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Entretien

Arona Diedhiou: «Un dilemme pour l’organisation des compétitions en Afrique du fait du changement climatique»

Arona Diedhiou est directeur de recherche à l'Institut de recherche pour le développement (IRD) et co-directeur du laboratoire mixte international NEXUS sur le changement climatique et ses impacts. Pour RFI, ce spécialiste basé à Abidjan élargit le débat sur la possibilité (ou non) d’organiser la Coupe d’Afrique des nations de football en juin-juillet, à une période qui correspond en partie à la saison des pluies sur une large part du continent. Il invite ainsi les acteurs du sport à se concerter davantage avec les directions nationales de la météorologie. Entretien.

Le stade Port-Gentil au Gabon sous la pluie, lors de la CAN 2017.
Le stade Port-Gentil au Gabon sous la pluie, lors de la CAN 2017. AFP - STEEVE JORDAN
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RFI : Arona Diedhiou, pouvez-vous expliquer assez simplement aux internautes de RFI ce qu’est la mousson africaine ?

Arona Diedhiou : La mousson africaine est un flux d’air humide. Donc, ce sont des vents chargés en humidité qui nous viennent de l’Atlantique Sud et particulièrement du golfe de Guinée. Ce flux d’air humide va s’installer dans les pays de la côte – Côte d’Ivoire, Ghana, jusqu’au Nigeria – dès les mois de mars/avril. Et, ensuite, ce flux va remonter progressivement du sud vers le nord, dans les pays du Sahel – Sénégal, Mali, Niger, Tchad – où il va atteindre sa position maximale entre juillet et, disons, septembre. Donc, il y a une première phase de montée.

Ensuite, ce flux d’humidité va redescendre vers le Sud, des pays du Sahel vers les pays de la côte, de mi-septembre/octobre jusqu’à fin-novembre/mi-décembre, disons.

En réalité, cette mousson correspond à la période de la saison des pluies. Et c’est cette migration des pays de la côte vers les pays du Sahel, puis cette descente des régions sahéliennes vers les régions côtières […] qui permet ainsi d’expliquer pourquoi les pays sahéliens ont une seule saison des pluies qui va en général de juin jusqu’à septembre, et une longue saison sèche de septembre à mai. Alors que les pays de la côte ont deux saisons des pluies : une grande saison qui commence en mars/avril et se termine en juin/mi-juillet, une petite saison sèche entre mi-juillet/août et septembre, puis une petite saison des pluies entre octobre et mi-décembre.

Donc, de la même façon qu’on va imaginer la mousson comme des vents du Sud provenant de l’Atlantique qui sont frais et chargés d’humidité et qui marquent la saison pluvieuse avec la formation de systèmes pluvieux ou orageux, il faut comprendre que lorsqu’il n’y a pas de mousson, ou qu’il y a un retrait du flux de mousson, on a ce qu’on appelle une saison sèche qui va s’installer avec des vents du Nord chauds et secs, chargés en poussières qui viennent du Sahara. C’est typiquement ce qu’on appelle l’Harmattan. […]

Ce phénomène s’étend plus précisément sur quels pays ?

C’est un phénomène régional qui fait toujours l’objet d’études dans la plupart des universités d’Afrique et de la part des services météorologiques et hydrologiques nationaux. Et l’idée est vraiment d’améliorer les prévisions. Car la mousson a vraiment une importance capitale pour l’agriculture, l’économie, la santé, la sécurité des personnes dans tous les pays concernés, dans toute la bande équatoriale. […]

La mousson africaine va intéresser tous les pays africains dans la bande intertropicale, sauf les six pays d’Afrique du Nord – Maroc, Algérie, Tunisie, Libye, Égypte, Soudan – et les pays d’Afrique australe – Afrique du Sud, Lesotho, Swaziland, Namibie, Botswana… Sinon, tous les autres pays d’Afrique sont affectés par ce phénomène.

S’agit-il d’un phénomène régulier ou, à l’inverse, plutôt imprévisible ?

Il s’agit d’un phénomène régulier qui se produit chaque année dans la zone intertropicale africaine. Et, du fait de son caractère saisonnier, je dirais – par mesure de prudence – qu’il n’est pas imprévisible. En fait, même s’il y a eu beaucoup d’avancées ces dernières années dans les connaissances scientifiques autour de cette notion de mousson africaine, il y a encore des incertitudes et des améliorations à apporter sur notre compréhension des facteurs qui pilotent sa variabilité, et particulièrement la prévision des systèmes orageux. Systèmes orageux qui peuvent créer des fortes pluies, des inondations, des dommages considérables sur les infrastructures et la sécurité des personnes, et qui peuvent aussi perturber les activités sportives et culturelles, avec des coûts énormes pour des promoteurs comme la Fifa.

