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Éclairage

«Chinagate» au Parlement européen: Bruxelles, un nid d'espions?

Alors que les élections européennes ont lieu dans cinq semaines, du 6 au 9 juin 2024, les députés européens ont tenu leur dernière session plénière, terme de cinq ans de mandat. Très intense au vu du nombre de textes à adopter, la séance a été ternie par un nouveau scandale, celui de l'espionnage d'un eurodéputé d'Alternative für Deutschland, l'extrême droite allemande, par la Chine. Cette affaire au sein du Parlement européen n'est pourtant que la partie émergée de l'iceberg.

Un collaborateur de la tête de liste de l'extrême-droite allemande pour les élections européennes du mois de juin, est accusé d'avoir travaillé pour la Chine. (Image d'illustration)
Un collaborateur de la tête de liste de l'extrême-droite allemande pour les élections européennes du mois de juin, est accusé d'avoir travaillé pour la Chine. (Image d'illustration) © Virginia Mayo / AP
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De notre correspondant à Bruxelles

Que l'assistant parlementaire chinois du député Maximilian Krah puisse être un espion à la solde de Pékin n'est pas invraisemblable, selon les partis de gauche. L'Allemand Sergey Lagodinsky est député du groupe des Verts au Parlement européen : « Je ne suis guère surpris, car nous avons un problème systémique. Nous avons un parti dans nos parlements qui n'aime pas l'Europe, qui déteste l'Europe et qui soutient les dictateurs. Ce n'est pas nouveau. L'AfD a un flanc ouvert. Et structurellement, la Chine et les services secrets chinois y ont donc des portes ouvertes. »

Les politiciens belges ciblés aussi

Mais en réalité, les partis comme Alternative für Deutschland n'ont pas le monopole et le Parlement européen non plus. Un groupe de hackers chinois APT31 est accusé d'espionnage contre cinq députés belges, dont Guy Verhofstadt, ancien Premier ministre et membre du Parlement européen. À quelques encâblures, au Parlement belge, le député Georges Dallemagne, du parti de centre droit Les Engagés a lui aussi été ciblé par cette cyberattaque : « J'ai fait l'objet d'intimidations, j'ai fait l'objet de menaces de la part de la Chine et je soupçonnais effectivement qu'ils cherchaient à s'introduire dans mon ordinateur, dans mon téléphone. Et donc là, on a eu cette confirmation. Il y a quelques années, j'avais indiqué qu'effectivement le comportement de la Chine qui attaquait déjà la Belgique était inacceptable. J'avais même traité la Chine d'État voyou et j'ai fait l'objet à la fois de menaces, d'intimidations et aussi de tentative de séduction puisqu'une des collaboratrices de l'ambassade de Chine a proposé d'aller faire des vendanges avec moi, et donc c'est intéressant de voir toute la panoplie d'instruments qu'ils utilisent pour tenter effectivement à la fois de nous déstabiliser et de nous faire changer d'opinion ou de nous intimider. » Georges Dallemagne fait partie de l'IPAC, une alliance internationale de parlementaires qui s'intéressent de près à la Chine et à qui le FBI a révélé qu'ils avaient tous été ciblés.

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Claude Moniquet, lui-même ancien agent de la DGSE, le renseignement extérieur français, est le co-fondateur de l'ESISC, centre européen de renseignement et de sécurité stratégiques. Il estime que l'efficacité du renseignement repose surtout sur le capital humain : « On a ce qu'on appelle des "agents d'accès", c'est-à-dire des gens qui ne vont pas être des opérationnels purs, mais qui vont cultiver quelqu'un, le repérer et signaler à leurs services : telle personne peut être recrutée. On a des officiers traitants qui vont pratiquer le recrutement et ensuite traiter la source, autrement dit amener la source à fournir régulièrement le renseignement recherché. Et ce renseignement peut être de deux ordres, ça peut être du renseignement de contexte ou du renseignement oral. La source à ce moment-là répondra à des questions ou parfois rendra un rapport écrit. Et les Chinois sont très, très friands de ce genre de choses, ça peut être des documents. Les Chinois, les services de renseignement chinois ont été créés historiquement par les Soviétiques et les Soviétiques ont le culte du document. Pour eux, ce qui est vrai, c'est ce qui est écrit, avec plein de cachets "secret", "très secret", "cosmique défense". Ça a de la valeur, beaucoup plus que les confidences de quelqu'un qui est peut-être au centre de la décision et qui peut être donnera la décision qui va être prise, mais sans fournir le papier. »

En l'occurrence, la présence d'agents chinois à Bruxelles est un secret de polichinelle, selon Georges Dallemagne : « C'est clair que les Chinois sont ici massivement. Ils ont acquis toute une série de biens immobiliers, ils ont amené un personnel extrêmement important parce que c'est une place stratégique. Évidemment, c'est le cœur de l'Europe, avec les institutions européennes, mais aussi l'Otan, c'est la Belgique, mais aussi, nous dit-on, toute une série d'autres pays. Il n'y a pas un grand pays aujourd'hui ou une puissance régionale ou mondiale qui n'a pas, ici à Bruxelles, des espions cherchant à connaître la manière dont travaillent les institutions européennes. On le voit avec le Parlement européen, mais aussi l'Otan. Et que ce soit d'ailleurs des pays amis ou des pays hostiles. Ils ont tous effectivement une capacité de renseignement très puissante ici à Bruxelles. »

Des agents sans couverture diplomatique, un casse-tête pour Bruxelles

Pour y faire face, la Sûreté de l'État, les renseignements belges, sont en première ligne, mais le défi est gigantesque, explique Claude Moniquet : « Bruxelles est certainement aujourd'hui l'une des places de renseignement les plus importantes au monde, peut-être même la plus importante, plus que les États-Unis. Alors après, il faut distinguer l'officier de renseignement, qui est donc un fonctionnaire appartenant à un service de son État et agissant essentiellement à Bruxelles sous couverture diplomatique. Mais après ça, on va avoir (et les Russes sont des spécialistes de la question, mais les Chinois aussi) des illégaux, c'est-à-dire des gens sans couverture diplomatique. Et on va avoir ce qu'on appelle les agents qui sont des sources, les personnes qui sont recrutées par ces officiers de renseignement. Si on totalise le tout, on est à beaucoup plus que 1 000 personnes, on est dans l'ordre des milliers, voire de 10 ou 20 000 peut-être. » Un chiffre énorme si on le compare aux 37 000 agents de l'Union européenne en Belgique, et la faiblesse inhérente des démocraties de l'Union européenne pousse les experts à appeler à un renforcement des services européens pour le contre-espionnage, actuellement moins prioritaires que le contre-terrorisme. 

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