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Entretien

Arrestation d’Orhan Inandi: «La Turquie a exercé beaucoup de pression sur le Kirghizistan»

Ankara l’a affirmé : Orhan Inandi se trouve désormais en Turquie et y sera jugé. Fin mai, la disparition au Kirghizistan de ce ressortissant kirghize d’origine turque avait fait grand bruit. Son épouse soupçonnait la Turquie de l'avoir enlevé en raison de son affiliation au mouvement du prédicateur Fethullah Gülen. La Turquie mène une traque internationale contre les sympathisants de ce prédicateur accusé d’avoir ordonné le coup d’État de 2016. Entretien.

Le président turc Recep Tayyip Erdogan (ici à Ankara, le 1er juillet 2021) s'est dit satisfait de l'arrestation d'Orhan Inandi.
Le président turc Recep Tayyip Erdogan (ici à Ankara, le 1er juillet 2021) s'est dit satisfait de l'arrestation d'Orhan Inandi. © Presidential Press Office/Handout via REUTERS
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RFI a posé trois questions à Aurélien Denizeau, docteur de l’Inalco en sciences politiques et relations internationales. Ses recherches portent sur la vision stratégique de la Turquie et les évolutions de sa politique étrangère.

RFI : La Turquie se vante d’avoir capturé Orhan Inandi au Kirghizistan. De quoi l’accuse Ankara 

Aurélien Denizeau : Les accusations sont toujours assez floues dans ce genre d’affaires. Le principal reproche qui est fait à ces personnes est d’être membres de ce que la Turquie appelle « l’organisation terroriste de Fethullah Gülen ». Qui est Fethullah Gülen ? C’est un prédicateur qui est exilé aux États-Unis et qui a longtemps été un allié de l’actuel président turc Recep Tayyip Erdogan. Il disposait d’un réseau d’écoles et de diverses associations grâce auxquelles il avait pu noyauter un certain nombre d’institutions turques, par exemple le secteur de l’enseignement.  

Jusqu’en 2010, le gouvernement Erdogan avait laissé faire, car il existait une alliance entre eux pour chasser les vieilles élites kémalistes des institutions. Puis, leurs relations se sont dégradées pour diverses raisons jusqu’au coup d’État 2016, que la Turquie accuse Fethullah Gülen d’avoir organisé. Depuis, l’ensemble des personnes affiliées ou supposément affiliées à cette organisation sont présentées comme « terroristes » par Ankara.  

À lire aussi : Les services turcs arrêtent un membre présumé de la mouvance Gülen au Kirghizistan

Quant à Orhan Inandi, il dirigeait les écoles « Sapat » au Kirghizistan qui était initialement liées à la confrérie Gülen. Gülen s’était fait connaître en finançant des écoles en Asie centrale et ailleurs, souvent d’ailleurs des écoles de grande qualité.  

Pensez-vous que les autorités kirghizes ont contribué d’une façon ou d’une autre à la capture d’Orhan Inandi ?  

C’est difficile à dire. Le fait est que la Turquie a exercé beaucoup de pression sur le Kirghizistan. En 2018 notamment, la Turquie avait exigé des Kirghizes qu’ils ferment l’ensemble des écoles liées au réseau de Fethullah Gülen. Les Kirghizes l’avaient refusé en expliquant que c’était désormais le gouvernement kirghize qui gérait ces écoles et qu’il était hors de question d’obéir à ces injonctions de fermeture.  

On peut faire deux suppositions. La première, qui à mon avis repose sur peu d’éléments, mais qui semble possible, est qu’il y a eu une entente entre la Turquie et le Kirghizistan et donc un changement d’attitude de la part du Kirghizistan, avec des compensations à la clé. La deuxième possibilité est que la Turquie, avec peut-être des complicités au sein de l’État kirghize, ait mené une opération assez spectaculaire pour mettre le Kirghizistan devant le fait accompli et à revenir sur la protection de ces écoles.  

La Turquie aurait bien sûr joué sur le fait qu’Orhan Inandi a la double nationalité turque et kirghize. On sait notamment qu’à la fin du mois de juin, le ministre turc de la Défense, Hulusi Akar, s’est rendu au Kirghizistan pour rencontrer le président kirghize. Il est possible qu’à ce moment, il y ait eu une clarification ou qu’il a fait savoir simplement que la Turquie détenait Orhan Inandi et qu’elle n’avait pas l’intention de le relâcher.  

Le Premier ministre Recep Tayyip Erdogan affirme que les services secrets turcs ont enlevé et « rapatrié » en Turquie plus de cent personnes liées à la confrérie Gülen. Selon vous, s’agit-il d’une véritable traque internationale ?  

Exactement. La Turquie a été véritablement traumatisée par le coup d’État de 2016. Elle a d’abord mené une politique de fermeture de toutes les institutions de Fethullah Gülen. La deuxième étape, lorsque certains pays refusaient la fermeture, consistait à exercer des pressions voire en effet de mener des opérations d’enlèvements.  

On a vu plusieurs cas en Afrique par exemple. Très récemment, le neveu de Fethullah Gülen, Selahaddin Gülen, a été enlevé au Kenya. Le Kenya avait dans un premier temps refusé de fermer les écoles de Gülen.  

Au Kosovo, plusieurs citoyens turcs ont été enlevés par les services secrets turcs, ce qui avait provoqué une véritable crise politique au Kosovo. Il semble que quand les pays soient réticents à fermer d’eux-mêmes les institutions proches de Gülen, alors la Turquie agit avec la force et des enlèvements qui sont aussi une forme d’intimidation à l’égard des opposants en exil.  

Ankara fait pression sur des pays en Afrique, dans les Balkans et en Asie centrale. Dans ces pays, la Turquie investit beaucoup et de ce fait, ils n’ont pas une marche de manœuvre énorme pour protester.  

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