Permettez-moi quand même de préciser qu’une bonne partie de ces incertitudes provient du manque d’observations conduites sur le long terme. Les réseaux d’observations et de mesures du climat dans nos régions sont encore insuffisants. Or, avoir des mesures et des observations est important, car cela permet de comprendre le phénomène et ainsi de mieux les prévoir.

Sachant que dans chaque pays, il y a les services météorologiques et hydrologiques qui sont en charge de ces instruments de mesure, il y a un partenariat stratégique à monter entre les fédérations nationales de football et ces services pour développer les réseaux et permettre ainsi à ces fédérations de disposer de prévisions fiables pour planifier les activités sportives sur l’ensemble du territoire.

Dans un contexte de changement climatique où tout va être perturbé, les fédérations de football, et plus généralement les associations sportives ainsi que les ministères de la Santé, ont beaucoup à gagner à travailler avec les services météorologiques et à investir dans l’amélioration des prévisions météo.

Le dérèglement climatique a-t-il un impact particulier sur la mousson africaine ?

Oui. La mousson a beaucoup évolué dans certains pays. On a observé une forte variabilité, associée à une évolution dans les dates de démarrage et de fin de saisons des pluies, qui peuvent être précoces ou tardives. Et ce qui s’est confirmé durant les trente dernières années, c’est une intensification des pluies et ce dans beaucoup de pays, avec des inondations et des dommages considérables sur les infrastructures et les pertes en vies humaines.

Nous savons aujourd’hui que le dérèglement climatique a un impact sur la mousson africaine qui se traduit par le fait que, durant la période de mousson, nous avons des inondations par-ci par-là, et durant la saison sèche, nous avons des vagues de chaleur qui sont de plus en plus longues et plus intenses.

Un homme se tient dans les rues inondées de Bingerville, près d'Abidjan, le 21 juin 2022, après que des pluies torrentielles dans la nuit ont provoqué des inondations dans la capitale économique ivoirienne.
Un homme se tient dans les rues inondées de Bingerville, près d'Abidjan, le 21 juin 2022, après que des pluies torrentielles dans la nuit ont provoqué des inondations dans la capitale économique ivoirienne. AFP - ISSOUF SANOGO

Ce phénomène vous paraît-il compatible avec le fait d’organiser de grands événements sportifs en extérieur en juin-juillet, tels que la Coupe d’Afrique des nations, dans des pays comme le Cameroun (CAN 2021), la Côte d’Ivoire (CAN 2023) ou la Guinée (CAN 2025) ?

C’est une très bonne question… Ce que nous apprennent les observations, c’est que de nos jours il pleut dans ces pays en juin jusqu’à mi-juillet. Mais les pluies sont moins intenses et la fin de la saison semble être plus tardive, avec une période incertaine entre fin juin et mi-juillet. Donc, on a quinze jours d’incertitudes.

En résumé, mi-juillet/mi-août pourrait être une période idéale pour organiser ces compétitions dans ces pays parce qu’on observe que, en moyenne, on a moins de pluies dans le sud et un peu plus dans la partie nord. Ça, c’est que nous apprennent les observations dont on dispose.

Mais ce n’est pas mon rôle de statuer sur l’organisation ou non d’une compétition. Ce que je peux dire et qui me semble important et stratégique, c’est de créer dans chaque pays une plateforme de concertations avec la fédération nationale de football, la direction de la météo, les médecins du sport, des associations de supporters car ils font marcher l’économie du sport, pour aider à trouver le meilleur compromis et à prendre la meilleure décision.

Manifestement, on n’y est pas encore. Or, dans un contexte de changement climatique, ça peut être dommageable pour la qualité des compétitions, pour la santé des sportifs, pour la sécurité des supporters. Et ça peut anéantir le retour sur investissements pour les organisateurs de ces tournois.

Les organisateurs ivoiriens de la CAN rappellent qu’en juillet 2017, ils ont accueilli les Jeux de la Francophonie à Abidjan et qu’il n’avait presque pas plu. Peut-on spéculer sur la météo en juin-juillet 2023 pour organiser la CAN en Côte d’Ivoire ou est-ce un trop grand risque à prendre pour la bonne tenue de cet événement ?

