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Entretien

Conflit à Gaza, escalade entre Israël et l’Iran… le délicat «jeu d’équilibriste» de la Jordanie

Le week-end dernier, la Jordanie a participé au côté des États-Unis, du Royaume-Uni et de la France à l’interception des drones et missiles iraniens lancés contre Israël. Le royaume, dont la moitié de la population est d’origine palestinienne, doit jongler entre préserver la stabilité interne, et entretenir de bonnes relations avec son voisin israélien et ses alliés occidentaux. Entretien avec Jalal Al Husseini, chercheur politologue associé à l’Institut français du Proche-Orient (IFPO), à Amman.

Le roi Abdallah II de Jordanie lors d'une réunion avec un chef tribal au sud d'Amman, en 2021 (photo d'illustration).
Le roi Abdallah II de Jordanie lors d'une réunion avec un chef tribal au sud d'Amman, en 2021 (photo d'illustration). AP - Yousef Allan
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RFI : Comment expliquer d’un point de vue historique et géopolitique cet engagement de la Jordanie ?

Jalal Al Husseini : La Jordanie est un pays qui s’est toujours considéré comme vulnérable face aux pressions extérieures et aux guerres régionales. Cette vulnérabilité est due aux conflits à l’échelle du Proche-Orient, mais aussi au contexte interne. En particulier depuis 1948 et l’arrivée des réfugiés palestiniens qui ont été naturalisés, cela a rendu les choses encore plus difficiles.

Il y a eu cette dissension entre Jordaniens qu’on peut appeler « autochtones» et les jordaniens d’origine palestinienne. Cette fracture est une source d’instabilité et la Jordanie a depuis toujours été sous la coupe ou la supervision occidentale. Pour comprendre, l’Émirat de Transjordanie a été créé en 1921 par les Anglais, qui à la suite de la guerre mondiale règneront sur la Palestine, la Transjordanie et l’Irak. Lorsque l’influence anglaise dans la région a commencé à s’effriter, les États-Unis ont pris la relève jusqu’à nos jours.

D’un autre côté, la Jordanie, en tant qu’Émirat et royaume, était considérée par les opposants comme un laquais de l’impérialisme occidental. Et de ce fait se fera beaucoup d’ennemis, en particulier parmi les mouvements de gauche, hostiles à l’impérialisme et à la toute-puissance américaine dans la région. D’où cette vulnérabilité de la Jordanie, un pays pauvre qui dispose de très peu de ressources naturelles et qui a donc toujours été dépendant militairement et économiquement de l’Ouest. La Jordanie a cherché à nouer des alliances avec des pays qui sont du même camp.

Cela a été le cas avec l’Irak hachémite jusqu’en 1958, et d’autres pays selon leur orientation politique. L’Égypte était un pays considéré comme un ennemi sous Nasser, les relations se sont réchauffées sous Sadate qui s’était remis du côté américain. L’objectif final pour le royaume étant d’établir de bonnes relations et le dialogue avec tout le monde, et de servir d’intermédiaire tant que possible. On sait que les États-Unis sont le premier fournisseur d’aide militaire à la Jordanie, mais le royaume a établi d’assez bonnes relations avec la Russie. Il s’agit de diversifier ses relations et ses soutiens à l’échelle internationale.

Une priorité pour Amman est d'entretenir aussi de bonnes relations avec son voisin israélien. L’accord de paix, « le traité de Wadi Araba », signé en 1994 a permis de normaliser les relations. Il garantit un respect réciproque de la souveraineté, le partage équitable des ressources d’eau, la coopération concernant les réfugiés palestiniens, le tourisme, mais aussi et surtout la défense du voisin en cas de menace. En quoi cet accord est-il crucial pour la Jordanie ?

C’est un traité très important. Un rêve pour Abdallah 1ᵉʳ, le roi hachémite, qui dès les années 1930-40 a voulu établir des relations avec les sionistes comme Golda Meir. Selon lui, les sionistes étaient des Occidentaux dont la présence permettrait une croissance économique et le progrès dans la région et que tout le Proche-Orient en bénéficierait. Ce n’est qu’après quatre conflits israélo-arabes, mais surtout les accords de paix d’Oslo concluent entre l’OLP et Israël en 1993, que la Jordanie décide de sceller un accord de paix avec Israël considérant qu’il était dans son intérêt et que la normalisation avec son voisin serait une source de développement économique et de stabilité régionale. Malheureusement, l’échec du processus d’Oslo entre Palestiniens et Israéliens nuira aussi aux relations entre la Jordanie et Israël.

