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Culture

La Cultural Encyclopaedia, le projet de toute une vie de Nana Oforiatta-Ayim

Nana Oforiatta-Ayim l’admet sans peine : elle « aime les livres ». De là à vouloir créer une encyclopédie pour chacun des 54 pays africains, il y a un pas. L’idée a pourtant fait son chemin chez l’écrivaine à l’origine de la Cultural Encyclopaedia, une plateforme pour promouvoir les cultures africaines. Aujourd’hui, elle collecte les savoirs partout où elle le peut, en commençant par les dix régions du Ghana, son pays d’origine.

Nana Oforiatta Ayim au Chale Wote Street Art Festival d'Accra au Ghana en 2015.
Nana Oforiatta Ayim au Chale Wote Street Art Festival d'Accra au Ghana en 2015. Wikimedia Commons
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En 2007, Nicolas Sarkozy affirmait que « le drame de l’Afrique, c’est que l’homme africain n’est pas assez entré dans l’histoire ». Cette phrase, prononcée depuis le campus de l’université Cheik Anta Diop au Sénégal, Nana Oforiatta-Ayim s’en souvient encore. La jeune Ghanéenne a pris le président français à la lettre.

Après avoir étudié la politique et travaillé un peu pour l’ONU, Nana Oforiatta-Ayim est à Londres en master d’histoire de l’art africain à la School of Oriental and African Studies (SOAS). Elle y poursuit un doctorat sur la drum poetry, « une forme de philosophie et d’histoire racontée par le langage des tambours et traduit dans un langage parlé ». Lors de ses recherches, elle se dit frustrée du « fossé » entre la richesse de la culture ghanéenne et la difficulté d’y accéder, car « évidemment nous n’avons pas le même rapport à l’écrit que vous aviez en Occident » - bien qu’elle précise qu’il existe des écrits de philosophie yoruba.

De 2009 à 2010, l’historienne travaille avec l’architecte David Adjaye sur l’exposition Visionary Africa qui se tient au Palais des Beaux-Arts de Bruxelles. Chargée de raconter la fabrique de la culture dans les pays que David Adjaye a traversés pendant dix ans, la chercheuse dispose alors d’une équipe mais de peu de temps. Pour elle, c’est une révélation. Ce travail de recherche, celui de « toute une vie », elle peut le mener elle-même.

En voyage du Nigeria à l'Ethiopie

Dans la foulée, la Ghanéenne part avec Invisible Borders, un collectif de photographes, d’écrivains et de réalisateurs sur les routes africaines, du Nigeria à l’Ethiopie. De ce voyage, elle rapporte l’idée d’un livre non-exhaustif - parce qu’ « on ne peut bien sûr pas avoir un livre complet sur la culture d’un pays » - qui puisse « donner une idée de ce qui se fait dans un pays ». A son retour, elle présente son ébauche d’encyclopédie culturelle du Nigeria, dans le cadre de l’exposition The Ungovernables du New Museum de New York. La première version physique de la Cultural Encyclopaedia est née.

Depuis, le projet a grandi. Dans deux semaines, elle partira sillonner les dix régions de son pays en compagnie de trois chercheurs pour collecter des informations, qui seront ensuite éditée par son équipe de 14 spécialistes. La matière collectée sera publiée en ligne, puis triée sur le volet pour la version papier, qu’elle souhaite voir imprimée l’an prochain. Après ce premier volume sur le Ghana, l’historienne espère pouvoir en sortir plusieurs à la fois : Nigeria, Kenya, Éthiopie, Sénégal...

Ces encyclopédies seront constituées de tous types de documents. Des écrits universitaires, des travaux d’artistes, des histoires orales, des photographies de lieux et de familles, des lettres, etc. Pour les obtenir, elle essaie de nouer des liens avec chacune des communautés en passant par un guide et un traducteur, afin d’éviter la « suspicion vis-à-vis des étrangers ». A travers le « musée mobile » qu’elle a imaginé, l’artiste espère rencontrer les habitants pour leur expliquer sa démarche et leur offrir un « miroir dans lequel ils peuvent se voir ».

