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Témoignage

Guerre en Ukraine: un vétéran à la tête de la résistance à Boutcha

Il y a un an, Boutcha était occupée après avoir offert une résistance aux forces russes sur la route de Kiev. Quand Vladimir Scherbinin a compris que les chars étaient aux portes de sa ville, lui et quelques membres de sa petite association de soutien aux militaires du Donbass ont décidé de prendre les armes. 

Gravement blessé, Vladimir Scherbinin, leader d'un groupe qui a défendu Boutcha au quatrième jour de la guerre, ne se déplace plus qu'à bord de ce véhicule.
Gravement blessé, Vladimir Scherbinin, leader d'un groupe qui a défendu Boutcha au quatrième jour de la guerre, ne se déplace plus qu'à bord de ce véhicule. © RFI/Aurore Lartigue
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De retour de Boutcha,

Bonnet en polaire kaki, treillis et veste militaire. À en croire les photographies trouvées sur internet, Vladimir Scherbinin se sépare rarement de ses habits de combattant. L’homme de 67 ans qui descend d’une camionnette aux motifs « camouflage » en claudiquant est le chef de la « Buchanska Varta » (la garde de Boutcha). C’est une célébrité locale ici. Au début de la guerre, lui et les « bénévoles » de son association se sont illustrés en retardant l’entrée d’une colonne des forces pro-Russes dans cette banlieue au nord de Kiev. 

En cette fin février qui marque les un an de la guerre, la vie semble avoir repris son cours dans cette ville devenue le symbole de l’horreur de l’occupation russe des premières semaines de la guerre. Devant le Novus, les couples en Converse rentrent des courses bras dessus bras dessous, des mères poussent des poussettes surchargées. Difficile d’imaginer qu’il y a un an, les abords de ce supermarché du centre de Boutcha étaient un champ de bataille. 

Sur le parking, le vétéran serre quelques mains, des passants viennent lui dire un mot. Il a déjà tout raconté, dit-il, mais se prête au jeu de bonne grâce, nous conduisant sur les lieux clés de la bataille qu’il a menée pour défendre sa ville. Ces insignes sur sa veste, ce sont ceux de sa brigade ? « Non, sourit-il, débonnaire, ce sont des amis américains qui me l’ont donnée ! Je l’aime beaucoup, elle est très confortable. »

« Nous n'étions que des civils, on n'avait rien »

« Tout le monde savait que l’invasion allait avoir lieu, mais on a quand même été surpris », explique Vladimir Scherbinin pour résumer son sentiment lorsque la guerre éclate dans la nuit du 23 au 24 février 2022. Les troupes russes envahissent l’Ukraine depuis la frontière biélorusse, au nord. « On m’a appelé et on m’a dit que des parachutistes arrivaient à l’aérodrome d’Hostomel, à un kilomètre d’ici, se souvient-il. Je ne l’ai pas cru. Je me suis levé, j’ai appelé un de mes amis, qui m’a dit que des aéroports étaient visés dans tout le pays. Je suis sorti avec ce véhicule et on a vu les parachutistes dans le ciel. » L’ancien combattant du Donbass comprend que la guerre est aux portes de sa ville et que l’objectif est la conquête de la capitale, dont le centre est à 25 kilomètres. 

Vladimir Scherbinin désigne le lieu où il a été blessé, au pied d'un immeuble près de l'hypermarché Novus.
Vladimir Scherbinin désigne le lieu où il a été blessé, au pied d'un immeuble près de l'hypermarché Novus. © RFI/Aurore Lartigue

Depuis 2014, avec quelques autres habitants, ils se sont constitués en association. Sur une centaine d’adhérents bénévoles, une vingtaine sont réellement actifs. Ils récoltent des fonds pour acheter du matériel en tout genre et l’envoyer à l’armée ukrainienne qui se bat dans l’Est. « Mais dans nos statuts, il est aussi dit que notre mission consiste à soutenir l’ordre public, aider les policiers. Donc on a commencé à organiser les gens pour se défendre. Mais nous n’étions que des civils, on n’avait rien », souligne ce père de deux grands enfants. Sa fille vit aux États-Unis. 

Dans cette cité résidentielle, rien n’est organisé, affirme Vladimir Scherbinin. Il n’y a pas de défense territoriale, une « zone grise », à l’écart des grands enjeux stratégiques. « Les gens venaient nous voir pour nous demander des armes », se souvient-il. Hommes, femmes, vétérans… Tout le monde veut défendre la ville. Dès le matin du 25 février, il réussit à se procurer huit mitraillettes au commissariat militaire. « On a pu armer une quarantaine de personnes. J’étais très exigeant dans la distribution des armes. J’interrogeais vraiment les volontaires, car savoir tirer est une chose mais tuer est autre chose », pointe-t-il. Le petit groupe manque aussi de spécialistes, car en plus des mitraillettes Vladimir a récupéré des lance-grenades. Ils ont l’idée de faire sauter le pont qui relie Hostomel à Boutcha. Les alentours sont marécageux, cela empêchera un peu, se disent-ils, la progression des troupes. Mais le pont résiste à leurs deux tentatives.   

