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Nigeria / Chine

[Chronique] La Chine à l'assaut du Nigeria

Pékin gagne chaque jour un peu plus en influence dans la première économie d'Afrique. Au point d’inquiéter les puissances occidentales, au premier rang desquelles les Etats-Unis.

Le président nigérian Muhammadu Buhari et le Premier ministre Li Kegiang à Pékin, le 13 avril 2016.
Le président nigérian Muhammadu Buhari et le Premier ministre Li Kegiang à Pékin, le 13 avril 2016. KENZABURO FUKUHARA / POOL / AFP
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Si l’écrivain nigérian Wole Soyinka vous donne rendez-vous à Abeokuta, sa ville natale, il y a de grandes chances pour qu’il le fasse dans un restaurant…chinois. « C’est le meilleur de la ville », explique-t-il, comme si ce « champion de la cause africaine » sentait obscurément le besoin de se justifier.

Dans son État d’origine, l’Ogun, dans sud-ouest du pays, les Chinois sont partout. À commencer par le domaine de la construction où ils taillent des croupières aux groupes européens, partenaires traditionnels du Nigeria, comme l’Allemand Julius Berger qui a fait sa fortune dans le bâtiment dans le pays.

À Lagos, la capitale économique du pays, il est difficile de passer une journée sans être en contact avec des Chinois, dans les quartiers populaires comme dans les plus aisés. Contrairement à ce qui se passe dans d’autres pays du continent, ils ne sont pas cantonnés dans des chinatowns et circulent partout.

Très souvent, ils font usage des transports collectifs ou des « keke », les tricycles qui ont envahi la ville. « Les Chinois se mélangent dans tous les sens du terme, constate un commerçant de Lagos qui travaille régulièrement avec l’Empire du Milieu. Maintenant, il y a plein de métis chinois dans le pays yoruba », dans le sud-ouest du Nigeria.

Corruption décomplexée

Leur présence est particulièrement visible à l’aéroport de Lagos. Des entreprises chinoises sont en charge de sa rénovation comme de celle des aéroports de la capitale Abuja, de Kano, dans le nord du pays, et de Port-Harcourt, dans le sud-est. Les Chinois sont particulièrement bien traités par les douaniers. « Nous savons qu’ils n’hésitent pas à verser des pots-de-vin, contrairement à beaucoup d’Occidentaux », estime l'un d'entre eux qui les apprécie tout particulièrement.

Sur les vols intérieurs, les compagnies locales font régulièrement du « surbooking » lorsqu’elles ont dû annuler des vols. « Les Occidentaux qui travaillent pour les Nations unies ou pour des ONG vont rater leur vol parce qu’ils ne veulent pas payer de bakchich alors que les Chinois vont passer devant tout le monde en agitant leurs billets pour montrer qu’ils sont prêts à "lâcher" ce qu’il faut, estime un homme d’affaires nigérian. Ils sont complètement désinhibés face à la corruption ».

« Ce type de désinhibition aide grandement à négocier des contrats avec les autorités nigérianes au niveau fédéral comme au niveau local. C’est pour cela qu’ils obtiennent autant de marchés, estime un ministre de l’État d'Ogun. D’autant que les entreprises occidentales font l’objet de contrôles de plus en plus sévères dans leur pays d’origine ».

Rénovation du rail

Pékin fait tout particulièrement les yeux doux à l’État de Lagos, dont le produit intérieur brut (PIB) équivaut à lui seul à celui du Sénégal, du Cameroun et de la Côte d’Ivoire réunis. Depuis peu, Pékin invite le ban et l’arrière-ban des personnalités nigérianes à découvrir les « charmes de l’Empire du Milieu ».

« Les Chinois veulent sans cesse nous faire des cadeaux, confesse un ministre de l’État de Lagos récemment invité en Chine. Ils souhaitent participer à tous les événements que nous organisons. Ils insistent tellement pour se rapprocher de nous que cela finit par nous inquiéter ».

La Chine contribue déjà à refaçonner le Nigeria. Elle réhabilite notamment les voies ferrées, longtemps restées en déshérence. La ligne Abuja-Kaduna a ainsi vu le jour en 2016. La capitale fédérale est désormais reliée à l’un des poumons économiques du nord du pays.

La Chine a également promis de réhabiliter la ligne ferroviaire Lagos-Ibadan, d’une importance vitale puisqu’elle raccordera les deux plus grandes villes du sud-ouest, Lagos et ses 22 millions d’habitants, et Ibadan, qui en compte plus de 10 millions. Autre projet de taille : celui d’achever prochainement à Abuja le premier métro du Nigeria.

La présence chinoise est aussi marquée dans le nord du pays, déserté par les Occidentaux depuis près d’une décennie du fait des attaques de Boko Haram et de la hausse de la criminalité.

Satellites en cadeau

Signe des temps, la Chine vient d’annoncer, début janvier, qu’elle « offrait » deux satellites au Nigeria, d’une valeur de 550 millions de dollars. En échange, elle prendra une participation, dont la hauteur n’a pas été communiquée, dans Nigcomsat, la société en charge de la gestion des communications par satellite du pays.

Officiellement, il s’agit seulement pour la Chine de « faire des affaires » et de « saisir des opportunités financières ». Mais derrière la volonté de développer dans ce « pays-clé » sur le continent, une politique d’influence apparait clairement.

Ainsi la transition numérique au Nigeria, en matière notamment de télévision, est gérée par des entreprises issues de l'Empire du Milieu. StarTimes, une entreprise chinoise qui domine le marché de la télévision numérique par satellite dans le nord du Nigeria a écarté de son bouquet nombre de médias occidentaux.

Elle met en avant des programmes de la Télévision centrale de Chine (CCTV) en anglais, en mandarin ou en français. Même l’abonné qui n'a pas payé son forfait à StarTimes continue de recevoir CCTV dans ces trois langues.

Rivalité avec Washington

Ultime pied de nez à l’Amérique, Pékin envisage aussi d’ouvrir une école de cinéma à Lagos, sur les terres de « Nollywood », au cœur de l’industrie du cinéma qui a pris pour modèle Hollywood. La montée en puissance de la Chine au Nigeria ne laisse pas Washington indifférent bien au contraire.

Dans les milieux diplomatiques, il se susurre que le désamour de Washington à l’égard de Goodluck Jonathan et le soutien appuyé des États-Unis à son rival lors de la présidentielle de 2015 trouve en partie son origine dans la politique jugée « trop prochinoise » de l'ex-président.

Mais avec son successeur, Muhammadu Buhari, élu en avril 2015, la donne n’a pas beaucoup changé. Confronté aux réticences de l’Occident à lui prêter de l’argent, Abuja se tourne de plus en plus fréquemment vers Pékin. Au Nigeria, tout le monde a compris que l’Empire du Milieu est là pour rester et étendre son influence. Quoi qu’en pense ou qu’en dise Washington.

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