Accéder au contenu principal
Italie / Migrants

[Reportage] A Vintimille, les migrants tiennent malgré l'épuisement

La France intensifie ses contrôles sur les migrants qui tentent de passer la frontière italienne. A la gare de Vintimille où ils sont renvoyés, la situation est critique, et les migrants sont de plus en plus nombreux. La plupart d'entre eux disent vouloir seulement traverser la France pour rejoindre le nord de l'Europe. Parmi eux, de nombreuses femmes enceintes et des familles avec enfants, parfois très jeunes, à qui des volontaires de l'Unicef essaient de rendre la vie moins dure.

Depuis la mi-juin, des dizaines de migrants sont installés sur les rochers de Saint-Ludovic, près de Vintimille, à la frontière franco-italienne.
Depuis la mi-juin, des dizaines de migrants sont installés sur les rochers de Saint-Ludovic, près de Vintimille, à la frontière franco-italienne. REUTERS/Eric Gaillard
Publicité

Une vingtaine d'enfants vivent en ce moment dans la gare de Vintimille, constate notre envoyée spéciale, Juliette Gheerbrant. Cela varie selon les jours, certaines familles partent, d'autres arrivent. Le plus jeune a 6 mois, il est somalien. Hanine, c'est la mascotte de la gare, explique Colomba Tirari, de l'Unicef. Il sourit à tout le monde. Pour que les femmes et les enfants aient un peu plus d'intimité et de confort, les autorités viennent d'ouvrir un nouveau local dans la gare avec 60 lits de camp.

« J'ai vu un père qui essayait de cacher sa femme qui allaitait derrière un tissu, raconte la travailleuse humanitaire. Ça serre le cœur. On avait trouvé des appartements en dehors de la ville, mais ils ne veulent pas s'éloigner de la gare parce qu'ils espèrent que la situation va se débloquer et qu'ils pourront passer en France. »

REPORTAGE

J'ai dormi ici, sur mon carton.

01:14

Dans la gare de Vintimille, lieu de refuge pour migrants

Juliette Gheerbrant

Amal Ahmed, la mère du petit Hanine, est ici depuis dix jours avec sa propre mère et son mari. Elle a quitté le Darfour il y a vingt ans pour Zouarat en Libye, où elle était pharmacienne. La guerre les a poussés à partir. « En Europe, les gens sont vraiment bien. En Libye, on se fait voler, on n'a plus de travail, plus d'argent. Je viens ici pour les enfants, pour leur futur. » Un futur qu'elle imagine en Norvège ou en Allemagne, et qu'elle attend patiemment sur les marches de la gare, après avoir été refoulée dans un train par la police française.

Conditions déplorables

A quelques kilomètres de la gare, environ 150 migrants selon la Croix-Rouge vivent depuis une semaine en plein soleil, sur les rochers, assistés par l'ONG. La plupart sont musulmans et entament leur deuxième jour de jeûne sous le soleil et les 30 degrés ambiants. Ils restent allongés sur les blocs de pierre, sous des parasols ou des hauts vents installés par les habitants des alentours. Toujours aucune solution en vue. Les conditions d'hygiène sont très précaires, ils n'ont pas de quoi se laver, mais ils refusent de quitter l'endroit, même pour aller prendre une douche en ville.

Entre la ville de Vintimille et le poste frontière du pont Saint-Ludovic, la police surveille la route et contrôle tous les véhicules. Pas question pour les migrants de quitter les rochers, même avec la Croix-Rouge, comme l'a constaté Cathie Lipszyk, d'Amnesty International, qui est là tous les jours. « Quand je suis arrivée ce matin, ils ont lancé des appels pour que les migrants qui le souhaitaient puissent aller jusqu'à Vintimille pour se doucher, raconte-t-elle. Ils ont répondu en chœur : Non ! A Vintimille on n'y va pas ! " Des personnes avaient accepté à un autre moment et ils ne sont pas revenus. »

Des migrants dorment sur des rochers, près de Vintimille, depuis des jours, et tentent tant bien que mal de se protéger de la chaleur, alors qu'un yacht de luxe circule au loin.
Des migrants dorment sur des rochers, près de Vintimille, depuis des jours, et tentent tant bien que mal de se protéger de la chaleur, alors qu'un yacht de luxe circule au loin. REUTERS/Eric Gaillard

Les autorités jouent l'usure

Cathie Lipszyk pense que les autorités comptent sur l'épuisement des migrants pour les faire partir. « Les mettre dans des conditions de vie de plus en plus difficiles, en les empêchant par exemple de se mettre à l'ombre sous les bosquets. A mon avis, ils jouent un peu l'usure, parce que là, ils commencent à être fatigués. Quand vous êtes comme ça toute la journée dans ces conditions, même si vous êtes jeune et en bonne santé, il ne faut pas oublier que ce sont des gens qui ont des mois de voyage épouvantables derrière eux. »

Mais c'est justement à cause de tous les risques qu'ils ont pris et de tout ce qu'ils ont enduré avant que ces hommes et ces femmes ne renoncent pas. Certains ont même menacé de se jeter à la mer. Ce vendredi 19 juin, près de 650 migrants sont bloqués à Vintimille et ses alentours. Un groupe de plus en plus dense alors que la France ne cesse de renforcer ses contrôles policiers. Jeudi 18 juin, une centaine de migrants ont été réadmis en Italie, contre 170 la veille.