Chaque conflit entre Israël et les Palestiniens a provoqué de vives protestations en Jordanie. La guerre actuelle entre Israël et le Hamas et la situation des Gazaouis suscitent la colère de la population. Pendant plusieurs semaines, des dizaines de milliers de personnes ont manifesté devant l’ambassade d’Israël à Amman. Ces protestations ont été durement réprimées, il y a eu aussi de nombreuses arrestations. Comment interprétez-vous la position des autorités jordaniennes ?

La Jordanie a vigoureusement protesté contre les attaques israéliennes dans la bande de Gaza, mais concernant les manifestations dans la capitale, elle s’est fixée deux lignes rouges : ne pas porter atteinte à l’ambassade d’Israël et à la frontière entre les pays. La Jordanie joue un jeu d’équilibriste au niveau régional mais aussi au niveau interne. Le pays est loin d’être un régime oppressif comme a pu l’être l’Irak. Il y a eu bien eu des arrestations et un durcissement ces dernières années de la loi pour chasser les voix discordantes, mais c’était au nom de la stabilité.

Il ne faut pas oublier dans ce contexte le traumatisme qu’a subi la Jordanie en 1967, lors du troisième conflit israélo-arabe, lorsque le royaume a perdu la souveraineté sur la Cisjordanie. La Jordanie a retenu cette leçon : la guerre peut être très préjudiciable au pays, raison pour laquelle elle essaye d’éviter tout conflit avec Israël. Toute atteinte à l’ambassade israélienne à Amman pourrait être interprétée comme un casus belli.

La particularité de la Jordanie dans la région est sa très nombreuse communauté palestinienne qui est arrivée dans plusieurs vagues successives de réfugiés. Quelle est la situation aujourd’hui ?

Aujourd’hui, il y a environ 11 millions d’habitants en Jordanie. Concernant les Palestiniens, il y a les réfugiés qui ont été naturalisés par le gouvernement jordanien en 1949. Le chiffre est tabou, ils représentent 42-43% de la population. Si l’on y ajoute tous les Palestiniens qui n’ont pas la nationalité, comme les réfugiés de Gaza par exemple arrivés en 1967-68, et les Cisjordaniens qui sont arrivés en Jordanie lors de la première, mais surtout de la deuxième Intifada, on arrive à 50%. Mais si l’on prend Amman, la capitale, 70% de la population est d’origine palestinienne.

Les relations entre Jordaniens et Palestiniens ont été assez tendues dans le passé. On n’a pas oublié le Septembre noir, la guerre entre les factions de l’OLP et le régime jordanien. Ces tensions continuent d’exister et il est important de les gérer en posant des limites. Un courant transjordanien dans le pays est particulièrement hostile à la présence palestinienne. Une autre problématique que doit gérer le roi.

Le Hamas est persona non grata dans le pays. L’organisation est-elle une source d’inquiétude pour la Jordanie ?

Bien sûr, c’est un souci majeur qui a poussé Amman à fermer les bureaux du Hamas en 1999, car il était perçu comme une menace. Tout comme les frères musulmans présents dans le pays, qui étaient affiliés ou très proche du Hamas. Les moyens déployés par les autorités pour les décrédibiliser ont en partie été couronnés de succès.

Dans le contexte de tensions actuelles, où Israël pourrait riposter à l’attaque de samedi dernier, la Jordanie craint-elle les menaces de l’Iran, qui a averti que tous les pays qui collaboreraient avec Tel Aviv pourrait devenir une cible ?

L’Iran est assez prudent et agit via ses proxys. Les attaques de samedi13 avril étaient des mesures de représailles contre l’attaque de son consulat à Damas. Match nul, on tourne la page et on revient aux affaires normales. Que ce soit à Gaza ou dans tout autre conflit régional, la Jordanie va appeler à un retour au calme, au nom de la stabilité. C’est tout ce qu’elle peut faire, puisqu’elle n’est pas un acteur régional de poids.

La position du gouvernement jordanien dans la situation actuelle aura-t-elle une incidence sur les fragiles équilibres internes ? Et risque-t-elle d’exacerber le sentiment anti-israélien dans la population ?

La Jordanie n’est pas un partenaire de la guerre d’Israël, le pays a protégé sa souveraineté qui a été violée par l’Iran, avec le passage dans son espace aérien de drones et missiles. En contribuant à abattre les projectiles, elle a réaffirmé sa souveraineté sur son espace. Par ailleurs, le pays partage sa plus longue frontière avec Israël et n’a absolument pas envie d’être pris en sandwich entre l’Iran et Israël.

N’étant pas une puissance régionale, la Jordanie continuera de jouer un rôle humanitaire ou de médiateur, lorsqu’on le lui demande, et fera en sorte de maintenir de bons rapports avec tout le monde au nom de la stabilité. Et pour préserver ses intérêts vitaux, elle continuera de mettre en œuvre les clauses du traité de paix de Wadi Araba avec les Israéliens.

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