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Etats-Unis

En Californie, la «soif» inextinguible des «data centers»

En un an, les 800 et quelques data centers de Californie « boivent » l’équivalent de 158 000 piscines olympiques pour se « rafraîchir ». Pour maintenir les machines qui stockent les informations numériques à une température inférieure à 40°C, les climatisations consomment des centaines de milliards de litres d’eau par an. Si leur « soif » commence à poser problème, c’est que, dans le berceau de la Silicon Valley, sévit depuis quatre ans une sécheresse endémique.

Le fonctionnement des «data centers» repose sur leur climatisation.
Le fonctionnement des «data centers» repose sur leur climatisation. Andrew Harrer/Bloomberg via Getty Images
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L’appétit des data centers, les centres de sauvegarde de données informatiques, pour l’énergie électrique est bien connue. Les serveurs informatiques, ces machines qui stockent les informations numériques, alignés côte à côte dans des salles dédiées, tournent 24 heures sur 24 et sont forcément très gourmands en électricité. Mais leur « soif » d’eau était jusqu’à présent quasi ignorée du grand public.

Dans un récent article du Wall Street Journal, Drew Fitzgerald révèle l’énorme consommation d’eau des data centers californiens. Le journaliste pointe que, selon le cabinet de consultance en technologies 451 Research LLC, plus de 800 data centers sont implantés en Californie, le berceau de la Silicon Valley. Se basant sur ce chiffre et une estimation de leur consommation d’eau (produite par le secteur industriel lui-même), il calcule que la totalité des centres de stockage de données informatiques de cet Etat du sud-ouest des Etats-Unis utilisent à l’année autant d’eau que nécessiterait un remplissage de 158 000 piscines olympiques.

Le fonctionnement des data centers repose, surtout en Californie où les températures grimpent jusqu’à plus de 40°C l’été, sur leur climatisation. En effet, les centaines de serveurs informatiques utilisés pour le stockage des données ont besoin d’un environnement tempéré pour être efficaces et nécessitent donc d’être refroidis toute l’année, ce qui requiert beaucoup d’électricité… et d’eau, les climatiseurs utilisés dans les data centers californiens étant le plus souvent des climatiseurs dits « à eau perdue », dont l'eau utilisée pour refroidir l'air est évacuée ensuite par les égoûts, ou à eau glacée.

Sécheresse endémique

Un centre de sauvegarde de données de taille moyenne (15 mégawatts), par exemple, aura besoin de 300 à 490 millions de litres d’eau par an pour rafraîchir ses machines. Chaque data center de cette taille consomme à l’année autant d’eau que trois hôpitaux, un peu plus d’eau que 200 hectares d’amandiers - une culture traditionnelle en Californie -, et plus d’eau que deux golfs de 18 trous.

La plus grande « ferme à serveurs » de Californie grandit de 4% sa taille par an. La compagnie Emerson Electric, qui vend des climatiseurs aux data centers, prévoit - en plus de cette croissance particulière - une multiplication des centres. Chaque opérateur devrait construire trois nouveaux data centers de taille moyenne par an en Californie, selon ses estimations. Bientôt, le marché des data centers sera le plus rentable de l’Etat. Et si les centres de sauvegarde de données informatiques consomment aujourd’hui bien moins d’eau que l’agriculture (le secteur engloutit 80% de l’eau de l’Etat) ou les producteurs d’électricité, leur inévitable croissance entraînera une pression de plus en plus forte sur l’environnement, d’autant plus que les data centers ont généralement besoin de l’eau traitée par la municipalité, la même que celle utilisée par les restaurants et les hôtels. (L’agriculture se sert dans les lacs et les sources, et les installations électriques peuvent, elles, employer de l’eau salée quelques fois).

Depuis quatre années, la Californie est confrontée à une sécheresse endémique. Le niveau d’eau douce des rivières et des nappes phréatiques est historiquement bas, certaines sont déjà asséchées. La situation est si préoccupante que le gouverneur de l’Etat, Jerry Brown, a ordonné aux villes californiennes de réduire de 25% leur consommation annuelle d’eau. Mais les entreprises ont été largement épargnées par ses économies, même si le secteur agricole a récemment décidé de freiner sa consommation. Les officiels californiens ne s’en cachent pas : les restrictions en eau ne doivent pas entraver le développement économique.

