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Algérie / 50 ans d'indépendance

Algérie : l’armée française fait sa «glasnost»!

Le Musée de l’Armée revient sur 132 ans de présence militaire française en Algérie, de sa conquête en 1830 à l’indépendance en 1962. Cette exhibition unique en son genre, illustrée en contrepoint par les Carnets d’Orient de Jacques Ferrandez, permet de mieux appréhender cet épisode important de l’histoire coloniale française dont l’issue brutale a durablement frappé les esprits. A l’Hôtel des Invalides de Paris jusqu’au 29 juillet.

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Dès la voûte d’honneur, face à l’Esplanade de l’Hôtel des Invalides, quatre canons se font face – deux français et deux algériens – qui évoquent les sièges d’Alger et de Constantine en 1830 et 1837. Une affiche insolite guide aussi le visiteur : un soldat sorti d’une bulle de la bande dessinée de Jacques Ferrandez, Les Carnets d’Orient, dont les planches illustrent en contrepoint cette exhibition unique en son genre. « Algérie 1830-1962 avec Jacques Ferrandez » retrace 132 ans de présence militaire française en Algérie, de la conquête à l’indépendance. « 2012 marque, de part et d’autre de la Méditerranée, le cinquantenaire de la fin de la présence militaire française en Algérie », précise le général de division Christian Baptiste, directeur du Musée de l’Armée.

Pour l’occasion, l’armée française fait sa glasnost ! La mise en perspective des relations entre la France et l’Algérie vue sous l’angle militaire est une première. On se souvient que la Grande Muette a longtemps refusé le terme de « Guerre d’Algérie » et qualifiait ces « événements » de « terrorisme ». Aujourd’hui, elle est animée par un « devoir impérieux de faire œuvre pédagogique ». L’exposition destinée à un large public, est conçue sur le « temps long » qui incite au recul et à la réflexion sur une période de notre histoire coloniale qui a durablement divisé.

Une expédition contre la Régence d’Alger

Dans un souci de « rigueur » et de « vérité », elle expose « le fil complexe des événements » dans toutes ses dimensions, avec des repères chronologiques, des cartes et des archives dont certaines sont connues et d’autres inédites. Au total, 270 œuvres et objets – uniformes, armes, peintures, documents, photos, films, coupures de presse – provenant des collections du Musée de l’Armée et d’autres institutions comme l’ECPAD (Établissement de communication et de production audiovisuelle de la défense) ou l’INA (Institut national de l'audiovisuel). Les grandes figures sont aussi mises au jour. Sans oublier la parole donnée aux acteurs et témoins de tous les bords. L’espace est divisé en deux grandes salles, l’une allant de 1830 à 1913 et l’autre de 1914 à 1962. La première période, de la conquête à l’installation du régime colonial, est de loin la plus méconnue.

A l’époque, la toute jeune Monarchie de Juillet cherche à consolider son influence en Méditerranée tout en jugulant son opposition intérieure. Suite à un litige sur le paiement du blé que la France lui achète, Charles X monte une expédition contre la Régence d’Alger. Cette « milice turque » dépend depuis trois siècles de l’Empire ottoman mais jouit d’une large autonomie et Hussein-Dey, son gouverneur, règne peu sur l’arrière-pays mais en Méditerranée, il s’adonne à la piraterie et au commerce du blé… et des esclaves chrétiens.

Pour laver cet affront dit du « coup d’éventail », le 14 juin 1830, la flotte française débarque à Sidi-Ferruch, une presqu’île à l’ouest d’Alger. Le 5 juillet, le dey capitule et remet aux vainqueurs les « clés d’honneur de la ville d’Alger » - qui sont exposées dans une vitrine.

Les Français parviennent à maîtriser quelques ports du littoral mais non pas l’intérieur. A l’Est, le bey Ahmed de Constantine résiste au nom de la Sublime Porte - avant de s’incliner en 1837. Et à l’Ouest, dès 1832, l’Emir Abd el-Kader mène la résistance contre la France et les roumis (chrétiens) pendant près de quinze ans, jusqu’à fin 1847, quand l’armée du Sultan du Maroc cesse de le soutenir.

