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Eclairage

Symboles d’ingéniosité et d’adaptation, les techniques agricoles amérindiennes remises au goût du jour

Abattis-brûlis, champs surélevés, Waru Waru... De la Guyane au Pérou, des techniques agricoles datant de l’époque précolombienne sont remises au goût du jour – avec succès – pour lutter contre la sécheresse, le gel ou la pauvreté des sols. Ces savoir-faire, oubliés ou injustement critiqués, rappellent l’incroyable faculté d’adaptation des populations amérindiennes.

Vue aérienne d'un Waru Waru, d'imposants géoglyphes en forme de cercle et une technique agricole ancestrale, dans un champ de la région d'Acora, au Pérou, le 6 février 2024.
Vue aérienne d'un Waru Waru, d'imposants géoglyphes en forme de cercle et une technique agricole ancestrale, dans un champ de la région d'Acora, au Pérou, le 6 février 2024. © JUAN CARLOS CISNEROS / AFP
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Pour parvenir à l'abattis perdu au milieu de la forêt, il faut quitter Maripasoula, petit bourg du sud-ouest de la Guyane, au bord du fleuve Maroni. Le trajet commence en 4X4 sur une piste gorgée d’eau. Il se poursuit à pied, sur un chemin difficilement identifiable en raison de la densité de la végétation. Après une demi-heure de marche sous un vaste couvert forestier, on entrevoit enfin un coin de ciel nuageux. Sur une surface grande comme un petit terrain de football, la forêt a été rasée.

Nous sommes dans l’abattis de Bernadette, une Amérindienne d’une quarantaine d’années. Au sol, des troncs d’arbres calcinés rendent la circulation difficile. Ils ont été brûlés pour enrichir un sol pauvre, et permettre la pratique agricole. Difficile, pour un œil non aguerri, de faire la différence entre la végétation d’origine et les plantes cultivées.

Concrètement, le principe d’un abattis est d'abattre et brûler la forêt d'une parcelle pour la mettre en culture, puis de laisser faire la nature et planter, ici et là, différentes espèces. Alors, Bernadette se mue en guide. Elle montre le manioc et les patates douces en bordure de forêt, les arbres fruitiers et les bananiers en contrebas. Un peu plus haut, la canne à sucre. Chaque espèce a été plantée sur une partie de la parcelle, minutieusement choisie par Bernadette. Cet abattis, c’est son « magasin », dans lequel elle vient cueillir, tous les jours, les aliments dont elle a besoin. De quoi vivre toute une année avec sa famille et même de vendre une partie des récoltes.

Mais c’est aussi et surtout sa fierté, son héritage culturel. Elle a découvert cette pratique, enfant, lorsque sa famille était encore nomade. Car cultiver un abattis nécessite d’être en perpétuel mouvement. Il n’est exploitable que deux à trois ans, car après, la terre n’est plus assez riche pour permettre une récolte. Il faut donc le laisser en jachère pendant au moins huit ans, et recommencer un peu plus loin. En Guyane, l’abandon de cette pratique coïncide avec la sédentarisation des Amérindiens. Bernadette, elle, tente de perpétuer cette tradition grâce à un deuxième abattis en jachère, qu’elle cultivera dès que le précédent ne donnera plus.

En Guyane, pour rejoindre son abattis, Bernadette doit s'enfoncer dans la forêt.
En Guyane, pour rejoindre son abattis, Bernadette doit s'enfoncer dans la forêt. © RFI / Igor Strauss

L’origine de la culture sur abattis-brûlis

Pour retracer l’origine de ce type de culture sur brûlis, il faut quitter Maripasoula et se rendre à Cayenne. Intarissable sur le sujet, Guillaume Odonne, chercheur au CNRS, rappelle, en préambule, que selon des études scientifiques, les plus anciennes occupations de l’Amazonie datent d’environ 8 000 ans et celles de la Guyane de 5 000 ans. Pendant quelques milliers d’années, les Amérindiens ont donc été les seuls habitants de l’Amazonie.

Leur population a atteint les dix millions d’habitants, avant que l’invasion européenne et le choc microbien ne décime 90% de celle-ci. Pour les archéologues, cette densité de population est source de questionnement : comment les Amérindiens sont-ils parvenus à nourrir un si grand nombre de personnes sur un sol aussi pauvre ?

Citant les recherches menées ces trente dernières années par des équipes brésiliennes, Guillaume Odonne parle de la modification majeure de la structure du sol, par l’apport de charbon de bois, qui a donné ce qu’on appelle « la terra preta do Indio » – « la terre noire des Indiens ». En effet, la structure poreuse du charbon permet de retenir dans le sol, les sels minéraux ordinairement lessivés pas les pluies. Ces deux techniques, avec l’abattis-brûlis, ont permis le développement de l’agriculture.

L’abattis-brûlis, responsable de la déforestation ?

Dans le courant des années 2000, l’abattis-brûlis a été remis en cause. Pour certains, cette technique serait responsable d’une partie de la déforestation. Sa durabilité environnementale a donc été soulevée, comme son bilan carbone. « Quand on abat 40 hectares de forêt pour planter de l’ananas ou du soja, ce n’est clairement pas soutenable. Et cela rejette du carbone. Au contraire, un petit abattis, avec une bonne période de jachère, pourrait être un puits de carbone ! », lance Guillaume Odonne.

