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Turquie: le festival de cinéma d'Antalya annulé à cause d'un film sur les purges de 2016

En Turquie, une polémique très politique secoue le plus prestigieux festival de cinéma du pays, le Festival international du film d’Antalya. La mairie a annoncé, vendredi 29 septembre, l’annulation de l’événement qui devait fêter ses 60 ans cette année. En cause : un film présenté en compétition, finalement retiré de la sélection officielle.

« Kanun hükmü », le documentaire de Nejla Demirci.
« Kanun hükmü », le documentaire de Nejla Demirci. © Kanun Hükmü
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De notre correspondante à Ankara

Le film qui divise tant, c’est un documentaire intitulé Le décret (« Kanun Hükmü » en turc), de Nejla Demirci, qui narre à la fois une histoire très personnelle pour cette réalisatrice, mais aussi et surtout une histoire de la Turquie des dernières années. Le film raconte la lutte de deux fonctionnaires – une médecin et un instituteur, respectivement la sœur de Nejla Demirci et l’un de ses amis – qui ont été limogés par décret présidentiel après le coup d’État manqué de juillet 2016.

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Limogés, cela veut dire licenciés, déchus de tous leurs droits sociaux, privés de passeport et souvent empêchés, de fait, de retrouver un travail, sans autre explication que des soupçons de « liens » avec le terrorisme. C’est ce qui est arrivé à plus de 125 000 fonctionnaires turcs dans les années d’état d’urgence qui ont suivi le putsch avorté. Seule une poignée d’entre eux (18 000) ont pu retrouver leur poste.

Un documentaire accusé de propagande du terrorisme

Nejla Demirci raconte qu’elle a mis des années à faire ce film, car elle a dû lutter contre des interdictions de tournage, des gardes à vue, des intimidations de la part de policiers et d’autres officiels qui l’accusaient de faire de la « propagande terroriste ». Elle a fini par s’adresser à la Cour constitutionnelle, qui lui a donné raison. Puis arrive la nouvelle de sa sélection au festival d’Antalya.

Mais le 22 septembre, les organisateurs renoncent à présenter le documentaire, au prétexte qu’une procédure est en cours contre l’un des deux protagonistes et que cela pourrait influencer la justice. En réaction, les membres du jury et les producteurs et scénaristes sélectionnés cette année ont décidé de ne plus participer au festival, par solidarité.

Dans un premier temps, cela a poussé les organisateurs à revenir sur leur décision, car en réalité, aucune procédure judiciaire n’est en cours. Le ministère de la Culture et du Tourisme, l’un des principaux sponsors de l’événement, a alors aussitôt décidé de se retirer du festival, et le ministère des Sports de ne plus prêter la salle qui devait accueillir l’événement.

Le 28 septembre, le directeur du festival a annulé une seconde fois la sélection du documentaire, faisant état de « menaces » et annonçant qu’une enquête avait été ouverte contre lui. Dans la foulée, la mairie d’Antalya – un membre de l’opposition – a indiqué devoir se résoudre à annuler le festival.

 

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La liberté d'expression mise à mal

Le ministère de la Culture accuse le film « d’utiliser la force de l’art pour faire la propagande de l’organisation terroriste Fetö ». Fetö (Fethullahist terror organization) est l’acronyme attribué aux réseaux du prédicateur Fethullah Gülen, le commanditaire désigné du putsch avorté de 2016. Les purges massives qui ont suivi ce putsch manqué sont un sujet extrêmement sensible en Turquie. Les fonctionnaires limogés – qui sont parfois des opposants sans aucun lien avec les réseaux du prédicateur Gülen – sont traités par les autorités comme des traîtres.

Les défendre, ou simplement raconter leur histoire, est perçu comme une forme de soutien au terrorisme et au coup d’État. Le documentaire de Nejla Demirci va à l’encontre du discours officiel, puisqu’il présente ces deux fonctionnaires comme des victimes. D’ailleurs, sa sœur médecin a fini par retrouver son poste. Plus largement, le sort réservé à ce documentaire illustre les atteintes aux libertés en Turquie, en l’occurrence à la liberté d’expression et à la liberté artistique.

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