Lourdement blessé

Le 26 février, les chars sont déjà dans les rues de Blystavytsia, à une poignée de kilomètres de là. Le 27, à 7h du matin, le chef de la garde de Boutcha apprend qu’une colonne de plusieurs centaines de véhicules approche de sa ville. Pendant ce temps-là, l’artillerie ukrainienne pilonne l’aéroport que les Russes ont utilisé pour acheminer des troupes destinées à avancer vers Kiev afin d’en reprendre le contrôle. « J’ai appelé pour leur dire de tirer sur cette colonne de chars, ils ont refusé », affirme Vladimir Scherbinin, amer. Pour lui, c’est clair,« on a laissé les Russes entrer ». 

Qu’à cela ne tienne, Vladimir et ses gars se préparent à résister. « J’ai donné l’ordre de prendre des positions autour du Novus, rapporte-t-il. En tout, 17 bénévoles participent. Quand ils sont arrivés, les Russes étaient assis sur leurs blindés en train de chanter, ils ne s’attendaient pas à de la résistance. » Lui est positionné à l’arrière de l’hypermarché. « J’ai mitraillé et je pense que j’ai abattu une quinzaine de personnes, avance-t-il. La colonne s’est arrêtée et on a tiré au lance-grenades. On a réussi à brûler un blindé. » Trois de ses hommes lancent aussi des cocktails Molotov et parviennent à en incendier un autre, assure le chef du groupe. 

Le quartier général installé par le groupe de défenseurs de Boutcha, juste à côté du Novus, a été détruit en mars.
Le quartier général installé par le groupe de défenseurs de Boutcha, juste à côté du Novus, a été détruit en mars. © RFI/Aurore Lartigue

« Je me rendais bien compte que c’était absurde de se battre contre des tanks avec des mitraillettes », commente Vladimir. D’autant que la colonne ne tarde pas à répliquer. Le récit est digne d'un film d'action. Vladimir est abrité derrière une barricade lorsqu’il voit le canon d’un tank pivoter dans sa direction. La déflagration est telle que la barricade vole en éclats. L’ancien militaire a juste eu le temps de prendre ses jambes à son cou, mais il est lourdement blessé à la jambe, au bras et au ventre. 

Une colonne de blindés détruite

Il est rapidement évacué à l’hôpital où il restera jusqu’au 10 mars, date à laquelle il sera évacué vers Kiev. « Heureusement, sinon ils m’auraient tué ! », dit-il, car des soldats russes le recherchent, sa photo à la main, jusqu’à l’hôpital. Leur QG, près du Novus, est pillé et détruit au lance-grenades. 

Quatre de ses camarades ont également été blessés dans la bataille. Le groupe déplore un mort, un ancien combattant du Donbass du nom de ​Volodymyr Kovalskyi. Amputé des deux jambes suite à une blessure en opération, il portait des prothèses et avait convaincu Vladimir de le laisser prendre les armes. « C’était un patriote », souligne le chef de ces défenseurs de Boutcha. 

Dans la rue de la gare, à Boutcha, des maisons portent les stigmates de l'attaque qui a détruit une colonne de chars russes, le 27 février 2022.
Dans la rue de la gare, à Boutcha, des maisons portent les stigmates de l'attaque qui a détruit une colonne de chars russes, le 27 février 2022. © RFI/Aurore Lartigue

La suite de ce 27 février, on la lui a racontée. Une colonne d’une cinquantaine de chars finit par s’engager dans la ville. Sur des images de vidéosurveillance publiées en ligne, on voit les véhicules progresser lentement dans la rue de la gare, une voie étroite bordée de maisons. Quelques minutes plus tard, la colonne est attaquée et largement détruite par l’armée ukrainienne. Les images montrent le chaos après. L’avancée des troupes vers Kiev est freinée. On connaît la suite : les troupes de Poutine n’atteindront jamais la capitale, mais l’occupation de Boutcha fera des centaines de victimes parmi les civils, dont une dizaine de membres de l'association. 

« On a permis de gagner un peu de temps. Nous avons fait diversion », estime Vladimir Scherbinin. De quoi laisser le temps aux forces armées ukrainiennes de se concentrer et de s’organiser pour frapper juste. Aujourd'hui, la rue a retrouvé son calme. Certaines maisons du quartier, endommagées par la violence de l'assaut, sont en travaux. Vladimir, lui, vient d'être décoré pour sa contribution à la défense de la ville. Malgré les séquelles de ses blessures, il se dit prêt à continuer à se battre. En attendant, son groupe de bénévoles continue d'organiser des collectes pour envoyer des vivres aux soldats sur le front. 

Point de la situation en Ukraine, le 6 mars 2023.
Point de la situation en Ukraine, le 6 mars 2023. © Studio graphique FMM

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