Encore une fois, ce n’est pas mon rôle de statuer sur l’organisation d’une compétition. Je dirais juste que, sur le plan scientifique, il est difficile de spéculer aujourd’hui sur la météo qu’il fera en juin-juillet 2023. C’est important de le souligner.

Mais ce que nous apprennent les observations, c’est qu’en moyenne, le mois de juillet peut être une période favorable au sud de la Côte d’Ivoire mais il peut y avoir des événements pluvieux et orageux plus ou moins intenses dans le centre et le nord du pays. […]

Mais ce n’est pas suffisant pour prendre une décision. Et je reviens sur cette nécessité d’impliquer étroitement les services météo dans la prise de décision. D’ailleurs, à ce propos, je rappelle que dans chaque pays, il y a ce qu’on appelle un cadre national de service climatique qui est porté par la direction de la météorologie nationale. Ce cadre a justement pour but d’accompagner chaque pays pour qu’il soit plus résilient aux changements climatiques et de l’aider à prendre en compte la météorologie et le climat dans la prise de décisions et la planification. […]

Durant les années 1980 et 1990, à une époque où les joueurs disputant la CAN évoluaient encore essentiellement en Afrique, le tournoi avait lieu en mars. Est-ce un hasard, selon vous ? Ou ce mois de mars constitue-t-il un bon compromis, d’un point de vue climatique, pour jouer au football sur une grande partie du continent ?

En mars, la mousson est encore vers le Sud. Et pour une bonne partie du continent, on peut considérer qu’on a peu de pluies et que c’est une période acceptable pour des compétitions. Mais, dans ces pays de la côte, au Sud, il faut savoir qu’en mars, nous sommes dans une période de transition entre la grande saison sèche et la grande saison des pluies. Aujourd’hui, il arrive que nous ayons des pluies dans ces régions dès le mois de mars.

Mais permettez-moi d’attirer votre attention sur un autre problème majeur qui concerne la sécurité humaine, la durabilité des investissements dans le secteur du sport et qu’on ne voit pas forcément lorsqu’on focalise le débat sur des mois de l’année. Se focaliser sur des périodes de mousson, c’est considérer consciemment ou pas que la pluie – en particulier les fortes pluies – sont un problème pour le bon déroulement des compétitions. C’est aussi pour cela qu’on s’arrange pour éviter les périodes de fortes pluies. Ce qu’on ne dit pas assez, en revanche, c’est que dans un contexte de changement climatique, en saison sèche, il fait déjà et il fera de plus en plus chaud, avec des vagues de chaleur plus intenses, plus longues et souvent chargées en poussières ou en polluants atmosphériques. Et cela n’est pas sans conséquences sur la santé et sur la performance des joueurs et même sur la santé des supporters.

De même, en pleine saison des pluies, ce qu’on observe de plus en plus du fait du changement climatique, ce sont de fortes canicules qui sont associées à des périodes de fort taux d’humidité ; ce sont des vagues de chaleur humides dans l’atmosphère. Là encore, il y a certainement des conséquences sur la santé des supporters, la santé des joueurs et les performances de ces derniers. Conséquences qui doivent être prises en compte quand on planifie ces compétitions.

En réalité, aujourd’hui, du fait du changement climatique, on est dans un dilemme entre organiser des compétitions dans un environnement où il fera très chaud, très sec, avec beaucoup de poussières, ou dans un environnement où il fera très chaud et humide avec des risques de fortes pluies. Imaginez tout cela dans de jolis stades en formes de cuvettes ou de marmites, davantage appropriées aux climats des pays du Nord. [...]

Le président de la Fédération internationale de football (FIFA) a récemment émis l’idée que la CAN ait lieu à l’avenir « en automne », sans doute en octobre. Cette période de l’année est-elle propice à l’organisation de grands événements tournois de football dans les pays du golfe de Guinée ?

Cette période de l’année correspond à la petite saison des pluies dans les pays du golfe de Guinée. Et, ces dernières années, il y a eu de fortes pluies avec des inondations, durant cette période. C’est pourquoi j’insiste, je reviens et je termine sur le fait que, dans ce contexte d’incertitudes, je plaide encore une fois pour que les fédérations nationales mettent en place des plateformes de concertation. […] C’est stratégique pour la durabilité des investissements dans le monde du sport en Afrique.

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