Contrôles renforcés

Au poste de Menton, à la frontière côté français, les fourgons de CRS et les cars de la Croix-Rouge se croisent toute la journée. La police française stationne dans toutes les gares de la région. Notre envoyée spéciale a pu assister à des contrôles à Menton. Les forces de l'ordre montent dans les trains, font rapidement descendre tout ceux qui n'ont pas de papiers ou qui ont l'air étrangers. Il faut aller vite et c'est un peu le contrôle au faciès. Par exemple, à la frontière, un homme d'origine asiatique s'est plaint devant un car de la Croix-Rouge, avec dans les mains une carte d'identité italienne parfaitement en règle. Apparemment, les Français n'avaient pas pris la peine de le vérifier.

Ensuite, certains sont interceptés à Lyon et à Paris, bien loin des 20 kilomètres réglementaires, ce qui fâche l'Italie. D'autant plus que la France essaie parfois de renvoyer des mineurs, ce qui est illégal. Tous ces migrants sont renvoyés à la gare de Vintimille, déjà transformée en campement de fortune, ce qui rend la situation encore plus critique. Les autorités ont dû mettre deux salles supplémentaires à disposition, notamment pour les femmes et les enfants. Le jeune maire de la ville qui vient régulièrement parait dépassé par la situation.

Des migrants sont escortés par des policiers français au poste de frontière de Saint-Ludovic, le 18 juin 2015.
Des migrants sont escortés par des policiers français au poste de frontière de Saint-Ludovic, le 18 juin 2015. REUTERS/Eric Gaillard

Le blocage de la France critiqué en Italie

Les Italiens en veulent à leurs « cousins français ». Cela vaut surtout pour ceux qui n’oublient pas l’époque de l’après-guerre, où des membres de leur famille ont été contraints de quitter leur pays pour trouver du travail, ailleurs en Europe, aux États- Unis, au Canada ou en Argentine. Ils ne comprennent pas la décision de bloquer les frontières. Le président du Sénat Pietro Grasso a lui-même réagi de manière forte, faisant allusion aux opposants du régime de Benito Mussolini, emprisonnés sur l’île de Ventotene, et dont certains sont les auteurs du Manifeste « Pour une Europe libre et unie », rédigé en juin 1941. M. Grasso a déclaré : « Le rêve d’une Europe unie et solidaire est né sur l’île de Ventotene, il risque de mourir sur les rochers de Vintimille ».

Mais il faut reconnaître que les autorités italiennes ferment les yeux sur certaines situations. Par exemple, de nombreux migrants refusent la prise des empreintes digitales, pour ne pas rester en Italie, premier pays d’accueil, comme le constate notre correspondante à Rome, Anne Le Nir. Les Érythréens, Somaliens ou Soudanais hébergés dans un camp et un centre d’accueil à proximité des gares Termini et Tiburtina n’ont pas été identifiés. Leur objectif, c’est de prendre un train en direction du nord de l’Italie - pas de contrôles dans les trains italiens sauf pour les billets - pour arriver ensuite en France, en Allemagne ou en Scandinavie. Et on les laisse partir avec un billet en poche, pour tenter leur chance.

Entre janvier et juin 2015, 60000 migrants ont débarqué sur les côtes italiennes. Ici, sur l'île de Lampedusa, au large de la Libye, en mars 2011.
Entre janvier et juin 2015, 60000 migrants ont débarqué sur les côtes italiennes. Ici, sur l'île de Lampedusa, au large de la Libye, en mars 2011. REUTERS/Alessandro Bianchi/Files

Le rêve d’unité européenne menacé

L’Italie accueille actuellement un peu plus de 78 000 réfugiés et a vu débarquer sur ses côtes 60 000 migrants depuis le début de l’année, soit 16 % de plus par rapport à la même période en 2014. Dans ce contexte, Rome a du mal à faire entendre sa voix pour obtenir plus de solidarité de la part de ses partenaires européens. À ces difficultés s’ajoutent des problèmes internes, de plus en plus aigus. Les gouverneurs de la Lombardie, de la Vénétie et de la Ligurie, régions du nord de la péninsule, s’obstinent dans leur refus d’accueillir de nouveaux demandeurs d’asile ou réfugiés.

Le président du Conseil, Matteo Renzi, traverse une période très difficile. Impossible de trouver un compromis, d’un côté avec certaines régions de son pays et de l’autre avec ses partenaires européens. Il n’a d’ailleurs obtenu que quelques promesses de la part du Premier ministre britannique lors de leur rencontre à Milan, le 17 juin. En effet, David Cameron a déclaré que le Royaume-Uni serait prêt à soutenir les services de renseignement italiens. Mais pas question d’accueillir de nouveaux réfugiés. Et le navire de guerre britannique HMS Bulwark qui participe, depuis le mois de mai, aux opérations de sauvetage en Méditerranée, sera retiré le 4 juillet.

Concernant les divisions au sein de l’Italie, les gouverneurs de la Vénétie Luca Zaia, de la Lombardie Roberto Maroni et de la Ligurie Giovanni Toti, soutenus par la Ligue du Nord, campent sur leur position. « Nos régions sont saturées », affirment-ils en chœur, alors que la Sicile, à elle seule, accueille 22 % des réfugiés, contre 9 % pour la Lombardie, 4 % pour la Vénétie et 2 % pour la Ligurie, région où se situe la ville de Vintimille.

Un migrant subsaharien face à la mer, sur la côte sicilienne à proximité de Palerme, le 19 avril 2015.
Un migrant subsaharien face à la mer, sur la côte sicilienne à proximité de Palerme, le 19 avril 2015. REUTERS/Alessandro Bianchi

NewsletterRecevez toute l'actualité internationale directement dans votre boite mail

Suivez toute l'actualité internationale en téléchargeant l'application RFI

Partager :
Page non trouvée

Le contenu auquel vous tentez d'accéder n'existe pas ou n'est plus disponible.