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Entretien

Kanu Behl: «Agra, une famille indienne», un film pour «comprendre la répression sexuelle masculine»

Agra, ville du nord de l’Inde, est célèbre pour le Taj Mahal, joyaux d’architecture indo-islamique. Kanu Behl, réalisateur né en 1980 à Kapurthala, ne s’intéresse guère au mausolée de marbre blanc visité chaque année par plus de 6 millions de touristes. Dans Agra, une famille indienne, présenté à la Quinzaine des cinéastes à Cannes et qui vient de sortir en France, il dissèque une société indienne presque asphyxiée, mettant en lumière la face cachée de la structure patriarcale, rythmée par les frustrations et répressions sexuelles qui risquent de faire exploser une structure familiale qui manque d’espace. Entretien.

Kanu Behl, réalisateur indien du film « Agra, une famille indienne ».
Kanu Behl, réalisateur indien du film « Agra, une famille indienne ». © Siegfried Forster / RFI
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RFI : Agra raconte l’histoire d’un jeune homme très malheureux dans une ville en Inde, Agra. Qu’est-ce qui ne va pas avec Guru ?

Kanu Behl : Guru lutte à bien des égards contre sa sexualité et une sorte de répression sexuelle. Il fait de son mieux pour en parler, sincèrement, honnêtement, avec d'autres personnes dans sa maison qui peuvent sembler plus âgées que lui, mais qui sont en fait aussi refoulées sexuellement que lui. Bien que personne ne parle réellement de ses frustrations sexuelles et des frustrations sexuelles dans la maison, ces frustrations sont omniprésentes. Guru essaie de se battre, même s'il n'a pas le vocabulaire pour le dire. Il ne sait pas comment parler de sexualité de la bonne façon. Il fait des mauvaises choses, mais il essaie d'être vrai et de chercher une certaine forme d'honnêteté. Dans cette odyssée, nous voyons une sorte de défaite et de passage à l'âge adulte.

Dans leur petite maison, Guru vit avec sa mère au rez-de-chaussée et son père vit avec sa deuxième femme à l'étage. En plus, un cousin vit avec eux. Chacun se bat contre l'autre pour obtenir plus d'espace. Pourquoi est-ce si important de soulever cette question du territoire dans le film ?

Nous vivons actuellement dans une époque difficile, où les riches deviennent encore plus riches et les pauvres encore plus pauvres. Et ce n'est pas un problème propre à l'Inde. À partir du moment où nous avons un tel écart de richesse, nous avons aussi un très grand problème d'espace. Regardez dix ans en arrière, vous constatez que le nombre de personnes capables de s'offrir une maison a chuté de manière drastique et continue de chuter. Aujourd'hui, on doit lutter même pour l'espace le plus élémentaire. Je voulais placer le thème de la sexualité et de la répression sexuelle dans le contexte des espaces dans lesquels nous vivons. Je pense qu’il s’agit d'un point de vue très important qu'il fallait mettre en avant pour nous permettre de comprendre la colère et la violence que nous ressentons face à la montée de l'extrême droite à l'époque où nous vivons, afin de mieux comprendre le contexte social, politique et culturel.

Les répressions et les frustrations sexuelles sont au centre du film. Chez Guru, cette frustration sexuelle génère de la colère mais aussi beaucoup de violence contre lui-même et contre les femmes. Dans la société indienne aujourd’hui, parle-t-on librement de frustrations sexuelles et maladies mentales ?

Je dirais ce n’est pas plus un film sur la maladie mentale que sur la folie. Il est très facile de considérer Guru comme un garçon souffrant d’une maladie mentale et de dire : d'accord, il est malade, chez nous, tout va bien. Si Guru est un malade mental, alors toutes les autres personnes de cette maison sont encore plus malades mentalement que lui et n'ont pas le vocabulaire nécessaire pour comprendre pleinement leur propre répression et leur propre folie.

« Agra, une famille indienne », de Kanu Behl.
« Agra, une famille indienne », de Kanu Behl. © Les Films de l'Atalante

Depuis le mouvement #MeToo, la plupart du temps, les films mettent l'accent sur l'émancipation des femmes. Pourquoi avez-vous choisi de mettre au centre un jeune homme ?

Parce que c'est vraiment bizarre : si nous pensons vraiment que nous devons soutenir le mouvement #MeToo et que nous devons vraiment trouver une sorte d'émancipation pour les femmes, il est vraiment important de comprendre les racines d'où viennent la sexualité masculine et la répression sexuelle masculine. Je pense que c'est le seul moyen de parvenir à l'émancipation, pas seulement pour les femmes, mais pour les deux sexes, et de mettre fin à ce problème une fois pour toutes. Lorsque j'ai voulu faire un travail sur la sexualité et la répression sexuelle, étant moi-même un homme, j'ai eu l'impression que cette perspective était probablement meilleure. Et bien sûr, je pense que nous devons comprendre l'auteur de l'intérieur. Nous devons vraiment comprendre d'où vient cette répression. Nous ne pouvons pas nous contenter de les assimiler à des auteurs de crimes et de les mettre à l'écart. Cela ne résoudra le problème que temporairement. Si nous voulons vraiment en finir avec ce problème, il est préférable de le comprendre de l'intérieur, comprendre les causes profondes du problème et essayer de s'en débarrasser de manière permanente.

Il n'est pas facile de regarder votre film. Vous nous mettez dans la tête de Guru, dans une sorte permanente de chaos, de colère et de frustration. Au-delà des émotions de Guru, le but est de nous faire vivre aussi notre propre monstre en nous ?

Absolument. Toute œuvre d'art tente de refléter la société qui nous entoure. Et il y a beaucoup de « nous » autour de nous. Et si nous ne sommes pas capables de regarder certains personnages difficiles, à la marge, alors il est temps de prendre du recul et de comprendre pourquoi nous ne sommes pas capables de nous regarder nous-mêmes. Parce que, en réalité, ces personnages représentent des parties de nous-mêmes que nous ne voulons plus regarder.

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