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Le grand invité Afrique

Janis Otsiemi, écrivain et essayiste gabonais

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« Lorsque je me suis mis à écrire des romans noirs, je ne voulais pas écrire comme ce qui se passe ici en Europe. En réalité, si le roman noir n’est pas un genre qui est vraiment très utilisé en Afrique, il ne faut pas oublier que la vie elle-même en Afrique, la vie quotidienne en Afrique ressemble le plus souvent à un roman noir. […] Vous savez, j’ai toujours l’habitude de dire que je suis venu au roman noir par effraction, parce qu'en fait, lorsque j’ai commencé la littérature, j’écrivais et je faisais de la littérature blanche… »

Janis Otsiemi.
Janis Otsiemi. Anthony Lattier/RFI
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Le Salon du livre 2014 bat son plein à Paris. Plusieurs écrivains du continent africain ont fait le déplacement, dont Janis Otsiemi. L’écrivain et essayiste gabonais n’avait pas obtenu de visa en 2013 de la part du consulat de France, alors qu’il était pourtant dûment invité au Salon ! Cet épisode fâcheux est derrière lui. Janis Otsiemi, cette année, n’a pas eu de mal à venir, alors que ses livres connaissent un succès grandissant. C’est le cas en particulier de ses polars à la langue riche et au style percutant... qui ont pour décor la jungle urbaine de Libreville.

RFI : On dit que vous vous êtes imposé comme l’un des auteurs phares du polar africain. Qu’est-ce que c’est pour vous le polar africain ? Est-ce que ça existe ?

Janis Otsiemi : Lorsque je me suis engagé à écrire des romans noirs, je ne voulais pas écrire comme ce qui se passe ici, en Europe. En réalité, si le roman noir n’est pas un genre qui est vraiment très utilisé en Afrique, il ne faut pas oublier que la vie elle-même en Afrique, la vie quotidienne en Afrique, ressemble le plus souvent à un roman noir. Donc, il y a tous les ingrédients. Pour moi, c’est un genre qui est assez important. J’ai toujours l’habitude de dire que je suis venu au roman noir par effraction parce qu’en fait, lorsque j’ai commencé la littérature, j’écrivais et je faisais de la littérature blanche.

C’est-à-dire ?

J’avais écrit un livre sur la relation entre soi et autrui [Tous les chemins mènent à l’Autre] dans un style universitaire. Je l’ai fait lire à des copains au quartier, parce que moi, j’ai grandi dans un bidonville qu’on appelle « les Etats-Unis d’Akébé ». C’est un peu Harlem en plus piteux. Et lorsque j’ai fait lire ce livre à mes amis, ils m’ont dit : « Nous ne comprenons rien ». Alors ils m’ont demandé d’écrire un livre qui puisse refléter la vie du bidonville dans lequel je vivais. Ensuite, je me suis rendu compte que le polar s’imposait à moi comme le genre qui pouvait révéler la dimension sociale du quartier dans lequel je vivais.

Cela veut-il dire que c’est la forme la plus commode pour décrire les rouages, les travers, même plutôt la corruption, les abus de pouvoir, les assassinats, de la société gabonaise d’aujourd’hui ?

Libreville, la capitale du Gabon, est à peu près comme les villes africaines. Lorsque vous arrivez de l’aéroport, vous êtes sur le front de mer. Vous avez l’impression que Libreville est une ville assez développée parce qu’il y a des immeubles en marbre, en verre, et derrière ces immeubles, vivent des gens dans des quartiers assez misérables. Et j’ai voulu donner la voix à ces gens-là. Je voulais aller voir le côté obscur à travers le roman noir. Libreville a un côté attirant. C’est une ville qui ne se donne pas au premier degré. Il faut aller la chercher. Depuis que je vis à Libreville, il y a des endroits que je redécouvre tous les jours. C’est une ville qui est en construction chaque jour et au-delà des personnages, Libreville apparaît dans mes romans comme un personnage.

Votre écriture est très vivante, notamment grâce à l’utilisation de mots d’argot ou des expressions bien particulières. Il faut écrire comme on parle, il faut tordre le cou à la langue, c’est ça votre vision du français ?

Le problème pour nous les écrivains nés après les indépendances, c'est que la langue française devient aujourd’hui comme notre langue maternelle. C’est un héritage que nous avons reçu. Le vrai problème, c’est que la langue française a une histoire. Lorsque vous prenez l’étymologie d’un mot, vous vous rendez compte qu’au fil des siècles, le mot a changé d’orthographe, de sens. Comment rendre compte dans le monde dans lequel on vit avec une langue qui ne reflète pas votre environnement, ni votre histoire ? Une langue qui a des odeurs gauloises qui ne sont pas africaines. Aussi, je suis obligé de la violenter un peu pour essayer de lui redonner sens. Les mots n’existent que par le sens que l’on leur donne. Voilà pourquoi j’essaie de prendre ce français parlé parce qu’en Afrique, il y a un français qu’on appelle le français parlé. Chez nous au Gabon, on appelle ça le « gabonisme ». C’est une langue un peu assez tordue, mais c’est une langue qui est parlée par la rue.

Votre dernier roman African tabloid est une fiction, mais il est quand même situé dans le temps, en 2008. Il est très ancré dans un contexte politique du moment. Il y a le président, il y a son fils à qui l’on prête l’intention de prendre le pouvoir. La réalité n’est jamais très loin.

Le plus souvent, c’est qu’il faut attendre que Pierre Péan, journaliste français, écrive un livre sur une histoire qu’il a vécue de loin. J’avais envie en tant qu’écrivain de m’interroger sur la transition de 2009 lorsque le président Bongo est décédé. Mais là encore chez moi, les thèmes que j’aborde sont souvent des prétextes. En réalité, ce que je fais à travers mes romans, c’est faire voir la société gabonaise, ses propres tares, la corruption, le népotisme.

Prenez-vous des risques quand vous écrivez sur ces sujets-là ?

Je n’ai jamais été menacé pour mes livres et je ne crains pas non plus. Je suis un écrivain. Je pense que j'ai des convictions et j’essaie de les véhiculer à travers mes livres.

Et quel regard portez-vous sur l’actualité politique aujourd’hui au Gabon ? Le président qui perd plusieurs de ses soutiens, l’opposition qui semble se renforcer ?

Disons que le président Ali Bongo a une manière un peu idéaliste et romantique de la gestion du pays. Il est certes le fils d’Omar Bongo, mais il n’a pas son charisme. En quatre ans, j’ai l’impression qu’il a tellement rassemblé de foin sous son fauteuil et il faudra peut-être un fou qui viendra pour l’allumer, parce qu’il fait preuve d’amateurisme.

Le polar de Janis Otsiemi, <i>African Tabloid, </i> est paru aux éditions Jigal.
Le polar de Janis Otsiemi, <i>African Tabloid, </i> est paru aux éditions Jigal. DR

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