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Le grand invité Afrique

Khadija Mohsen Finan: au Sahara, «la solution passera par une autonomie réelle»

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Le torchon brûle depuis mardi 9 mars entre le Maroc et Ban Ki-moon. Les Marocains se disent « stupéfait » par les « dérapages verbaux » et les « gestes de complaisance » du secrétaire général de l'ONU lors de sa visite, la semaine dernière, au Front Polisario. Quarante ans après le début de la guerre, comment sortir de ce conflit du Sahara ? Khadija Mohsen Finan enseigne à l'Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne et a publié un dossier sur le Sahara dans le journal en ligne Orient XXI. Elle répond aux questions de Christophe Boisbouvier. 

Khadija Mohsen Finan.
Khadija Mohsen Finan. © IRIS
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RFI : « Je me bats en faveur d’une solution juste et mutuellement acceptable pour le Sahara occidental », dit Ban Ki-moon. Est-ce sa tournée de la semaine dernière [4 et 5 mars] a fait avancer le dossier ou pas ?

Khadija Mohsen Finan : Elle n’a peut-être pas fait avancer le dossier, mais il semble quelque peu déterminé à venir au terme de ce conflit qui a maintenant 40 ans.

Ban Ki-moon s’est rendu non seulement dans les camps de Tindouf, en territoire algérien, mais aussi à Bir Lahlou, dans la zone du Sahara occidental qui est sous le contrôle du Front Polisario. Est-ce à dire que le secrétaire général de l’ONU est pour l’indépendance du Sahara occidental ?

Je crois qu’il est pour l’autodétermination. Dire qu’il est pour l’indépendance, c’est peut-être trop dire. Mais je crois qu’il est déterminé et décidé à prendre en compte la vie des Sahraouis par le biais d’une auto-détermination.

Oui, mais voilà près de 25 ans que l’ONU promet d’organiser un référendum d’autodétermination du peuple sahraoui. Et pour l’instant, visiblement le Front Polisario et le Maroc ne se mettent pas d’accord sur le corps électoral. Est-ce que ce référendum aura lieu un jour ?

Il est très difficile d’envisager aujourd’hui la possibilité d’un référendum parce que le Maroc bloque. Depuis effectivement la fin des années 90, le Maroc a totalement écarté l’éventualité d’un référendum et a opté pour une autonomie sous souveraineté marocaine, ce que refuse la partie adverse.

Donc cette tournée de Ban Ki-moon, c’est une façon d’essayer d’influencer le Conseil de sécurité de l’ONU qui doit se réunir le mois prochain comme tous les ans sur ce dossier ?

Oui, certainement. Il y a un rapport qui doit être publié en avril et il montre que les Nations unies sont dans une nouvelle posture. Mais je crois que le secrétaire général fait peut-être fausse route ou erreur en pensant pouvoir amener les protagonistes à une table de négociations parce que rien n’a changé dans l’esprit des acteurs. Je crois qu’il faut sortir de ce tête-à-tête. Je crois qu’il y a des pays qui peuvent aider à cette sortie de crise.

A quels pays pensez-vous ?

Je pense à la France, je pense à l’Espagne, je pense aux Etats-Unis. Ce sont des pays qui peuvent amener les protagonistes à aller dans d’autres directions en leur mettant en avant la nouvelle situation géopolitique dans le nord de l’Afrique, avec l’installation d’Aqmi et de Daesh maintenant. Je crois que tout cela est explosif et qu’on doit absolument commencer par résoudre la question du Sahara occidental.

Voulez-vous dire que les camps du Polisario peuvent être un vivier pour Daesh ?

C’est possible. Rien n’est écarté. Vous avez une population qui est aguerrie, qui est oisive, qui est sans perspective d’avenir et qui maîtrise très bien le terrain.

Et dans cette perspective, pensez-vous qu’on ira plutôt vers l’indépendance du Sahara occidental ou plutôt vers une autonomie de ce territoire au sein du royaume marocain ?

Moi, j’ai toujours pensé que la solution passerait par une autonomie, mais une autonomie réelle. Je crois que cette autonomie doit tenir compte des Sahraouis. C’est à eux de choisir leurs représentants et ils doivent aussi gérer les ressources de ce territoire. La solution passera par une autonomie réelle.

Pour l’heure, est-ce que Washington et Paris ne sont pas plutôt du côté du Maroc, alors que Madrid serait plutôt du côté du Front Polisario ?

Non, je crois que l’opinion publique espagnole est du côté du Front Polisario, ou du côté Sahraoui plus largement, parce qu’il y a aussi beaucoup de défections qui ont profité à un autre groupe, qui s’appelle Khat al-Shahid. Ce sont des dissidents du Front Polisario qui habitent l’Espagne. Mais je crois que les Marocains ont convaincu, ont réussi à avoir le gouvernement et la classe politique espagnole de leur côté. Donc je pense qu’aujourd’hui, aussi bien les Etats-Unis que la France et l’Espagne sont du côté marocain. Mais ces pays-là devraient peut-être influencer le Maroc et l’amener à négocier une véritable autonomie qui peut d’ailleurs être décidée au terme d’un référendum.

Après sa visite au Front Polisario, Ban Ki-moon s’est rendu à Alger. Mais ni à Rabat, ni à Laayoune. Et ce mardi, le Maroc a dénoncé les « dérapages verbaux » et les « gestes de complaisance » du secrétaire général de l’ONU. Pourquoi ce coup de gueule de Rabat ?

Je pense que lesMarocains sont fâchés. Je crois qu’ils ne voulaient pas qu’il se rende en Algérie, et à Tindouf en particulier, avant justement la réunion du Conseil de sécurité en avril prochain.

Certains disent qu’avant justement l’examen annuel du dossier au mois d’avril prochain par le Conseil de sécurité, les Marocains ne voulaient pas que Ban Ki-moon se rende à Laayoune, la grande ville sahraouie sous contrôle marocain, car cela aurait pu susciter des manifestations indépendantistes ?

Oui, c’est très possible. Il y a un groupe d’indépendantistes. Alors est-ce qu’ils désirent réellement l’indépendance ou est-ce qu’ils mettent la barre haute pour pouvoir négocier eux-mêmes leur destin. Et leur destin peut passer aussi par une autonomie. En tout cas, il y a des gens qui sont très mécontents de leur situation à Laayoune et dans les villes qui sont gérées par le Maroc.

Lassitude à Laayoune, lassitude aussi à Tindouf ?

Lassitude dans les deux cas parce qu’il n’y a pas de solution en perspective. Et depuis 2005, on assiste de part et d’autre, - que ce soit à Tindouf ou que ce soit à Laayoune -, très régulièrement à des soulèvements et à des revendications qui sont de plus en plus citoyennes, qui puisent dans le registre des libertés.

Les soulèvements à Laayoune, on en entend parler. En revanche, les soulèvements à Tindouf, c’est moins connu ?

Ah oui, c’est moins connu parce qu’effectivement le Front Polisario n’en fait pas cas. Mais il y a eu en mars 2011 des soulèvements et ces soulèvements sont étouffés dans l’œuf.

 

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