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Entretien

Iran: «Le fossé n’a jamais été aussi grand entre le régime islamique et la population»

De la prison d’Evin, Narges Mohammadi a réussi à faire parvenir un témoignage poignant à propos de l’oppression du régime au pouvoir en Iran à l’égard des femmes. Privation de libertés, agressions physiques et sexuelles, mises à mort dans certains cas… La Nobel de la paix, au péril de sa vie, dépeint un pays toujours plus meurtri, alors que la police des mœurs resserre son étreinte. Chirinne Ardakani, avocate et présidente de l'association Iran Justice et conseil de la famille de Narges Mohammadi, s’exprime auprès de RFI.

Dans un tunnel à Paris, une fresque représentant le mouvement «Femme, Vie, Liberté» qui lutte contre l'oppression de la République islamique d'Iran contre les femmes.
Dans un tunnel à Paris, une fresque représentant le mouvement «Femme, Vie, Liberté» qui lutte contre l'oppression de la République islamique d'Iran contre les femmes. AP - Francois Mori
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RFI : Narges Mohammadi a fait parvenir un enregistrement depuis la prison d'Evin. Elle évoque l'oppression subie par les femmes en Iran depuis de nombreuses années déjà, mais elle parle surtout d'une véritable « guerre à grande échelle à l'encontre de toutes les femmes ». Ce sont des mots forts. Comment se traduit cette répression accrue ?

Chirinne Ardakani : Il faut comprendre que depuis le 10 avril 2024, à l'issue de l'allocution d'Ali Khamenei, le guide suprême, on assiste à un redéploiement massif dans toutes les rues du pays de la police des mœurs qui n'avait pas disparu, bien au contraire, et qui se trouve renforcée aujourd’hui. De nouveau, elle procède à des arrestations massives sur la voie publique des femmes. Elle les interpelle pour port de voile non réglementaire, pour leur tenue vestimentaire, avec brutalité d'ailleurs, aux yeux et au su de leur famille. De nouveau, elle poursuit la traque des femmes non voilées, mais également des hommes, jeunes ou moins jeunes, toutes les personnes qui ne se conformeraient pas aux mœurs islamiques. La « police du tatouage », la « fashion police », des t-shirts un peu trop courts pour les hommes, des pantacourts un peu trop courts… Tout ce qui est assimilé comme étant représentatif de la « décadence occidentale ».

Quand Narges Mohammadi parle de « guerre contre les femmes », elle dit que de nouveau, la théocratie entend faire valoir le fait que la loi sur le port du voile obligatoire n'est pas négociable et que les femmes, croyantes ou pas, sont tenues de se voiler. En définitive, c'est le voile ou la mort. On se souvient de Mahsa Amini, morte pour un voile mal porté, mais également par la suite, en septembre 2023, d’Armita Garawand, qui a connu le même sort, morte après avoir été interpellée, ou en tout cas après avoir eu une altercation avec la police des mœurs. Et très récemment, Dina Ghalibaf, cette jeune femme de 22 ans actuellement incarcérée à la prison d’Evin, dans le quartier des femmes aux côtés de Narges Mohammadi, laquelle évoque son sort dans la tribune dans Le Monde en disant qu’elle aurait pu être une autre Mahsa Amini ou une autre Armita Garawand. Dina a été non seulement battue – son corps présente des hématomes importants – mais aussi agressée sexuellement.

Quand on parle de guerre contre les femmes, on dit qu’aujourd'hui, les femmes sont véritablement traquées, battues, humiliées en République islamique. Leurs corps portent les stigmates de cette violence, une violence de la part de l'État, ciblée et assumée par le régime islamique.

Vous avez évoqué Dina Ghalibaf, jeune journaliste dont parle Narges Mohammadi dans son témoignage qui est fort. Elle explique qu’elle a subi une agression sexuelle en détention. A-t-on des nouvelles la concernant ? Plus généralement, est-ce qu’on parvient à avoir des informations à propos de ce qui se passe derrière les barreaux pour les femmes ?

Il faut être très précautionneux. On a des bruits qui nous viennent d’Evin. C'est toujours très compliqué de s'exprimer parce que ce sont des informations qu'on a grand mal évidemment à vérifier. Néanmoins, vous voyez que le quartier des femmes de la prison d’Evin est aujourd'hui un bastion de la lutte et de la résistance, malgré les risques encourus, malgré la répression qui continue contre ces prisonnières politiques. Narges Mohammadi le dit : cela fait cinq mois qu’elle est interdite d’absolument tout contact avec l’extérieur, qu’elle est interdite de visite de la part de son avocat, qu'elle n'a pas le droit de parler à sa famille. Et en définitive, ces femmes prisonnières politiques ont dû mettre en place des stratagèmes au péril de leur vie.