La violence, une constante dans cette histoire

Sur une Image d’Epinal intitulée « Chefs arabes », on voit l’Emir entouré de ses alliés. Un tableau issu du mouvement des orientalistes - qui se développe en Europe et où l’Algérie joue un rôle central - montre un portrait de lui en pied (signé Godefroid Marie Eléonore). De son visage ovale souligné d’une barbe noire avantageuse soigneusement taillée, et ceint d’un chèche immaculé qui se fond dans une djellaba par moitié couverte d’un burnous foncé, il se détache une impression d’austérité.

Face à lui, le général Bugeaud dont on peut voir – enfin ! - la célèbre casquette chantée au 20è siècle par des générations d’écoliers. En voici le refrain : « Si tu ne l’as pas vue, la voilà, la casquette, la casquette, si tu ne l’as pas vue, la voilà, la casquette du Père Bugeaud… » Nommé gouverneur d’Algérie en 1840, Bugeaud est celui qui engage la « conquête absolue » de l’Algérie, appuyé par une Armée d’Afrique réorganisée dont les officiers jouent un rôle important sous le Second Empire, et avec le soutien des tribus hostiles à l’Emir.

Une constante dans cette histoire qui se matérialise sous nos yeux, la violence dont attestent dans des éléments sonores ou filmés différents témoins, et des historiens comme Didier Guignard ou Jean-Charles Jauffret pour le 19è siècle ou Raphaëlle Branche pour la torture pendant la Guerre d’Algérie des années 1950. Près des moniteurs, des objets témoignent aussi de la violence à l’œuvre, comme le fusil à silex d’Abd el-Kader, le sabre du général Lamoricière (1847) et ce poignard kabyle, « la fissah (…) inspirée du yatagan turc ». Ou encore le tableau des « Cavaliers arabes emportant leurs morts après une affaire contre des spahis » de Théodore Chassériau… Dans la seconde salle, une affiche de l’Organisation armée secrète - l’OAS, qui se bat pour l’Algérie française par des attentats aveugles - témoigne encore, un siècle plus tard, que la violence (illégale cette fois) est plus que jamais présente en 1962, année de l’indépendance.

L’Algérie, « territoire français »

Les belligérants des deux bords ont commis des exactions graves et pas seulement sur les champs de bataille. Razzia, « enfumade » - une technique qui consiste à asphyxier des gens réfugiés dans une grotte, par exemple, en fermant son issue par un feu : des tribus entières ont ainsi été exterminées. Commandeur des croyants, l’Emir qui voulait une nation arabe théocratique et indépendante fédère lui aussi de gré ou de force les tribus. La question de la légitimité de la violence, qu’elle émane d’une force de résistance autochtone ou d’une force d’occupation, est d’ailleurs centrale dans cette exposition militaire décidément décomplexée.

Mais revenons à la Seconde République, qui applique une politique d’assimilation et de colonisation. Un tournant décisif depuis l’adoption de la Constitution de 1848 qui fait de l’Algérie un « territoire français » divisé en trois départements. Pour Napoléon III, qui fait libérer l’Emir en 1852, l’Algérie n’est qu’un « boulet attaché aux pieds de la France ». Plus tard, il se rallie aux thèses d’Ismaël Urbain et des Saint-simoniens après deux voyages sur place en 1860 et 1865. Selon eux, l’Empereur règne sur le « Royaume arabe » (le nom qu’ils donnent à Algérie) où ils l’incitent à instituer l’égalité politique et économique avec la métropole. A l’Assemblée, ce « rêve arabe » se heurte à l’hostilité des « colonistes ».

