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Entretien

«Spirale classique de violences et de représailles» à Jérusalem

Les menaces de Benyamin Netanyahu ont été mises à exécution. Dans la nuit du mercredi au jeudi 20 novembre à Jérusalem-Est, les forces de sécurité israéliennes ont détruit la maison d’un Palestinien auteur d’un attentat le mois dernier. Hier, mercredi, deux assaillants palestiniens ont tué cinq Israéliens en visant une synagogue dans le quartier ultra-orthodoxe de Har Nof à Jérusalem-Ouest. Jean-Paul Chagnollaud, professeur de sciences politiques à l’université de Cergy-Pontoise, directeur de l’Institut de recherche et d’études sur la Méditerranée et le Moyen-Orient, livre son analyse sur la situation.

Les services de sécurité israéliens ont fait sauter l'appartement  d'Abdelrahmane Shalodi à Jérusalem-Est.
Les services de sécurité israéliens ont fait sauter l'appartement d'Abdelrahmane Shalodi à Jérusalem-Est. REUTERS/Ammar Awad
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RFI : Pensez-vous que ces mesures fortes, comme la destruction des habitations des terroristes présumés, est une mesure qui va dans le sens de l’apaisement ?

Jean-Paul Chagnollaud : Bien sûr que non ! Il est clair que cette répression qui touche à la punition collective, puisqu’on va toucher aussi la famille, va forcément avoir des effets négatifs. En clair, il y aura des gens qui auront envie de se venger. Et nous sommes donc dans une spirale malheureusement très classique des violences et des représailles – et des représailles et des violences –, donc ça va évidemment accentuer encore le malaise profond que les Palestiniens ressentent.

Ce qui s’est passé dans cette synagogue est évidemment absolument condamnable et il n’y a pas de question là-dessus ! Mais par ailleurs, il faut comprendre quel est le terreau. Et le terreau, c’est bien entendu la situation que le gouvernement Netanyahu impose à Jérusalem-Est. C'est-à-dire auprès de 300 000 Palestiniens qui sont sous occupation et en aucune manière maîtres de leurs destins. Ils n'ont même pas la possibilité de pouvoir se loger décemment, puisque la plupart du temps les permis de construire leur sont refusés. Il est évident qu'entre la judaïsation de la ville et ces interdictions multiples, il y a des tensions majeures qui vont continuer.

Est-ce que justement, réprimer en quelque sorte ceux qui ne sont pas responsables de cette violence, ce n’est pas de la part de l’Etat hébreu un aveu d’impuissance ?

Je crois qu’on est dans une impasse totale, parce que la question fondamentale c’est qu’on ne peut pas contrôler une ville par l’occupation comme si de rien n’était. C'est-à-dire qu’on ne peut pas s’attendre de la part des 300 000 Palestiniens à ce qu’ils acceptent et la judaïsation de Jérusalem-Est, et la colonisation à outrance, et l’occupation. Bien entendu il y a une question politique. Or, le gouvernement nationaliste, très nationaliste de Netanyahu, veut rester dans ce déni de réalité. Il impose l’idée que Jérusalem est la capitale d’Israël, ce qui n’est reconnu par aucun Etat au monde ! Pas même les Etats-Unis ! Donc il y a une question politique. Et tant que ces gouvernements israéliens refuseront de débattre du statut de Jérusalem pour laisser une place à un Etat palestinien à côté d’Etat d’Israël, on aura très régulièrement ce type de tensions, de frustrations et, par conséquent, de violences. Ce sont des violences erratiques, qui ne sont pas structurées autour d’une organisation politique. Ce sont des réactions de tel ou tel petit groupe, voire de tel ou tel individu qui n’en peuvent plus, qui n’ont plus d’avenir et qui font n’importe quoi, jusqu’à aller attaquer – et ça, c’est évident, et je vous répète, extrêmement condamnable, plus que condamnable même – des croyants dans leurs synagogues.

Des assaillants qui ont souvent le même profil, celui d'un solitaire quasi insaisissable...

Si on connaît un tant soit peu la ville, on voit bien que ces jeunes sont perdus ! Beaucoup n’ont pas de boulot. En plus, il faut bien comprendre que les Palestiniens de Jérusalem-Est sont soumis à un statut d’une très grande précarité. Ils ont des cartes de résidence délivrées par les autorités d’occupation, Israël, et ces cartes de résidant leur permettent de rester chez eux en quelque sorte, dans la ville. Mais s’il leur arrive tel ou tel incident, on leur retire cette carte de résidant. Et par conséquent ils sont obligés de quitter l’endroit où ils ont toujours vécu, où leur famille est présente depuis des générations ! Donc c’est vraiment un statut extrêmement précaire qui rend encore plus difficile leur vie quotidienne !

Et la situation est tendue également du côté des villes arabes israéliennes ?

Ça, c’est un autre sujet qui est très complémentaire, effectivement. C’est que ce qui s’est passé il y a quelques jours ou quelques semaines ; la police a tué un jeune Arabe israélien, ce qui montre aussi un malaise énorme, la fracture dans la société israélienne elle-même, entre les juifs israéliens, les Arabes israéliens. Les Arabes israéliens ont le sentiment, et ce n’est pas seulement un sentiment, c’est que ça renvoie à une réalité, d’être vraiment des citoyens de seconde zone. Jamais la police n’aurait tiré sur un manifestant juif alors qu’ils ont tiré sur un manifestant arable israélien ! Et là, c’est une fracture profonde. Bien entendu, le fait de réclamer et d’exhiber sans arrêt l’idée d’un Etat signifie que dans un Etat juif, il y a une partie des citoyens, je parle d’Israël cette fois-ci, qui ne se reconnaissent pas dans cet Etat juif ! Ils sont Arabes. Une démocratie doit prendre en compte l’ensemble des citoyens, qu’ils soient Arabes ou qu’ils soient juifs.

Hier, mercredi 19 novembre, il y a eu la reconnaissance justement de l’Etat palestinien par le Parlement espagnol. A Paris, le vote est programmé pour le 28 novembre. Comment ces processus en Europe peuvent influencer ces tensions récurrentes ?

Je crois que c’est très important que ça se passe en Europe, parce que c’est quand même là que ça joue beaucoup avec les Etats-Unis, bien entendu. Et c’est l’idée qu’il existe quelque chose qui s’appelle le « droit international ». Le fait de reconnaître l’Etat de Palestine est un rappel au droit international qui dit très clairement qu’on ne peut pas acquérir de territoire par la force. Par conséquent, ni Gaza, ni la Cisjordanie, ni Jérusalem-Est ne peuvent être placés sous la souveraineté israélienne. Ce sont des territoires occupés. Ce processus est important. Ça peut faire pression sur le gouvernement israélien pour qu’il accepte enfin de vraies négociations, c’est-à-dire faire des compromis fondamentaux.

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