Accéder au contenu principal
Histoire

La résistance allemande face au nazisme: l'inextricable enfer du totalitarisme

Si le très large consentement de la société allemande au régime nazi a fait l'objet de nombreuses études où l'on cherche à déterminer notamment les rôles de la terreur, de la propagande et de la fascination, la résistance tant à l'intérieur qu'à l'extérieur du pays – avec les exilés – reste méconnue du grand public. Minoritaire et protéiforme, elle est marquée par nombre d'issues tragiques et raconte peut-être mieux que tout autre aspect de cette période l'emprise absolue du totalitarisme.

Le mur des conjurés du 20 juillet 1944 au Mémorial de la résistance allemande à Berlin.
Le mur des conjurés du 20 juillet 1944 au Mémorial de la résistance allemande à Berlin. © Olivier Favier / RFI
Publicité

Quand on pense à l’opposition allemande au nazisme, un nom revient souvent : celui du pasteur Martin Niemöller, l’auteur du poème « Quand ils sont venus chercher... » qui décrit les conséquences de la passivité et de l’indifférence face au totalitarisme. On sait moins qu’il fut d’abord partisan du régime hitlérien, avant de se rebeller contre ses mesures antisémites. Arrêté en 1937, il devint, après la guerre, un fervent militant pour la paix.

On pense aussi à une image, cet anonyme qu’on peut voir les bras croisés en 1936 au milieu d’une foule effectuant le salut nazi. En 1991, l’homme est identifié par sa fille comme étant August Landmesser, un ouvrier des chantiers navals de Hambourg. Lui aussi a soutenu le nazisme, il fut même membre du parti dès 1931, avant d’en être exclu en 1935 pour s’être fiancé à une jeune femme juive. Ni lui ni sa compagne ne survivront à la guerre.

Le grand champion cycliste Albert Richter est, quant à lui, viscéralement antinazi. Alors qu’il se résout à la fin de l’année 1939 à quitter l’Allemagne définitivement, il est enlevé par les autorités juste avant de passer la frontière et meurt dans des circonstances qui n’ont jamais été précisément établies. Par-delà leur force symbolique, ces parcours singuliers disent surtout la diversité des motivations et des formes prises par la résistance allemande au nazisme, qui commençaient parfois par le simple refus de se plier aux exigences du régime.

August Landmesser à Hambourg, le 13 juin 1936.
August Landmesser à Hambourg, le 13 juin 1936. © arastiralim.net, Public domain, via Wikimedia Commons

Les exilés

Entre 1919 et 1932, quelque 600 000 Allemands quittent la République de Weimar. Les raisons sont alors essentiellement économiques. Après 1933, une nouvelle vague touche 500 000 personnes, parmi lesquels 150 000 Autrichiens et 25 000 Tchécoslovaques après les annexions de 1938. Pour les Allemands des frontières de 1933, 300 000 sont juifs – dont un tiers après la nuit de Cristal du 9 novembre 1938 qui fait une centaine de morts –, 30 000 sont des opposants politiques, majoritairement de gauche, 5 500 sont des intellectuels, des artistes, des universitaires, des écrivains.

Si ces chiffres sont importants, ils sont infiniment moindres que ceux des exodes et expulsions massives de l’après-guerre, au moment de la constitution des deux blocs. Durant les années 1930, beaucoup de pays limitent l’immigration et certaines destinations évidentes, parce que germanophones, comme la Sarre sous contrôle français jusqu’en 1935, ou l’Autriche, annexée en 1938, cessent rapidement d’être sûres, de même que la France ou les Pays-Bas un peu plus tard. Parmi les 5 500 Allemands engagés pour la République espagnole, 2 000 trouvent la mort durant la guerre civile. Une majorité des émigrés terminent leur exil outre-Atlantique, aux États-Unis mais aussi en Amérique latine. Certains ne reviendront jamais.

Près de la moitié des juifs allemands restent malgré tout en Allemagne, l’immense majorité y sont assassinés durant la Shoah. À la fin de la guerre, il ne reste que 15 000 juifs en Allemagne, hormis les rares rescapés des camps. Le destin des exilés, juifs ou non, s’achève parfois en tragédie : les écrivains Walter Benjamin, Ernst Toller et Stefan Zweig (ce dernier autrichien) se suicident, la militante sociale-démocrate Johanna Kirchner est livrée par la police française aux nazis qui l’exécutent. Un millier d’Allemands rejoignent la résistance française, notamment dans les groupes des Francs-tireurs et partisans - Main-d’œuvre immigrée (FTP-Moi). Trois d’entre eux sont en tête du défilé quelques jours après la libération de Nîmes le 4 septembre 1944.

