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entretien

Fourniture d'armes à Israël: «Actions judiciaires et pressions de la société civile ont déjà certains effets»

Le Nicaragua est auditionné, ce lundi 8 avril, à la Cour internationale de justice. Le pays a déposé une plainte contre l'Allemagne pour son soutien militaire à Israël, ce qui pourrait constituer, selon le Nicaragua, une complicité de génocide. Johann Soufi, chercheur en droit international, est interrogé par Murielle Paradon

Char de combat israélien en mouvement autour de la bande de Gaza, le 24 janvier 2024 (image d'illustration).
Char de combat israélien en mouvement autour de la bande de Gaza, le 24 janvier 2024 (image d'illustration). AP - Tsafrir Abayov
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RFI : quel est l’objectif de cette plainte et a-t-elle une chance d’aboutir ?

Johann Soufi : il y a deux types de résultats attendus, l’un politique, l’autre judiciaire. Du point de vue politique, on constate déjà une évolution de l'attitude de l'Allemagne depuis l’action judiciaire engagée par le Nicaragua devant la Cour internationale de justice (CIJ). L'Allemagne a changé de ton vis-à-vis d'Israël, en appelant désormais, avec davantage de vigueur, le gouvernement israélien à laisser entrer l'aide humanitaire et à faire preuve de réserve dans sa réponse militaire. De ce point de vue-là, on peut considérer que l’action du Nicaragua a eu un impact politique notable.

D’un point de vue judiciaire, ensuite, on pourrait attendre de la Cour des mesures conservatoires, de la même manière qu'elle en avait ordonné à Israël [le 26 janvier, NDLR], à la différence cette fois que le Nicaragua accuse l'Allemagne de complicité de génocide. Il me parait difficile toutefois, que la Cour se prononce sur la complicité alléguée de l’Allemagne sans se prononcer, au préalable, sur la nature des actes commis par Israël dans la bande de Gaza, et sur l’existence ou non d’un génocide. Or, c’est justement cette question qui est l’objet de la procédure engagée par l’Afrique du Sud devant la CIJ, mais elle va prendre des années. Israël ne participe pas à l’affaire entre le Nicaragua et l’Allemagne. D'un point de vue juridique et procédural, il me semble donc qu’il y a peu de chances que la démarche du Nicaragua aboutisse.

Il y a d’autres démarches que celle du Nicaragua. Le Conseil des droits de l'homme de l'ONU a adopté vendredi une résolution, par 28 voix sur 47, demandant aux États d'arrêter leurs ventes d'armes à Israël. Cette résolution peut-elle avoir un effet concret ?

Abordons d’abord la question d’un point de vue strictement juridique. Cette résolution n’est pas en elle-même juridiquement contraignante, mais elle met en relief l’obligation qui incombe aux États de prévenir les crimes internationaux, notamment en cessant de fournir des armes à Israël. Cette obligation résulte notamment de la Convention de 1948 sur la prévention et la répression du génocide, en particulier depuis que la CIJ a reconnu, dans son ordonnance du 26 janvier 2024, l’existence d’un risque plausible de génocide à Gaza.

D’un point de vue pratique toutefois, il semble difficile d’en attendre un effet concret, notamment de la part du principal fournisseur d’armes à Israël, les États-Unis. C'est là, en réalité, tout le paradoxe du droit international, qui dépend essentiellement de la volonté des puissances de le respecter et de le mettre en œuvre. On le voit, tant les mesures conservatoires prononcées par la CIJ dans son ordonnance du 26 janvier, que la résolution du Conseil de sécurité du 25 mars ordonnant un cessez-le-feu immédiat, n'ont pas entraîné de changement concret sur le terrain. Cela montre bien que sans la volonté politique des États d’imposer le respect du droit international, y compris par des sanctions diplomatiques, économiques, politiques ou militaires, celui-ci n'a pas forcément d'effectivité directe à court terme.

Plusieurs États sont soumis à des procédures judiciaires nationales : le Canada, les Pays-Bas... En Grande-Bretagne et en France, des personnalités et des parlementaires ont appelé les gouvernements à cesser leurs ventes d’armes à Israël.

Oui et il y a déjà eu des premiers effets. Aux Pays-Bas, par exemple, la Cour d'appel de La Haye a ordonné la suspension de la livraison par le gouvernement de composants du F-35, l'avion américain qu'utilise Israël aujourd'hui dans la bande de Gaza. Au Canada, le gouvernement a annoncé sa décision de suspendre la livraison d'armes à Tel-Aviv. Ces actions judiciaires et les pressions de la société civile ont donc déjà certains effets. Les États savent aussi qu’à moyen ou à long terme, ils sont susceptibles de voir leur responsabilité engagée pour la complicité des crimes commis par Israël dans la bande de Gaza et en Cisjordanie. Il existe donc bien une dimension juridique, au-delà de l’aspect purement politique, qui fait que les États et leurs services juridiques cherchent à se protéger d'éventuelles poursuites devant les juridictions nationales ou internationales.

On parle du Canada, des Pays-Bas, mais on sait que le plus gros fournisseur d'armes à Israël, ce sont les États-Unis et eux n'ont pas l'air de bouger...

Oui c’est exact, et c’est effectivement un problème. La raison pour laquelle le Nicaragua n'a pas poursuivi les États-Unis devant la CIJ, alors qu’elle le fait pour l'Allemagne, est aussi juridique. Le gouvernement américain a, au moment de ratifier la Convention de 1948 sur le génocide, émis une réserve sur l'article IX qui permet autrement à la Cour de trancher les différends entre États, y compris ceux relatifs à leur responsabilité en matière de génocide et de complicité de génocide.

Mais sur la scène internationale, le gouvernement américain se retrouve de plus en plus isolé en raison de son soutien presque inconditionnel au gouvernement de Benyamin Netanyahu. Au niveau national, des actions judiciaires ont aussi été initiées contre l’administration Biden. Enfin, le coût politique et financier pour le gouvernement américain, de continuer à soutenir militairement le gouvernement israélien, est également bien connu. Désormais, c’est quasiment la question de la réélection de Joe Biden en novembre qui se pose.

En dehors de la responsabilité des États qui pourrait être engagée dans la vente d'armes à Israël, quid de la responsabilité des entreprises ?

À l’avenir, des entreprises et leurs dirigeants pourraient être condamnés pour avoir livré des armes à Israël. Je rappelle, par exemple, que l'entreprise française Lafarge et certains de ses dirigeants sont poursuivis pour complicité de crimes contre l’humanité, pour avoir commercé avec Daesh en Syrie. Dans son arrêt du 7 septembre 2021, la Cour de cassation a précisé qu’il n’était pas nécessaire que le complice partage l’intention des auteurs des crimes contre l’humanité. C’est aussi la jurisprudence des tribunaux internationaux. Il suffit donc de démontrer que le ou les complices savaient que les auteurs principaux allaient commettre un crime international et qu’ils en ont facilité la commission par leur aide ou leur assistance pour que leur responsabilité pénale puisse être engagée. On voit donc, par exemple, comment une entreprise qui livrerait des armes à Israël et qui permettrait à l’armée de commettre des crimes dans la bande de Gaza pourrait voir sa responsabilité pénale et celle de ses dirigeants engagées devant les juridictions nationales, sans même qu’il y ait besoin de démontrer que l’entreprise ou ses dirigeants partageaient l'intention criminelle qui est prêtée aux responsables israéliens. Le risque juridique est bien réel.

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