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France / Politique

Jean-Yves Camus: «Mme Taubira peut porter plainte mais le but est que le lectorat de "Minute" reste réduit»

La photo de Christiane Taubira est en Une de Minute, un hebdomadaire d’extrême droite, anti-gaulliste, anti-communiste, soutien du Front national depuis les années 1970. Et cette nouvelle attaque raciste contre la ministre de la Justice. Christiane Taubira avait déjà été insultée lors d’une manifestation le 25 octobre. Son image a été souillée aussi par une candidate du Front national aux municipales. Cette fois, le Premier ministre Jean-Marc Ayrault a saisi le procureur de la République de Paris. Le ministre de l’Intérieur Manuel Valls annonce que le gouvernement étudie les moyens d’agir contre la diffusion de Minute. Jean-Yves Camus, politologue, auteur du livre Extrémismes en France : faut-il en avoir peur ?, aux éditions Milan, analyse cette possibilité.

Le ministre de l'Intérieur Manuel Valls est venu soutenir la garde des Sceaux, Christiane Taubira, en affirmant : «On ne peut pas laisser passer cela».
Le ministre de l'Intérieur Manuel Valls est venu soutenir la garde des Sceaux, Christiane Taubira, en affirmant : «On ne peut pas laisser passer cela». AFP PHOTO / PATRICK HERTZOG
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RFI: Faut-il mettre Minute au pilon ?

Jean-Yves Camus : Nous sommes dans un Etat où le régime des libertés fondamentales et notamment de la liberté de la presse est fort heureusement très libéral sur ces questions. Pour obtenir le retrait de la vente d’un journal comme d’un livre, il faut des motifs d’ordre public suffisants, des motifs d’urgence. Et ce sont des décisions qui ne sont prises que dans des cas exceptionnels. Donc, attention, c’est une possibilité effectivement d’opérer ainsi, mais ça doit toujours rester pour des raisons qui tiennent encore une fois à cette liberté fondamentale qu'est celle de la presse, absolument exceptionnelles.

La Une de « Minute », un hebdomadaire d’extrême droite.
La Une de « Minute », un hebdomadaire d’extrême droite. DR.

Aussitôt la Une de Minute rendue publique, le ministre de l’Intérieur, Manuels Valls, a déclaré : « On ne peut pas laisser passer cela ». Que peut faire exactement le gouvernement ?Que peut faire d’abord la garde des Sceaux qui est la première victime de cette Une ? 

Elle peut évidemment porter plainte. C’est une solution. Il n’est pas nécessaire que la diffusion du journal soit suspendue pour qu’une action en justice s’engage. Ce sont d’ailleurs des associations anti-racistes qui peuvent se pourvoir en justice.

SOS racisme a déjà dit qu’il allait le faire...

Voilà, et il y en a d’autres. Donc il y a possibilité d’agir en justice sans qu’un tribunal ordonne le retrait de la vente de l’hebdomadaire.

Jusqu’à présent, Christiane Taubira reste plutôt en retrait. Elle a d’ailleurs exclu à titre personnel de déposer plainte.

Elle l’exclut parce qu’elle part du principe, qui me paraît assez sain, qu’il serait une publicité extraordinairement puissante de continuer par la voie judiciaire. Elle considère que le journal a essayé de faire un coup, de faire un buzz, c’est-à-dire entièrement réussi. Et elle considère également qu’il n’est pas utile de lui faire une publicité qui augmenterait les ventes dans des proportions importantes parce qu’il s’agit d’un journal qui est malgré tout au lectorat assez réduit. Le but pour Christiane Taubira, c’est que ce lectorat reste assez réduit et non pas que les ventes flambent.

Justement, la porte-parole du titre se retranche derrière l’argument, c’est « satirique ». Et certains font un rapprochement quand il y avait eu cette affaire de caricatures de Mahomet par Charlie Hebdo.

Oui, le rapport est tout de même extrêmement lointain parce que dans un cas, les caricatures visaient, quoi qu’on pense d’elle, une religion, un principe dans notre Etat laïc qui est la possibilité de critiquer les religions quelles qu’elles soient. Dans l’autre cas, il s’agit d’un titre, d’une couverture qui vise une personne qui est dépositaire de l’autorité publique. Ca n’est pas exactement la même chose. Il y a bien une personne privée qui est cette fois-ci visée.

Une personne qui, justement, avait reçu la semaine dernière le soutien de la majorité parlementaire. Et aujourd’hui, il y a les questions au gouvernement, une séance publique. Qu’est-ce que l’on attend précisément là encore, qu’il y ait une forme de mobilisation publique pour soutenir la ministre offensée ?

Cette mobilisation, elle s’est exprimée. Mais elle s’est exprimée bien après l’incident d’Angers qui est en fait le point déclenchant de toute cette polémique. Et elle n’a peut-être pas été, après les insultes reçues par Christiane Taubira à Angers, suffisamment immédiate, suffisamment forte pour que, passez moi l’expression, la classe politique dans son ensemble ait « marqué le coup ». A partir de là, il était prévisible qu’il y ait d’autres développements dont la Une de Minute n’est qu’un avatar parmi d’autres. Maintenant, effectivement, il peut y avoir des réactions, il doit y avoir des réactions, mais il est finalement un peu tard par rapport à l’acte qui, moi, me paraît le plus grave et dans lequel le Front national n’est pas impliqué, qui est l’incident d’Angers lorsqu’une enfant accompagnant ses parents à une manifestation contre le mariage homosexuel a proféré les injures à l’égard de la garde des Sceaux [« C'est pour qui la banane ? C'est pour la guenon » ndlr].

C'est à ce moment-là que Christiane Taubira s'était émue de cette discrétion ou du moins de cette absence de réaction.

Tout à fait. On a vu d’ailleurs Christiane Taubira monter au créneau dans la presse nationale les jours suivants pour expliquer avec, je crois, un peu d’amertume, qu’elle ne s’était pas sentie suffisamment soutenue après cet incident qui est tout de même dans les annales de la vie politique française, en tout cas sous la Ve République, extrêmement nouveau. Nous n’avons pas connu avant de telles insultes proférées à l’encontre d’un ministre de la République. On peut évidemment trouver toutes les explications possibles. C’était une enfant, mais après tout, cet enfant a des parents. On peut dire qu’il s’agissait de manifestants isolés qui n’engagent pas l’ensemble de la manifestation pour tous, c’est absolument certain. Mais il est tout de même invraisemblable qu’on en vienne à s’en prendre à quelqu’un à qui on peut s’opposer certes pour des raisons idéologiques, mais pas pour des raisons liées à son origine et à la couleur de sa peau.

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