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Nucléaire français et défense européenne, Emmanuel Macron relance un épineux débat

Au cours de l'entretien paru dans les journaux du groupe Ebra, le président Macron se dit prêt à ouvrir le débat d'une défense européenne qui comprendrait aussi l'arme nucléaire. Pour lui, ce débat européen devrait aussi incorporer la défense antimissile et les tirs d'armes de longue portée, dans le contexte de la guerre en Ukraine.

Le président Emmanuel Macron lors d'un discours à la Sorbonne sur l'Europe, le 25 avril 2024.
Le président Emmanuel Macron lors d'un discours à la Sorbonne sur l'Europe, le 25 avril 2024. © CHRISTOPHE PETIT TESSON / AFP
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La doctrine élaborée il y a 60 ans par le général Pierre Gallois, père de la dissuasion, est intangible. Elle n'accorde pas de place à un bouclier antimissile. Si les intérêts vitaux sont attaqués, la réponse de la France est le feu nucléaire. La crédibilité de la dissuasion repose sur ce postulat : un ennemi qui voudrait nous attaquer durement doit savoir qu'en retour, on lui promet l'apocalypse.

Mais l'arme nucléaire peut-elle se partager ? Par définition, non, l'arme nucléaire, c'est l'outil ultime de la souveraineté, le chef de l'État est le seul à pouvoir l'utiliser. Quand Emmanuel Macron parle d'une défense européenne qui comprendrait aussi l'arme nucléaire, il réitère ses propos du 13 octobre 2022 : les intérêts vitaux de la France, qui est le seul pays européen doté de cette arme, s'étendent au Vieux Continent. Reste que le flou demeure sur ce que cela signifie. À titre d'exemple, si l'Allemagne était attaquée, l'intérêt vital serait évident, mais qu'en serait-il pour un petit pays plus périphérique. La doctrine ne le dit pas.

« Il se positionne comme le leader d'un pilier européen futur, analyse pour RFI le colonel Peer de Jong ex-aide de camp à l'Élysée. Cette dissuasion pourrait s'appliquer comme une forme de parapluie nucléaire dans le cas d'une défaillance de l'Otan. En tout cas, le président Macron imagine une dissuasion qui pourrait être proposée aux États européens sous une forme d'un parapluie nucléaire tel que les Américains l'avaient conçu dans les années 1950. »

En posant sur la table une question aussi sensible que la dissuasion nucléaire, Emmanuel Macron vise plusieurs objectifs, note Valérie Gas, du service politique de RFI. D’abord, il veut donner du contenu à sa proposition de « défense européenne crédible » présentée dans son discours de la Sorbonne la semaine dernière, en montrant que rien n’est tabou pour permettre à l’Europe d’assurer sa propre sécurité.

Ensuite, il souhaite se placer une nouvelle fois en leader de l’Europe, celui qui propose pour faire avancer. Une posture adoptée dès 2017 et qu’il réactive dans la perspective des élections de juin desquelles découleront un nouvel équilibre politique à Bruxelles, mais aussi en France si le RN remporte le scrutin. En abattant cette carte, Emmanuel Macron dramatise les enjeux des européennes et impose un thème de campagne.

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Une déclaration qui fait polémique

Les déclarations du président français a immédiatement attiré les foudres des partis de l'opposition. François-Xavier Bellamy, tête de liste Les Républicains (LR) aux élections européennes de 2024 s'est offusqué sur Europe 1/CNews : « Ce n'est pas être pro-européen que d'avancer dans cette voie. Parce que, en fait, ça n'a aucun sens, la dissuasion nucléaire repose bien sûr sur la maîtrise d'une technologie qui coûte très cher aux Français, qui est un investissement historique de notre pays. Et en déposséder les Français, c'est évidemment une forfaiture pour le président de la République. »

Comme la droite, LFI a estimé dimanche, dans un communiqué de son groupe parlementaire, qu'Emmanuel Macron « vient de porter un nouveau coup à la crédibilité de la dissuasion nucléaire française ». Celle-ci « ne se partage pas » et « sous couvert de défense du sol européen, Macron veut liquider l'autonomie stratégique française », a critiqué sur X le député LFI Bastien Lachaud, spécialiste des questions de défense.

Jean-Marie Collin, directeur France de l'Ican, la campagne internationale pour abolir les armes nucléaires s'oppose aussi à un élargissement de la dissuasion nucléaire. « Cette volonté absolue du président Macron de vouloir promouvoir l'arme nucléaire, qui est donc aussi un discours proliférant, est extrêmement dangereuse, explique le directeur France de l'Ican à RFI. Que veut-il dire par partager ? Est-ce que c'est mettre des armes nucléaires françaises sur le territoire de différents États européens ? Est-ce que c'est stationner en permanence les armes nucléaires ? Ce qui voudra dire, dans les deux cas, augmenter l'arsenal nucléaire français, ce qui serait illégal au regard des traités internationaux [...]. On doit sortir de la communication et des grands mots pour véritablement trouver des solutions de défense qui soient conventionnelles, acceptables et surtout légales au regard du droit international. »

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Vers une inflexion sur la défense antimissile ?

Le président Emmanuel Macron évoque aussi la question de la défense antimissile, alors que l'Allemagne a déjà rallié une vingtaine d'autres pays en Europe à son projet de bouclier antimissile européen, Sky Shield.  « Ça peut signifier déployer des boucliers antimissiles, mais il faut être sûr qu'ils bloquent tous les missiles et dissuadent de l'utilisation du nucléaire », a expliqué Emmanuel Macron.

 Alors, pourquoi cette inflexion autour de la défense antimissile ? Premièrement, les missiles de longue portée ne sont plus l'apanage des grandes puissances, on le voit au Proche-Orient où un certain nombre de groupes terroristes en sont désormais dotés et répondre à de potentielles attaques par des frappes nucléaires n'est pas forcément pertinent, une question d'échelle. Deuxièmement, l'Allemagne ambitionne de bâtir un bouclier antimissile pour l'Europe sur le modèle du « dôme de fer » israélien, mais la France, premier fabricant de missile, n'y est pas associé, il y a donc un aspect industriel, Paris ne peut pas rester à l'écart d'un projet aussi structurant.

Que pèse aujourd'hui la dissuasion nucléaire française?

La dissuasion, aussi nommée force de frappe, ce sont 300 têtes nucléaires, le strict nécessaire pour être crédible, le principe de suffisance qui doit permettre de faire subir à un agresseur des dégâts équivalents aux dommages qu'il aurait infligé.

La dissuasion nucléaire repose sur deux composantes : il y a d'abord la force océanique stratégique avec ses quatre sous-marins lanceurs d'engins (SNLE), dont l'un est toujours dans les profondeurs de la mer, invulnérable et prêt à déclencher l'apocalypse. Chaque SNLE peut emporter seize missile M51, missile mer-sol balistique stratégique d'une portée de 6 000 kilomètres, doté de six têtes nucléaires dont la puissance unitaire est évaluée à 100 kilotonnes, soit dix fois la bombe d'Hiroshima.

Il y a ensuite la composante aéroportée qui comprend les Forces aériennes stratégiques (FAS) opérées par les Rafale de l'armée de l'air (4e escadre) et la force aéronavale nucléaire, le porte-avions Charles-de-Gaulle emporte lui aussi la bombe dans ses soutes. Leur arme c'est le missile ASMP-A, la France en possède 54 exemplaires, leur portée est de 500 kilomètres, et sa très grande précision permet d'exécuter des frappes aux effets strictement conforme à ceux décidés par le chef de l'État.

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