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Le grand invité Afrique

Première greffe de rein au Sénégal: «Nous n'avons fait que combler un retard», estime le professeur Babacar Diao

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C’était une grande première au Sénégal. Il y a une semaine (les 26 et 27 novembre dernier) le corps médical sénégalais, appuyé par des spécialistes turcs, a réalisé avec succès les trois premières transplantations rénales du pays. Réalisées grâce à la collaboration du CHU Le Dantec de Dakar et de l’hôpital militaire de Ouakam, ces opérations suscitent l’espoir chez les personnes atteintes d’insuffisance rénale, environ 5 % de la population et pour qui, la maladie est un fardeau physique autant que financier. Le professeur Babacar Diao, chirurgien urologue à l’hôpital militaire de Ouakam a coordonné ce travail d’équipe, est notre invité.

Le professeur Babacar Diao est chirurgien urologue à l'hôpital militaire de Ouakam et à l'hôpital Aristide Le Dantec au Sénégal. Professeur titulaire d'Urologie-Andrologie à l'Université Cheikh Anta Diop.
Le professeur Babacar Diao est chirurgien urologue à l'hôpital militaire de Ouakam et à l'hôpital Aristide Le Dantec au Sénégal. Professeur titulaire d'Urologie-Andrologie à l'Université Cheikh Anta Diop. © github.com
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RFI : D’un point de vue médical, c’est une opération compliquée à faire une greffe de rein ?

Babacar Diao : La greffe de rein, sur le plan technique, n’est pas compliquée, mais c’est l’organisation qui est derrière la greffe de rein, la rigueur qu’il faut mettre dans cette organisation, le fait de pouvoir travailler en équipe. Plusieurs personnes vont intervenir et il ne doit pas y avoir de maillons faibles dans cette chaine. Ce qui rend la greffe difficile en Afrique, c’est que nous, Africains, n’avions pas la culture d’avoir certaines organisations en milieu hospitalier. Il faut éviter les va-et-vient. Ici, la culture africaine, c’est que si vous avez un malade quelque part, toute la famille peut venir dire "Bonjour". Ici, ce n’est pas possible, donc c’est cette organisation-là qu’il fallait mettre en place et qui n’est pas habituelle chez nous, c’est ça qui était difficile. Je pense que pour ces premières greffes, nos équipes ont vu comment on doit travailler dans le cadre de la greffe et je pense qu’ils l’ont compris. Mais sur le plan technique, nous faisions déjà des interventions beaucoup plus complexes pour les cancers du rein ou les reins détruits.

C’est un acte médical qui est encore peu pratiqué sur le continent, les greffes, pourquoi ?

En Afrique, pourquoi ce n’est pas encore pratiqué dans plusieurs pays de la sous-région ? C’est que pour aller vers la greffe rénale, il faut l’encadrer, il faut des textes pour éviter le trafic d’organes et ça, c’est très important. Je pense que le pari qu’on a gagné au Sénégal, c’est d’avoir mis en place des textes solides. Il y a une loi, il y a un décret d’application, il y a des arrêtés, il y a un organe central qu’on appelle le Conseil national du don et de la transplantation. Si un hôpital veut greffer, l’hôpital dépose sa candidature et on lui envoie des évaluateurs. C’est après évaluation de ses ressources humaines, de son infrastructure et de ses équipements que l’hôpital peut avoir l’agrément. C’est ce qui nous protège et cette loi au Sénégal n’autorise que le donneur vivant apparenté, c’est pour éviter aussi que le don de rein soit monnayé.

Le fait que seules les transplantations soient possibles à partir de donneurs vivants apparentés, est-ce que ça ne limite pas beaucoup les possibilités de greffe ?