Les décrets de 1870 mettent fin au « régime du sabre » mais ils n’empêchent pas les campagnes militaires et la répression des révoltes, comme celle en 1871 du bachaga Mokrani (Kabylie). Sous le Second Empire, la présence de militaires dans l’administration s’avère nécessaire pour soumettre les oasis du nord du Sahara et la Kabylie. L’attention portée aux immenses étendues désertiques inexplorées qui séparent l’Afrique du Nord des colonies d’Afrique noire les conduit à mieux maîtriser le territoire. Elle donne lieu à des explorations géographique, archéologique, botanique… Témoins, ces cartes établies au gré des expéditions - qui précèdent souvent la construction de routes et de ponts…

Cette approche en cache une autre

Les habitants deviennent eux aussi des objets d’études : linguistique, ethnologique... Celles-ci sont souvent le fait d’officiers acquis aux idées saint-simoniennes. Des cadres des « bureaux arabes » qui maîtrisent le droit musulman et qui se vivent comme des passerelles entre deux mondes. Des photographies, couleur sépia, restituent l’atmosphère sous la tente où notables et officiers semblent gérer les affaires courantes ou engager des pourparlers. Félix Moulin a photographié ces univers pendant un an et demi. Il en a ramené un livre, L’Algérie photographiée : 300 photos de paysages, villes et villages mais aussi de notables ou d’autorités coloniales prises à partir de 1856 sur recommandation du ministre de la Guerre. Dans cette rencontre entre militaires et « indigènes », l’« autre » fascine d’autant plus qu’il résiste. Certains officiers sont pris de passion pour le pays. On observe avec étonnement leurs tenues, notamment celle des spahis réguliers d’Alger ou celle des Compagnies des oasis sahariennes calquées sur l’habillement local.

Mais cette approche en cache une autre. Le massacre de la mission Flatters (1881) et la répression de la révolte du marabout Bou Amama dans le Sud oranais accélèrent la conquête du Sud algérien. Les succès de la mission Foureau-Lamy comme les victoires du commandant Laperrine, ce saint-cyrien à la tête des Compagnies des oasis sahariennes, contribuent à la domination française au Sahara – bien que la résistance touarègue ne cesse pas avant 1916. Témoin muet, ce bouclier touareg en peau d’oryx peint et métal.

Assimilée à la France, l’Algérie est devenue le bien presque exclusif de colons de plus en plus nombreux qui détiennent tous les droits tandis que les colonisés sont soumis aux règles injustes du Code de l’indigénat adopté en 1881. Parallèlement, des soldats algériens participent en grand nombre aux combats de la France en Europe et ailleurs. Tout comme les Français d’Algérie. Mais ils meurent deux fois plus au combat où ils sont plus exposés. Pendant la guerre de 1870, ils défendent la République française souvent avec ferveur, puis pendant la Grande Guerre de 1914, ils sont près de 240 000 en France et en Palestine.

L’ECPAD a fourni un film sur ces « Tirailleurs algériens ». On les voit défiler dans un village en 1915 ou lors d’une cérémonie patriotique à Metz en 1919. Ils ont l’espoir d’être reconnus comme des Français à part entière. En 1926, la métropole rend hommage à ses « sujets musulmans » en créant la Mosquée de Paris. Mais ce combat pour la citoyenneté, qui prend forme peu à peu, aboutit à des frustrations qui finissent par nourrir la résistance à la colonisation et l’aspiration à l’indépendance, car la République demeure sourde à ses appels.

Des émeutes éclatent dans le Nord Constantinois

Ainsi, lors des fêtes qui marquent le centenaire de la présence française en Algérie, en 1930, la France ne fait qu’exalter son « œuvre admirable de colonisation et de civilisation ». Dix ans plus tard, c’est encore 250 000 hommes qui participent à la campagne de France. Les régiments de l’Armée d’Afrique s’y distinguent. Mais la défaite de juin 1940 puis le débarquement des troupes anglo-américaines en 1942 ébranlent le prestige de la France en Afrique du Nord. La contestation nationaliste s’en trouve renforcée, ce qui n’empêche pas les Algériens de constituer une part importante du corps expéditionnaire français en Italie et de la première armée qui libère le territoire national aux côtés des Alliés.

A la Libération, le 8 Mai 1945, des émeutes éclatent dans le Nord Constantinois. Une centaine d’Européens sont tués. Et la répression de l’armée française fait des milliers de morts. Dès lors, tandis que le nouveau statut accordé à l’Algérie en 1947 n’apporte toujours pas d’égalité électorale, l’indépendance est en marche… En 1954, la défaite de Dien Bien Phu (Indochine) - entre le Vietminh et l’armée française au sein de laquelle de nombreux soldats algériens sont enrôlés - porte un coup au prestige de l’Empire français. Le 1er novembre 1954, en Algérie, une série d’attentats ouvre la voie à la guerre de libération nationale.