Un amandier mort à Bakersfield, le 23 juillet 2015, à cause d'une sécheresse historique en Californie.
Un amandier mort à Bakersfield, le 23 juillet 2015, à cause d'une sécheresse historique en Californie. REUTERS/Lucy Nicholson

Récolter l'eau de pluie

Pour moins dépendre de l’eau potable des villes, certains centres de données essaient tout de même de diversifier leurs « fournisseurs » en eau. Microsoft Corporated, qui dirige plus de cent data centers en Californie, éteint ses climatiseurs lorsque la température extérieure n’est pas trop élevée, ce qui est une façon de réduire sa consommation en eau. Google Incorporated tente de récolter l’eau de pluie et d’autres ressources hydriques non potables. Digital Reality Trust Incorporated a passé des contrats avec des mairies afin de recycler les eaux usées des communes, mais ces eaux, qui ne doivent pas être souillées par les déjections humaines, ne sont pas toujours disponibles.

L’hébergeur de Twitter, lui, a construit des puits… surtout pour sécuriser son accès à l’eau au cas où il y aurait des coupures, et pour dépenser moins d’argent. Un autre hébergeur a installé des réservoirs d’eau géants pour les mêmes raisons. Ce n’est pas l’écologie qui guide leurs actes en premier lieu.

Rares sont les data centers qui s’appuient sur des climatiseurs économes en eau, car ceux-ci sont plus énergivores. Chez Emerson Electric, on est clair : « L’eau est moins chère que l’électricité », dit son vice-président en charge du développement des affaires à Drew Fitzgerald. « Si le prix de l’eau n’augmente pas, il y aura une pénurie d’eau pour tout le monde ». En Californie, l’électricité coûte chère par rapport à l’eau et par rapport à son prix dans d’autres Etats du pays. Mais l’eau, bien que moins onéreuse, reste chère.

« Il est très surprenant de continuer à installer des data centers en Californie », lâche Pierre Leca, chef du département Sciences de la simulation et de l’information (DSSI) au Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) - Direction des applications militaires (DAM) d’Ile-de-France. « Par rapport au climat et aux prix de l’électricité et de l’eau, d'autres Etats offrent un meilleur environnement. L’Oregon, par exemple, semble beaucoup plus propice à accueillir des data centers », détaille-t-il. (L’Oregon, au nord de la Californie, est devenu le nouvel eldorado des centres de données).

Refroidir au plus près les processeurs

Le CEA français possède deux data centers en région parisienne. Ils abritent des supercalculateurs plutôt que des serveurs de stockage de données numériques, mais ils sont soumis aux mêmes impératifs de refroidissement des processeurs (ou unités centrales) de leurs machines. Les chercheurs et ingénieurs du CEA ont trouvé le moyen entre 2000, année de construction de leur premier data center, et 2010, lancement du second chantier, de réduire de 30% la consommation d’eau de leur système de refroidissement. Ils utilisent plus d’électricité, certes, mais l’opération s’avère rentable économiquement et bénéfique pour l’environnement. Leur plus récent centre de données « boit » 7 millions de litres d’eau par an, quand l’ancien en « pompait » 200 ! Outre sept tours de refroidissement aéroréfrigérantes dites « hybrides » - car consommant très peu d’eau, en ruissèlement - qui soufflent de l’air froid dans les salles, ils ont installé des « portes à eau » directement sur les armoires renfermant leurs machines pour les rafraîchir mieux et en utilisant moins de ce précieux liquide.

OVH, le géant français et européen des data centers, troisième au rang mondial, amène,

Un groupe de production d'eau glacée dans l'un des «data centers» du Commissariat français à l'énergie atomique et aux énergies alternatives, en région parisienne.
Un groupe de production d'eau glacée dans l'un des «data centers» du Commissariat français à l'énergie atomique et aux énergies alternatives, en région parisienne. CEA

lui, l’eau, directement sur les unités centrales de ses machines via de minces tuyaux, pour refroidir au plus près les processeurs. Mais toutes ces optimisations ne sont possibles que si elles sont mises en place à la construction du centre de données… ou à sa totale rénovation.

« Une fois qu’un data center est en fonction, il est très difficile de rationnaliser ses besoins en eau et en électricité. Concernant ceux de Californie déjà en service, il faudrait investir, faire des travaux et tout rénover pour qu’ils consomment moins », conclut Pierre Leca. Mais aucune loi ni aucun label n'exhorte ou ne pousse les entreprises installées en Californie à effectuer ces changements. « En Europe, la Commission européenne a publié un code de bonnes conduites à mettre en place pour maîtriser les consommations de fluides et d’énergie dans les data centers, et nous l’appliquons depuis sa sortie en 2000 », ajoute le chef du DSSI au CEA. Une centaine d’institutions, d’universités et d’entreprises privées de l’Union européenne optimisent ainsi leur fonctionnement. 

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