C’est vrai que pour avoir plus de reins, il faut aller vers le donneur cadavérique, mais sur le plan éthique, si vous n’avez pas ce qu’il faut dans les service d’urgence ou de réanimations pour sauver le patient, pensez-vous que les parents vont accepter sur le plan éthique de le transférer vers une infrastructure hyper-équipée pour lui prendre ses organes ? Je pense que ce n’est pas éthique. Pour aller vers le don d’organes venant de cadavres, il faut d’abord mettre aux normes nos services de réanimation et d’urgence et prendre en charge financièrement les personnes qui arrivent aux urgences.

Qu’est-ce que ça représente cette réussite médicale pour le Sénégal ?

Je pense que c’est une bonne chose pour le Sénégal. Comme je l’ai dit à tous les membres de l’équipe quand je les ai félicités, nous n’avons pas fait quelque chose d’extraordinaire, non, mais nous avons fait quelque chose de bien pour nos populations. Nous avons essayé de combler un retard. En Europe, les gens transplantent depuis plus d’un siècle donc il nous faut rattraper ce retard-là. C’est tout ce que nous avons fait. Nous n’avons pas innové donc je trouve que c’est une excellente chose de pousser son État à aller vers ce que j’appelle la souveraineté sanitaire, c’est-à-dire prendre en charge tous ses patients au pays.

Pour avoir un ordre d’idée, au Sénégal, il y a une problématique importante autour des maladies du rein ? Il y a beaucoup de patients ?

Il y a des milliers de patients qui sont sur les listes d’attente pour entrer en dialyse. Pour vous donner une idée, il n’y a pas suffisamment de postes de dialyse pour tous les malades. Il y a des milliers de malades qui attendent pour entrer en dialyse, donc la transplantation, c’est une excellente chose, parce qu’un malade transplanté avant qu’il n’entre en dialyse, le greffon a une meilleure survie, il y a moins de complications dessus. Si nous parvenons à trouver une solution pour la subvention de la greffe de rein au Sénégal, cela règlera beaucoup de problèmes.

Vous parlez de subvention de l’État, car la greffe coûte cher ?

Oui c’est une intervention très onéreuse, les frais se situent autour de 13 millions de francs CFA par patients. Mais vous savez, au Sénégal, on a la chance de ne pas demander trop aux populations en termes de soin. Par exemple, avec le cancer de la prostate, pour le même résultat final au Sénégal vous payez 20 fois moins cher au Sénégal qu’en France ou aux États-Unis. Je pense que si on réfléchit bien, on pourra trouver une astuce avec les autorités pour pouvoir prendre en charge ces patients insuffisants rénaux chroniques pour la transplantation à des coûts acceptables, soit par l’État du Sénégal, soit par les assurances.

Le fait que vous ayez réussi cette greffe au Sénégal, est-ce que ça aura une répercussion pour d’autres pays du continent, selon vous ?

Oui, je pense qu’il y aura des répercussions en Afrique subsaharienne parce que nous avons des collègues de la sous-région du Burkina, de la Guinée, qui étaient en train de travailler sur des programmes de transplantation. Le fait que le Sénégal ait pu réaliser trois greffes pourra aider à aller plus vite parce que je pense que nous n’hésiterons pas à voyager, et à aller dans ces pays-là, voir où est-ce qu’ils en sont pour partager avec eux ce que nous avons mis en place, aussi bien dans le domaine des textes que dans le domaine de la mise en œuvre de nos programmes de transplantation.

Est-ce que cela dit quelque chose que ça soit une équipe turque qui vous a accompagné dans cette première transplantation, plutôt qu’une équipe française ou américaine ?

Vous savez, un scientifique, il travaille avec celui qui lui offre le plus de possibilités. J’ai été formé en France, et j’aurais aimé pouvoir emmener mes équipes se faire former en France comme moi, mais il est plus facile pour moi d’obtenir un visa turc que d’obtenir un visa français. Pour mes assistants, pour les envoyer en stage, il leur est plus facile d’obtenir un visa turc que d’obtenir un visa français. Vous voyez, ça crée des difficultés et on ne peut pas être là à attendre parce que la médecine est universelle. Maintenant, si l’accès devient difficile, on va vers le pays qui nous facilite le plus la chose.

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