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Médias

France: les médias touchés, mais pas coulés

Comme chaque année depuis 30 ans, le baromètre des médias (Kantar/La Croix) étrille les journalistes, en qui les Français semblent avoir de moins en moins confiance. Une publication alarmante, alors qu’outre Atlantique, l’administration Trump a, pour sa part, ouvertement déclaré la guerre aux médias. Mais en France comme aux Etats-Unis, tous les indicateurs ne sont pas au rouge, et les journalistes peuvent encore trouver des voies de salut.

Selon le baromètre du journal La Croix, 64% des Français ne s'intéressent pas aux médias et à l'actualité
Selon le baromètre du journal La Croix, 64% des Français ne s'intéressent pas aux médias et à l'actualité DR
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Le constat est inquiétant, mais pas inédit. Selon l’édition 2017 du baromètre annuel  réalisé pour le journal La Croix par Kantar, moins d’un Français sur deux pense que les choses se passent comme les médias les décrivent (52% croient ce qui est dit à la radio, mais seulement 41% ce que dit télévision, et 26% ce qui provient d’internet).

Par ailleurs, deux interrogés sur trois estiment que les médias ne sont pas indépendants du pouvoir politique, 58% qu’ils ne le sont pas des pressions d’argent. Là encore rien de bien nouveau : « Les doutes sur l’indépendance des journalistes ne datent pas d’hier. La confiance des Français n’a jamais été pleine et entière », rappelle François Ernenwein, rédacteur en chef du quotidien La Croix.

Comme chaque année, ce baromètre soulève son lot de questions en ce qui concerne sa réalisation : d’abord, il recoupe sous une même appellation « la télévision », ou encore « internet », sans tenir compte de la diversité de ces médias. Ensuite, il met sur un pied d’égalité les réponses des gens qui ne s’informent pas ou peu, et celles des publics qui consomment beaucoup d’informations.

Mais l’ancienneté du baromètre en fait un outil intéressant : « On appelle ça " travailler à biais constant " », explique Nicolas Kaciaf, enseignant la sociologie du journalisme à l’Institut d’études politiques de Lille. Une constante se dégage donc dans le baromètre de La Croix : seulement 64% des interrogés s’intéressent aux médias et à l’actualité. Un chiffre qui n’a jamais été aussi bas depuis 1987.

Toucher les publics déconnectés

A la lecture de l’étude, Franck Rébillard, professeur à l’université Sorbonne Nouvelle Paris 3 et spécialiste des médias en ligne, remarque qu’on peut distinguer deux publics : d’un côté les jeunes et les plus diplômés, qui ont une attente forte vis-à-vis des médias, et de l’autre des personnes souvent plus âgées ou qui habitent les petites villes et les campagnes, et qui s’informent peu, ou surtout via la télévision.

« Il y a une distance de plus en plus grande entre une partie de la population très liée aux flux de communication, bien intégrée aux échanges commerciaux, et une autre, qui vit un certain sentiment d’exclusion et de relégation », analyse Franck Rébillard. Cette seconde population, moins informée, associe les médias au reste des élites du pays, et considère que ces élites ne s’adressent pas à elle. « Schématiquement, c’est au travers de ce prisme qu’on pourrait lire la composition des électorats de Hillary Clinton et de Donald Trump ». Le constat de cette « déconnexion » entre élite politique et médiatique d’un côté, et population éloignée de l’information de l’autre est partagé par Emmanuel Rivière, Directeur général France de Kantar, qui a réalisé le baromètre.

Emmanuel Rivière, directeur général France de Kantar présente l'étude parue dans le journal La Croix
07:39

03/02 INV France 12h40 Emmanuel RIVIERE

Pour le professeur de sociologie de journalisme en ligne Franck Rebillard, cela appelle à une remise en question des médias : « en communication politique, on considère que les médias peuvent soit parler du jeu, soit des enjeux ». Le jeu, c’est la petite phrase, la polémique et le sondage. Les enjeux, ce sont les idées, les programmes. En couvrant le « jeu », les médias américains ont favorisé l’élection de Donald Trump. Mais selon l’enseignant, l’élection à la primaire de la gauche de Benoît Hamon, qui a fait campagne sur un programme plus que sur des polémiques, est un signe encourageant : les médias français pourraient choisir de privilégier, pendant la présidentielle, les débats d’idées aux combats d’égos.