L'écrivain Erich-Maria Remarque arrive sur le «Queen Mary» à New York le 23 mars 1939. Ses romans, «Les exilés» (1939) ou «Arc de triomphe» (1946) demeurent parmi les plus saisissants témoignages sur la diaspora allemande antinazie.
L'écrivain Erich-Maria Remarque arrive sur le «Queen Mary» à New York le 23 mars 1939. Ses romans, «Les exilés» (1939) ou «Arc de triomphe» (1946) demeurent parmi les plus saisissants témoignages sur la diaspora allemande antinazie. © Felix Ring, CC BY-SA 4.0, via Wikimedia Commons

La résistance intérieure : « Orchestre rouge » et « Rose blanche »

Mais la résistance est aussi intérieure. En son sein, même si une branche agissait en France et en Belgique, on se souvient notamment de l’ensemble de réseaux connus sous le nom d’ « Orchestre rouge », sobriquet donné par la Gestapo qui entendait par là dénoncer leur inféodation à l’URSS. Si le travail de renseignement à l’attention de Moscou est réel, il n’a lieu que tardivement et ne rend pas compte de la diversité idéologique de ses membres dont le point commun est d’être animé par un sentiment antinazi. L’essentiel de leur action tourne autour de la sensibilisation politique, au travers de tracts notamment, tout comme celle des groupes d’étudiants de Stuttgart et Munich, connus sous le nom de « Rose blanche ».

Si une grande partie de l’ « Orchestre rouge » est démantelée fin 1942, les premières arrestations de membres de la « Rose blanche » ont lieu à Munich en février 1943 : Hans et Sophie Scholl sont guillotinés. L’histoire de ces deux jeunes protestants très croyants, qui représentent un autre pan de l’antinazisme, a été notamment transmise par leur sœur Inge. Plusieurs films, livres et chansons leur ont été consacrés, dont tout récemment, en 2016, une ballade du groupe français Mickey3D. Leur éloignement du communisme en a fait les héros de l’antinazisme en RFA du temps de la guerre froide.

Un autre groupe, très hétérogène celui-là, puisqu’il regroupe des chrétiens, des libéraux et des socio-démocrates, est celui dit du « cercle de Kreisau », nom donné là aussi par la Gestapo au groupe d’intellectuels qui se réunissaient entre 1938 et 1944 dans le château éponyme de Silésie appartenant à la famille aristocratique Von Moltke. Leur but est de réfléchir à l’après-guerre, mais certains participent à l’attentat contre Hitler en août 1944.

Quelques membres du réseau munichois de la «Rose blanche» au Mémorial de la résistance allemande à Berlin.
Quelques membres du réseau munichois de la «Rose blanche» au Mémorial de la résistance allemande à Berlin. © Olivier Favier RFI

Tuer Hitler

Dès 1938-1939, Adolf Hitler fait l’objet de nombreux projets d’attentat, la plupart préparés par des Allemands eux-mêmes, auxquels il n’échappe parfois que miraculeusement. Deux ont particulièrement marqué les esprits. Le premier est commis par Georg Esler, un ouvrier solitaire, ancien militant communiste, convaincu après l’invasion de la Pologne par l’Allemagne nazie et l’URSS qu’il faut empêcher que ne soit versé plus de sang.

Il remarque que la brasserie de Munich où, chaque 8 novembre, Hitler vient commémorer le putsch raté de 1923, n’est pas surveillée. Après une préparation minutieuse, il parvient à cacher une bombe dans un pilier près de la tribune où Hitler doit prendre la parole. Celui-ci écourte son discours, car il doit prendre plus tôt son avion pour Berlin en raison de mauvaises conditions climatiques. La bombe explose quand il est déjà parti. Georg Esler est arrêté et déporté, puis assassiné par la SS en avril 1945.

À lire aussiLes 8 et 9 novembre 1923, en Allemagne, le putsch de la Brasserie: la farce avant la tragédie

Le complot du 20 juillet 1944 en revanche, connu sous le nom d’ « opération Walkyrie », rassemble de nombreux éléments de la Wehrmacht, des civils plutôt issus du milieu conservateur, ainsi que quelques SS et policiers. Tous sont convaincus du caractère inéluctable de la défaite et entendent associer la mort de Hitler à un coup d’État. La bombe déposée dans une serviette par le colonel Claus von Stauffenberg dans la « tanière du loup », le quartier général du Führer, ne blesse que légèrement ce dernier.

Les conjurés réunis à Berlin au Bendlerblock – siège notamment aujourd’hui du Mémorial de la résistance allemande –, persuadés pendant quelques heures que l’attentat a réussi, échouent dans leur tentative de putsch. Plusieurs milliers de personnes seront arrêtées, le cercle de Kreisau démantelé. La répression s’abat bien au-delà du premier cercle des conjurés. Le maréchal Erwin Rommel, simplement convaincu de la nécessité de mettre fin à la guerre, est ainsi contraint de se suicider en octobre 1944.

Elise et Otto Hampel, couple de résistants allemands au nazisme, exécutés en 1943 pour avoir diffusé des cartes postales antinazies. Leur histoire a inspiré à Hans Fallada le roman «Seul dans Berlin», récemment retraduit par Laurence Courtois.
Elise et Otto Hampel, couple de résistants allemands au nazisme, exécutés en 1943 pour avoir diffusé des cartes postales antinazies. Leur histoire a inspiré à Hans Fallada le roman «Seul dans Berlin», récemment retraduit par Laurence Courtois. © Gestapo, Public domain, via Wikimedia Commons

 

 

NewsletterRecevez toute l'actualité internationale directement dans votre boite mail

Suivez toute l'actualité internationale en téléchargeant l'application RFI

Partager :
Page non trouvée

Le contenu auquel vous tentez d'accéder n'existe pas ou n'est plus disponible.