans la vie quotidienne. Alors que je m’étonne que dans une résidence de Lagos, il y ait de l’électricité en permanence (un fait extrêmement rare dans la capitale économique du Nigeria) l’un des locataires m’explique le « secret des lieux » avec un léger sourire amusé : « La mère d’un ex-gouverneur habite dans cette résidence. Ça aide ». En effet, ça peut aider.

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