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Le grand invité Afrique

Jérôme Tubiana: «Le conflit au Darfour peut provoquer une extension à l’intérieur du Tchad»

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Depuis le début du mois de novembre, la région du Darfour, dans l'ouest du Soudan, fait face à une nouvelle flambée de violences, alors que les Forces de soutien rapide (FSR) du général Hemedti affirment leur contrôle sur cette région. Pour en parler, François Mazet s'entretient avec le chercheur Jérôme Tubiana. Spécialiste de cette région, il est conseiller aux opérations de Médecins sans frontières (MSF), pour qui il s'est rendu très récemment au Darfour et dans l'est du Tchad où sont accueillis des centaines de milliers de réfugiés.

Le village de Tabit au Darfour
Des troupes soudanaises sécurisent le village de Tabit, au Darfour. (Image d'illustration). © AFP PHOTO/ASHRAF SHAZLY
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RFI : Jérôme Tubiana, pour parler de la flambée de violences au Darfour depuis le début du mois, le chef de la diplomatie européenne, Josep Borrell, a employé le terme de « nettoyage ethnique » mené par les Forces de soutien rapide (FSR) du général Hemedti. Ce terme est-il approprié, selon vous ?

Jérôme Tubiana : Il faudrait peut-être le détailler, mais il y a eu certainement à certains endroits du nettoyage ethnique. C’est en particulier le cas au Darfour occidental, donc y compris dans sa capitale, la ville d’el-Geneina, où clairement, la principale communauté indigène non-arabe (les Masalit) a dans sa quasi-totalité dû fuir la zone pour se réfugier au Tchad. Il y a un énorme camp de transit dans la ville d’Adré, avec plus de 100 000 réfugiés qui sont principalement arrivés en juin, mais aussi environ 10 000 qui sont arrivés récemment, après les nouvelles violences de ce mois-ci.

Que sait-on exactement de ce qu’il s’est passé dans le camp de déplacés d’Ardamata, dans le Darfour occidental, où au moins 800 personnes selon l’ONU – peut-être même 1 200 ou 1 300 selon d’autres sources – ont été tuées en milieu de semaine dernière ?

La garnison de l’armée soudanaise avait réussi à maintenir une présence dans cet endroit qui s’appelle Ardamata, qui n’est pas seulement un camp de déplacés mais aussi un lieu historique pour les Masalit anciens. Il y avait un camp de déplacés, il y avait des combattants masalit de groupes rebelles, de groupes d’auto-défense qui s’étaient aussi réfugiés là. L’élite arabe – chefs traditionnels, chefs politiques – promettait qu’il n’y aurait plus de nouvelles violences, ça n’a pas tenu. Il semble que l’armée ait négocié son propre retrait sans combat, et donc laissé les civils et les combattants masalit être de nouveau victimes d’attaques par les milices arabes, dont les Forces de soutien rapide, et de nouveau, une fuite vers le Tchad pour les survivants.

Les Forces de soutien rapide et d’autres milices locales prendraient pour cible les Masalit, qui est une tribu darfourie non-arabe. Comment est-ce qu’on peut expliquer ce ciblage ?

Je pense que sur el-Geneina, le conflit entre Masalit et Arabes – Masalit qui sont les détenteurs d’un sultanat ancien et donc les détenteurs des droits fonciers sur cette région ­–ce conflit déjà ancien remonte aux années 1990. Il a été beaucoup attisé par l’ancien régime soudanais, le régime d’Omar el-Béchir qui a donc recruté les communautés arabes pour en faire des milices, qu’on a appelé les Janjawid. Certains de leurs chefs historiques sont encore présents, les tensions sont restées très fortes. Les Masalit, après la révolution qui a mis fin au régime d’Omar el-Béchir, en ont profité pour revendiquer leurs droits historiques sur les terres, ont demandé leur droit au retour. Ils n’ont pas été entendus. Donc il y a eu régulièrement des violences dans les années 2021. Hemedti, le chef des Forces de soutien rapide, s’est lui-même impliqué pour ramener la paix, ça a duré quelques mois, mais ça n’a pas duré, les tensions sont restées très fortes. C’est un cas assez unique : ailleurs au Soudan, on n’a pas encore observé une telle intensité, des tensions aussi fortes du point de vue ethnique, même s’il n’y a pas que les Forces de soutien rapide qui sont en cause dans la région, on parle aussi de milices arabes, parfois proches des Forces de soutien rapide, mais qui auraient leur propre agenda local, assez distinct de l’agenda politique des Forces de soutien rapide de prise de pouvoir à Khartoum.

Après avoir pris Nyala, Zalingei, el-Geneina, les FSR d’Hemedti ont le contrôle quasi-total des régions du Darfour, ils visent désormais El Fasher. Quel est, selon vous, leur prochain objectif ? Est-ce qu’ils ont pris un avantage décisif ?

Ils ont certainement pris un avantage décisif. Sur El Fasher, c’est un peu différent, ça semble être logiquement le prochain objectif. Est-ce que la communauté internationale va mettre le holà sur El Fasher en particulier ? D’autant qu’El Fasher est un cas un peu différent parce qu’il y a une très forte présence des groupes rebelles qui ont signé l’accord de paix de Juba en 2020 qui se sont constitués en forces jointes et se sont donné pour mission de protéger notamment les civils, et qui ont envoyé aux FSR le message assez clair que pour eux, El Fasher était un petit peu une ligne rouge. Donc si les FSR insistent pour attaquer El Fasher, il risque d’y avoir une opposition plus forte qu’ailleurs de ces groupes rebelles. Ça pourrait dégénérer en un conflit de nouveau ethnique, cette fois entre communautés arabes et, non pas les Masalit, mais d’autres communautés non-arabes, celles qui sont plus présentes sur El Fasher au Darfour nord, c’est-à-dire les Zaghawa et les Four. Ces communautés sont beaucoup plus fortes, beaucoup plus nombreuses, beaucoup plus étendues géographiquement et mieux armées que les Masalit. Donc, ce conflit pourrait être plus violent. Et par ailleurs, les Zaghawa en particulier, c’est une communauté qui est prédominante au sein du pouvoir et au sein de l’armée tchadienne, donc ça pourrait aussi avoir des conséquences et provoquer une expansion du conflit à l’intérieur même du Tchad.

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