Pour appuyer son hypothèse, le chercheur rappelle que c’est pendant sa période de croissance rapide, durant les dix, quinze premières années, qu’une forêt est un véritable puits de carbone. Avec la technique de l’abattis, on permet donc à la forêt de se régénérer et de jouer pleinement son rôle. D’autre part, en brûlant le bois coupé, on permet au carbone issu du charbon d’être capturé par le sol, ce qui est également une technique particulièrement intéressante.

L’abattis-brûlis, une pratique peu rentable et dépassée ?

Avec la sédentarisation des populations amérindiennes et Bushinenguées – les anciens esclaves du Suriname et du Guyana –, la culture sur abattis-brûlis est en perte de vitesse. Au même moment, la Guyane connaît un boum démographique qui remet en cause son autonomie alimentaire. La question de la pertinence de la culture sur abattis est donc relancée. Mais pas pour Damien Davy, anthropologue au CNRS : « Quand j’entends que ce n’est pas rentable et que c’est dépassé, je bondis ! » Fervent défenseur de cette pratique ancestrale, il ajoute : « L’abattis, c’est du bio, en circuit court, avec une diversité agricole extraordinaire ! C’est une des meilleures agricultures adaptées au sol amazonien. Et aujourd’hui, l’enjeu, c'est de produire localement pour l’autonomie alimentaire. »

Du côté de Maripasoula, ce bourg enclavé perdu au milieu de la nature, la question que se posaient jadis les archéologues revient comme un boomerang : sans les abattis, comment cultiver sur un sol si peu fertile, pour nourrir une population toujours plus importante ? Il n’y a pas d’élevage, donc pas d’intrant naturel. Faire venir de l’engrais par avion ou en pirogue n’est pas rentable économiquement. Une situation qui rend la Guyane trop dépendante des importations de la métropole. Et si finalement, cette technique ancestrale de culture sur abattis-brûlis représentait l’avenir ?

L’agriculture sur champs surélevés

Autre défi relevé par les populations amérindiennes : l’agriculture dans des zones inondables. Il n’existe que deux techniques pour mettre en culture de telles zones. L’une est européenne, « la poldérisation », qui consiste à assécher une parcelle grâce à un réseau de canaux. L’autre est amérindienne, c’est la culture sur champs surélevés. L’archéologue Stéphen Rostain, spécialiste de l’Amazonie, a largement documenté cette pratique qui était très courante sur les pourtours de l’Amazonie à l’époque précolombienne.

Cette technique est exactement l’inverse d’un polder. Au lieu de creuser pour évacuer l’eau, on édifie des buttes au-dessus du niveau d’inondation, avec un avantage important : les matériaux fertiles présents à la surface de l’eau se déposent sur ces buttes et enrichissent la terre. En cas de trop fortes inondations, les Amérindiens pouvaient aussi creuser des canaux au pied des buttes pour éviter la submersion. Ce formidable savoir-faire a progressivement disparu avec l’arrivée des Européens.

Les Waru Waru, une technique agricole des Andes

Mais selon Guillaume Odonne, cette technique est à nouveau utilisée aujourd’hui, autour du lac Titicaca, au Pérou et en Bolivie, pour faire face à la multiplication des inondations provoquées par le réchauffement climatique. On les appelle « Waru Waru », qui signifie « litière » en langue quéchua (langue inca devenue, langue officielle du Pérou). Vus du ciel, ils ressemblent à d'énormes géoglyphes en forme de cercle.

Mais de plus près, ils sont la trace d'une technique préhispanique vieille de 2000 ans, que les agriculteurs des hauts plateaux andins, à la frontière entre le Pérou et la Bolivie, perpétuent pour faire face à la crise climatique. C’est un ensemble de canaux d'un mètre de profondeur, creusés à l'intérieur d'un cercle, pour permettre à l'eau de circuler et d'absorber la chaleur du soleil pendant la journée, puis de la restituer pendant la nuit quand la température baisse. Un système ingénieux qui permet de lutter à la fois contre le gel et la sécheresse.

Les sols de l'altiplano sont pauvres, secs et peu propices à l'activité agricole, mais grâce à cette technique, « qui permet de lutter contre le gel, de fertiliser les sols, de générer des microclimats, les agriculteurs récoltent des pommes de terre et du quinoa », indique l'archéologue Velko Marusic, du ministère de la Culture de la région de Puno.

Les Waru Waru ne peuvent pas être inondés en période de pluies, car ils disposent d'un système de drainage intelligent qui rejoint la rivière. Inversement, lorsque la région de Puno, au Pérou, a connu l'une de ses pires périodes de sécheresse en six décennies, faute de précipitations, ils ont été très bénéfiques. Délaissée par l'empire inca au XVe siècle, cette technique resurgit aujourd'hui, avec des résultats inespérés pour faire face au changement climatique.

Abattis-brûlis, champs surélevés, Waru Waru... Toutes ces différentes techniques agricoles montrent que les Amérindiens ne possédaient pas un savoir ancestral, mais une panoplie de savoirs pour s’adapter à leur milieu. Alors que nous subissons de pleins fouets les effets du réchauffement climatique qui nous contraignent à nous adapter, ces techniques amérindiennes, à défaut d’être dupliquée, restent un magnifique symbole de leur résilience passée.

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