Vérifier l’information…

D’ailleurs, le baromètre de La Croix demande aux sondés ce qu’ils attendent des médias dans le cadre de la campagne présidentielle. Si 20% des personnes disent vouloir que les médias s’engagent ou les aident à faire leur choix, les trois quarts des interrogés aimeraient d’abord que les journalistes fournissent une information vérifiée pour suivre la course à l’Elysée.

La vérification de l’information (fact-checking) est devenue une véritable branche à part entière du journalisme. En France, « Les Décodeurs » du journal Le Monde ou « Desintox », de Libération, sont la tête de pont de cette nouvelle discipline. Récemment, leur équipe a ouvert « Decodex », une plateforme qui référence les sites internet selon leur degré de fiabilité.

Problème  : l’équipe des Décodeurs, même si elle documente ses choix (comme elle fait rigoureusement pour tous ses articles) détermine seule les sites qui sont fiables et ceux qui ne le sont pas. La démarche peut être salutaire, mais le sociologue des médias Nicolas Kaciaf met en garde contre ce qui pourrait « créditer la théorie d’une police de la pensée  », c’est-à-dire l’idée que certains médias détiendraient une forme de vérité absolue, au risque de se détacher d’un public qui s’informe ailleurs ou très peu.

Pourtant, le fact-checking semble plus que jamais de mise. Dans le baromètre de La Croix, 73% des interrogés disent ne pas faire confiance aux informations qui circulent sur les réseaux sociaux – une source d’information toutefois de plus en plus consultée par les Français. Franck Rébillard pose le problème : « Une étude du Pew Center [institut américain d’étude de l’opinion] a montré qu’une immense majorité des personnes se disent capables de discerner les vraies informations des fausses sur la toile. » Et l’universitaire de tempérer : « Il faut tenir compte des exemples concrets plus que des déclarations et, dans les faits, les gens prennent souvent de fausses infos pour des réalités sur internet ». Il en va de même dans le baromètre de La Croix : ainsi 39% des sondés pensent que l’Etat a réservé plus de 77 000 HLM pour l’accueil de migrants, 30% que ce sont des moustiques génétiquement modifiés par Monsanto qui sont porteurs du virus Zika… Des informations dont il a pourtant été démontré qu’elles étaient fausses.

… ou prendre parti ?

Ces « faits alternatifs », comme les appellent les équipes de Donald Trump, se multiplient sur la toile. « Plus que jamais, on assiste à un éloignement entre la factualité et l’officialité », explique le sociologue Nicolas Kaciaf à propos du cas américain. En somme, il y aurait deux vérités : l’une produite par le gouvernement (à laquelle les médias états-uniens avaient historiquement l’habitude de se fier), et l’autre, basée sur des faits, relayée par des chercheurs, ou par des journalistes compétents.

Aux Etats-Unis, les journalistes justement, ont dans leur majorité toujours été vent debout contre le nouveau président, et ce depuis le début de la campagne présidentielle. Cette prise de parti séduirait-elle ? Possible, si l’on en croit le New York Times, qui a gagné plus de 300 000 abonnés au cours des trois derniers mois.

« On peut penser que de plus en plus d’Américains sont séduits par l’écriture austère et très factuelle de New York Times, suppose Nicolas Kaciaf. Mais le plus probable est que ces nouveaux lecteurs attendent du journal qu’il s’érige, comme il l’a déjà fait avec Trump, en adversaire politique. » Et l’enseignant de sociologie des médias de rappeler qu’après l’élection de Nicolas Sarkozy en 2007, les abonnements de Libération et du Canard Enchaîné, journaux classés plutôt à gauche du spectre politique, avaient décollé.

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