Faire sortir clandestinement un message de la prison d’Evin, continuer à s’exprimer en dénonçant la politique misogyne du gouvernement iranien, expose encore davantage les prisonnières politiques qui, en représailles, voient s’alourdir leur peine et leur régime de détention se durcir. Il faut avoir en tête que, pour chaque message adressé clandestinement, ces femmes en payent le prix. Il est fort probable que, dans les prochains jours, les tribunaux révolutionnaires vont alourdir la peine de Narges Mohammadi pour s'être exprimée. Et on a déjà cette information : ce matin, Sepideh Gholian a été interdite de téléphoner, puisqu’elles ont franchi la ligne rouge fixée par leurs geôliers.

Dans la prison et dans les rues, les femmes, par leur détermination, payent le plus lourd tribut, mais aussi incarnent la résistance au régime oppressif des mollahs.

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Narges Mohammadi appelle les peuples du monde à faire ce qui est dans leur pouvoir pour mettre « fin à cette guerre sans merci », « cet apartheid de genre ». Comment la communauté internationale peut-elle agir pour soutenir les femmes persécutées en Iran ?

Je vais prendre un exemple tout simple : la chaîne des solidarités entre les militants pour les droits humains partout dans le monde. On a une femme qui est retenue dans la prison politique la plus sécurisée au monde, qui a une interdiction de communiquer avec l'extérieur. Et il va se mettre en place une exceptionnelle chaîne de solidarité entre les femmes dans le monde qui vont permettre à Narges Mohammadi, d'abord grâce à sa codétenue Sepideh Gholian – elle-même jeune journaliste arrêtée pour avoir couvert des grèves interdites dans le pays –, d’utiliser sa carte téléphonique de sa codétenue qui va en payer le prix. Narges Mohammadi va ensuite pouvoir donner ce message qui va être recueilli par les militants des droits humains à l'étranger, et notamment de la diaspora ici à Paris. Le message va être mis en ligne sur les réseaux sociaux et va être traduit en français puis diffusé dans un média tel que Le Monde, qui ensuite va à son tour le diffuser. D’autres militants des droits humains qui vont lire cette tribune et vont, partout dans le monde, à leur tour pouvoir faire vivre ce message. De la même façon, la presse libre – des pays qui permettent cette liberté d'expression et cette liberté d'opinion – vont à leur tour se faire le relai de ce message.

Ensuite, chacun doit faire sa part. Les décideurs politiques doivent à leur tour s'approprier ce message de l'intérieur de la prison politique pour prendre des actes de soutien demandés par la Narges Mohammadi, et plus largement par les femmes d’Iran. Et quand je dis « les actes », il s’agit de faire en sorte qu’il y ait un soutien actif à la population iranienne qui, aujourd'hui, n'est pas représentée par son gouvernement. Le fossé, l'écart n'a jamais été aussi grand entre le régime de la République islamique et l'ensemble de la population, qui a acté une rupture très nette avec ses dirigeants.

Là, on a la démonstration même de ce que peut donner une mobilisation à l'international sur la base d'un message qui sort d'un des lieux les plus répressifs d'une prison politique.

Narges Mohammadi est emprisonnée depuis trois ans, et ce n’est pas son premier passage en prison. Quelles sont les nouvelles la concernant, notamment à propos de son état de santé ?

Narges Mohammadi ne souhaite jamais qu'on insiste sur son état de santé. Parce que c'est une combattante. Elle le fait avec d'autant plus d'humilité qu'elle n'est pas la seule. Et elle tient à ce que l'on dise ça : ce n'est pas la seule détenue aujourd'hui qui a des problèmes de santé et à laquelle on refuse des soins. C'est aussi une stratégie du régime iranien que de tenter de fragiliser à l'usure la contestation des prisonniers politiques en leur refusant les soins ou en les prodiguant de façon tardive, de façon à fatiguer les corps.

Il y a également Fatemeh Sepehri, une militante très pieuse, qui porte elle-même le tchador pour rappeler que cette lutte des femmes iraniennes n’est pas une lettre contre la religion, mais une lutte contre l'islam politique, c'est-à-dire la confusion entre la loi religieuse et la loi civile. Fatemeh Sepehri, qui est également dans le quartier des femmes, a de graves problèmes cardiaques, et son pronostic vital est aujourd'hui très préoccupant. Il y a également une autre femme à ses côtés dont elle souhaite que nous parlions : Sedigheh Vasmaghi, une théologienne et poétesse qui, toute sa vie, a porté le voile obligatoire et y a renoncé en septembre dernier, lorsque Armita Garawand est morte, en solidarité avec les jeunes femmes de son pays. Sedigheh Vasmaghi a été conduite il y a quelques jours à l'hôpital parce que son état de santé s'est détérioré dans le quartier des femmes de la prison d’Evin.

Narges Mohammadi voudrait que nous parlions de ces codétenues, je crois, avant d'évoquer son sort, bien qu’elle-même se voie refuser les soins cardiaques dont elle a besoin. Il faut rappeler qu'elle a été opérée en 2021 et qu'elle garde donc une santé extrêmement fragile, comme l'ensemble de ces deux codétenues.

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