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Chemins d'écriture

Explorer l’inquiétude raciale, avec la Caribéenne Anne Terrier

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Les questions du métissage et du racisme sont au cœur du nouveau roman de la Martiniquaise Anne Terrier : La nuit tu es noire, le jour tu es blanche. L’écrivaine est la nièce du philosophe et poète antillais regretté Edouard Glissant. Elle s’était fait connaître en 2021 en publiant son premier roman : La malédiction de l’Indien (Gallimard).

Romancière martiniquaise, Anne Terrier est l'auteure de deux romans. Son dernier roman, paru cette année, s'intitule La nuit tu es noire, le jour tu es blanche (Gallimard)
Romancière martiniquaise, Anne Terrier est l'auteure de deux romans. Son dernier roman, paru cette année, s'intitule La nuit tu es noire, le jour tu es blanche (Gallimard) © Francesca Mantovani, Gallimard
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« J’ai envie d’être écrivain depuis que je suis toute petite. Mon père écrivait, mon oncle Edouard écrivait, ma mère a écrit aussi des contes pour enfants. On peut dire qu’il y a une part familiale. Sinon, moi j’écris parce que j’ai besoin d’écrire. Mais jamais jamais, sauf depuis il y a quatre-cinq ans, je n’aurais eu l’idée d’écrire sur les Antilles, sur la Martinique. Ça m’est venu il y a quelques années au moment où ma mère est tombée malade. Brusquement, j’ai eu envie d’écrire sur l’histoire de ma famille pour pouvoir transmettre à mes enfants, mes neveux, aux générations futures cette histoire familiale, qui allait disparaître avec ma mère. »

Ainsi parle la romancière Anne Terrier. Elle s’est fait connaître en 2021 en publiant son premier roman La Malédiction de l’Indien (1921), un récit fictionnel sur la destruction de la ville de Saint-Pierre par l’éruption de la Montagne Pelée en 1902. Faisant suite à ce premier roman mémoriel, l’autrice vient de publier en début d’année un second ouvrage de fiction, au titre poétique : La nuit tu es noire, le jour tu es blanche.

À la fois poétique et programmatique, ce titre nous fait entrer d’emblée dans le vif du sujet : racisme, métissage, vexations et drames liés à la couleur de la peau, notamment aux Antilles où se déroule l’action du roman. Le titre est tiré des propos d’un petit-fils de l’héroïne qui veut consoler sa grand-mère, honteuse d’être basanée alors que toute sa famille est blanche. Cette mamie honteuse, c’est Paula. C’est son histoire que raconte le roman.

L'histoire de Paula

L’histoire de Paula commence au début du siècle dernier, dans les Antilles françaises, au sein d’une famille des descendants des anciens colons esclavagistes, des békés. Paula est petite fille lorsque ses parents l’envoient, avec ses frères et sœurs, vivre dans la vaste habitation Saint-Sulpice, dans l’île de Marie-Galante. Dans la maison familiale des Saint-Sulpice règne en maître Gaëtan, le grand-père de Paula. Patriarche, à la carrure imposante, l’homme impressionnait ses petits-enfants et les serviteurs noirs de la famille. Ceux-ci se tenaient à carreau quand Gaëtan venait déjeuner avec les siens.

La vie est minutieusement réglée sur l’habitation où les enfants grandissent sous la surveillance des oncles et des tantes qui leur apprennent à respecter la « ligne de la couleur ». Les préjugés raciaux qui régissent la vie dans la Caraïbe imprègnent l’éducation des enfants. Ils tentent de percer du haut de leur immaturité le mystère de la hiérarchie des races qu’ils entrevoient, sans comprendre le pourquoi ou le comment. Ils se contentent d’observer, comme l’écrit Anne Terrier dans son roman:

« Paula regarde le monde à travers les jalousies de sa chambre. Dans la journée, elles sont constamment fermées, ne laissant entrer qu’une lumière tamisée entre les lattes de bois inclinées. L’absence de vitres favorise la circulation de l’air dans toutes les pièces de la maison. Elle permet aussi d’entendre ce qui se passe à l’extérieur. Depuis son poste d’observation, Paula guette les allées et venues des visiteurs, des domestiques, des membres de la famille. Elle tend l’oreille à l’affût des conversations dans l’espoir de trouver la clé de cet univers auquel elle se sent étrangère. »

Le monde s’effondre

Or, le monde de Paula, bruissant de mystères et d’interdits, va s’effondrer lorsque celle-ci avec ses frères et sœurs font la connaissance de leur grand-mère dont la présence leur avait été cachée. Celle-ci vit loin de l’habitation Saint-Sulpice, dans une ancienne case d’esclaves, richement aménagée, mais case d’esclaves quand-même. Quand on conduit les enfants chez elle, on oublie de leur dire un détail : la grand-mère n’était pas blanche, mais Indienne.

 « Comment cette femme noire, peut-elle être la femme de leur grand-père propriétaire d’une plantation dont tous les serviteurs sont noirs ? Comment peut-elle être la mère de leur propre mère ? Les enfants s’interrogent et leur monde déjà privé de fondations, suspendus au-dessus du vide comme le balcon de leur chambre au-dessus de la mer, s’effondre… », écrit Anne Terrier. Cette prise de conscience est en quelque sorte le véritable ressort de la tragédie que raconte le roman d’Anne Terrier. Son thème est l’inquiétude raciale. C’est la peur de la goutte du sang noir qui peut tout changer.

Il y a quelque chose de faulknérien dans les romans d’Anne Terrier qui cernent avec sensibilité et profondeur la question du mélange de sangs et décrit le ravage qu’elle produit dans les familles. La famille était au cœur du premier roman de l’écrivaine et elle est encore présente dans son nouveau roman qui fait une large place à la problématique du métissage, comme l’explique Anne Terrier :

 « Ce livre est né de ma rencontre avec une dame d’origine antillaise, qui se présentait, elle, comme une béké, descendant de colons esclavagistes. Moi, j’avais parlé de ma famille avec mes ancêtres esclaves, aux Antilles, dans « La Malédiction de l’Indien ». Entre nos deux familles, il y avait beaucoup de similitude, la principale étant que nous avions toutes les deux une ancêtre indienne. Cette dame a vécu aux Antilles et j’ai eu envie d’explorer, voir un peu de l’autre côté du miroir, comment est-ce que dans ces familles-là des descendants de colons, on vivait le métissage. Mes deux romans quelque part, ils se répondent, ils se complètent l’un et l’autre à la fois parce qu’il y a dans les deux une Indienne et parce que les deux se passent dans la même période historique de la colonisation, c’est-à-dire après l’abolition de l’esclavage, mais avant que les petites Antilles ne deviennent des départements français. »

La nuit tu es noire, le jour tu es blanche a été qualifié de saga familiale, mais il est plus que cela. Se situant au carrefour de l’histoire, de la sociologie et aussi la biologie, l’auteur donne à lire dans ces pages avant tout un récit cathartique de reconstruction de soi.


►La nuit tu es noire, le jour tu es blanche, par Anne Terrier. Gallimard « Continents noirs », 229 pages, 22 euros.

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