Un site en « open source »

Une exposition du « musée mobile » est déjà prévue en juin à Accra, puis à Kumasi en septembre. En parallèle, l’écrivaine organise des ateliers dans les universités sur le modèle des « wikithons », où des contributeurs se réunissent pour combler les lacunes de ce qui est aujourd’hui la plus grande encyclopédie en ligne : Wikipedia. Beaucoup de documents déjà collectés ne sont pas encore en ligne, mais qu’importe, l’historienne de l’art veut collecter tout ce qu’elle peut et ne compte pas s’arrêter là. Elle cartographie aussi les différentes institutions artistiques d’Accra pour proposer un historique de leurs expositions.

Une fois que le site sera en mesure de connecter tous ces savoirs, Nana Oforiatta-Ayim veut le rendre open source pour l’ouvrir aux contributions des internautes : « un peu comme Wikipedia où on peut mettre en ligne des informations soi-même, mais pas tout à fait dans le sens où ce ne sera pas objectif ». L’écrivaine veut des entrées par auteurs, avec des biographies des contributeurs, pour qu’ils disent « qui ils sont et ce qui les intéresse ». Si elle souhaite que l’encyclopédie en ligne soit alimentée en continu, Nana se défend de vouloir créer un Wikipedia africain. L’écrivaine préfère « une encyclopédie qui soit un point de départ plutôt qu’une fin en soi », qui « mène à des questionnements, des approfondissements, des recherches personnelles » plutôt que de décider de manière « définitive et autoritaire » ce qui est ou n’est pas un savoir.

Pour elle, la Cultural Encyclopaedia s’inspire beaucoup plus de l’Encyclopédie de Diderot, qui « fut un point de ralliement pour les Lumières ». L’historienne considère que l’Afrique est en train de vivre une « grande transition ». « Nous sortons de l’ère postcoloniale et nous ne savons pas de quoi sera fait demain. L’économie croît, les capitales s’étendent, tout arrive si vite sans que nous ayons un moment pour nous arrêter et réfléchir à qui nous sommes, d’où nous venons, où nous allons ».

« Avancer de la manière la plus libre possible »

Si elle assume s’appuyer sur les canons de la culture occidentale, elle s’interroge sur le respect de sa culture ghanéenne. Assurant vouloir respecter la façon dont les connaissances se transmettent dans son pays et éviter le biais d’un regard étranger sur son histoire, elle estime néanmoins qu’il faut reconnaître « l’hybridation » qu’elle a connue.

Ce tiraillement entre deux cultures, elle l’a déjà éprouvé quand il a fallu trouver de l’argent. Pour lancer son projet, elle a bénéficié d’une bourse de 40 000 dollars du Musée d'art du comté de Los Angeles, mais a depuis refusé la proposition de Google d’héberger l’encyclopédie sur le Google Cultural Institute. « C’était une super proposition, mais en même temps je voulais vraiment que le projet soit mené par des Africains, en Afrique. Je ne dis pas que nous ne ferons jamais de partenariats avec de grandes entreprises high-tech, mais pour l’instant, nous voulons avancer de la manière la plus libre possible ». Pour financer les recherches et les « musées mobiles », elle s’appuie sur le mécénat des entreprises et espère un soutien du ministère du Tourisme ghanéen. Elle réfléchit aussi à une structure qui puisse assurer la durabilité du projet à long terme, avec un système similaire à celui de la Stanford Encyclopedia of Philosophy, qui permet des formules d’abonnement pour les institutions.

Le rêve de Nana Oforiatta-Ayim, c’est de voir la Cultural Encyclopaedia sur les étagères de toutes les universités du continent, et pourquoi pas dans les écoles et les foyers, « juste pour qu’ils puissent voir l’étendue de ce qu’il y existe sur leur continent et que leur soit renvoyé toute sa richesse, ses couleurs, sa pluralité ». Celle qui a plongé dans les livres avec l’Encyclopédie Botanica et qui se définit avant tout comme une écrivaine et une idéaliste l’assure : « rien ne peut battre une bibliothèque ». Difficile de ne pas la croire quand elle dit en plaisantant : « ça fait cinq ans que je travaille dessus, j’irai jusqu’au bout ».

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