La suite est mieux connue. Jusqu’à la fin de la Guerre d’Algérie, les représentations se multiplient, photographiques pour l’essentiel, relayées par les actualités cinématographiques puis les programmes télévisés comme Cinq colonnes à la une. Une grande diversité de documents audiovisuels apparaît, faite de films amateurs, de films de propagande qui servent à justifier la colonisation ou – plus rare – de films d’instruction militaire… Et aussi de fictions, dont la série en 12 épisodes, Les Chevaux du soleil, de Jules Roy - dont on peut visionner des extraits - et qui a été réalisée à l’occasion des 150 ans de la conquête. Né en Algérie, cet ancien officier tirailleur algérien était un proche de l’écrivain Albert Camus et son point de vue est globalement hostile à la colonisation. L’exposition du Musée de l’Armée, quant à elle, rend compte de la diversité des sources et des ressentis. Un menu très copieux.

Alger la Noire : l’Inspecteur Pablo Martinez mène l’enquête

« Double meurtre sur la plage à Bab El Oued. L’identité des victimes est inconnue », peut-on lire à la Une de La Dépêche d’Algérie, ce 23 janvier 1962. Dans une autre bulle, d’une fenêtre du premier étage du commissariat de Bab el Oued, une voix s’exclame : « Ils ont été tués sur place à l’aube. Une vraie exécution. Ils étaient deux… J’ai trouvé des traces de chaussures d’homme à vingt mètres… L’un d’eux portait des rangers. » Ainsi commence Alger la Noire, la bande dessinée de Jacques Ferrandez inspirée du roman de Maurice Attia. Cette scène aurait pu se passer trente ans plus tard, en Algérie, quand les massacres n’étaient revendiqués ni par les milices du Front islamique du salut ni par les militaires obéissant au pouvoir FLN vacillant. Ici, nous sommes au terme de la Bataille d’Alger (1957). Et après les bombes du FLN, ce sont celles de l’OAS, l’Organisation armée secrète, qui sèment la mort. Les cadavres de deux jeunes gens - une Européenne et un Arabe - sont retrouvés nus et enlacés sur la plage. L’homme est émasculé et le sigle OAS est gravé au couteau sur son dos… Que cache le double assassinat de Mouloud et Estelle ? S’agit-il d’une exécution courante au titre de la séparation entre communautés ? Dans Alger qui est au bord de la guerre civile, l’Inspecteur Pablo Martinez mène l’enquête, flanqué d’un vieux flic juif irascible. Ils sont en quête du frère d’Estelle Thévenot… qui se déplace en fauteuil roulant. A lire d’une traite. Par l’auteur des Carnets d’Orient, une série en dix volumes dont le premier est paru en 1987.

- Alger la Noire, par Jacques Ferrandez inspirée du roman de Maurice Attia. Editions Casterman, 2012.
- Carnets d’Orient, par Jacques Ferrandez (10 volumes). Editions Casterman.
- Algérie. 1830-1962 avec Jacques Ferrandez. Catalogue de l’exposition du Musée de l’Armée. Editions Casterman, 2012.

Pour en savoir plus :

« Algérie 1830-1962 avec Jacques Ferrandez ». A l’Hôtel des Invalides de Paris jusqu’au 29 juillet.

A lire aussi :

- La Guerre d’Algérie vue par l’ALN : 1954-1962. L’armée française sous le regard des combattants algériens, par Dalila Aït el Djoudi. Paris, éditions Autrement, 2007.
- L’abus de pouvoir en Algérie coloniale, 1880-1914. Visibilité et singularité, par Didier Guignard (thèse). Prix Germaine Tillon 2010 décerné par l’université de Nanterre.
- La torture et l’armée pendant la Guerre d’Algérie. 1954-1962. par Raphaëlle Branche. Paris, Gallimard, 2001.
 

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