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Portrait Libre

Ubah Farah, écrivaine somalienne et italienne, de retour de Mogadiscio

Poétesse et écrivaine hyper-sensible, Ubah Farah vit entre Bruxelles et les nombreux pays où elle est appelée pour des résidences d’écriture ou des festivals littéraires. Son récent retour à Mogadiscio, après 31 ans d’exil, l’incite à reprendre sa plume.

L'écrivaine somalienne et italienne Ubah Farah dans une conférence.
L'écrivaine somalienne et italienne Ubah Farah dans une conférence. © Archives personnelles de Ubah Farah
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D’un naturel timide, Ubah Cristina Ali Farah, s’exprime d’une voix douce. Quand les mots ne viennent pas, elle cache son visage dans ses mains et termine ses phrases par un sourire. Son hyper-sensibilité, en littérature, se traduit par un style inimitable. Chacune de ses phrases sonde les profondeurs de l’âme humaine. Exemple, tiré de son dernier roman, Un sambouk traverse la mer (Meet, 2020), lorsqu’une pêcheuse voit son mari partir pour la Résistance durant la guerre : « Il s’en alla têtu, sans même se retourner, et ce fut ainsi que ma mère souffrit de l’abandon et de la trahison : le mari épousait une autre cause, à son détriment ».

Les dates marquantes de sa vie ? « L’enfance, la guerre, la diaspora », répond-elle. Elle est née en 1973 à Vérone, en Italie, où ses parents se sont rencontrés. Son père, somalien, étudiait, et sa mère, italienne, fille de barbier et d’employée de maison, était la seule à avoir étudié dans sa famille. Elle a décidé de suivre son mari à Mogadiscio en 1976, lorsque les rêves de l’indépendance semblaient encore à portée de main.

Exfiltrée par un hélicoptère de l’armée italienne

Ubah Farah a grandi là entre son frère cadet, sa mère, professeure à l’école italienne, et son père économiste, « ballotté par des remous politiques qui font que les intellectuels comme lui se font jeter en prison », sous la dictature de Syad Barré.

La guerre a changé à jamais sa vie, comme celle de tous les Somaliens, livrés depuis 1990 à de lancinants conflits claniques, puis au terrorisme islamiste des shebabs. Elle quitte la Somalie à 18 ans avec son premier fils, un bébé de quelques mois, à bord d’un hélicoptère de l’armée italienne. D’abord réfugiée à Pécs, en Hongrie, où elle suit sa mère recrutée dans un lycée, elle regagne Vérone puis s’installe à Rome en 1997 avec Giuliano, son amour de lycée – le fils de sa professeure de biologie – qu’elle a connu à 15 ans à Mogadiscio, puis retrouvé à 19 ans.

Premier roman sur les « tanties » de l’exil

Sa seconde vie, à Rome pendant 18 ans, la voit devenir une médiatrice culturelle, très impliquée dans la vie des migrants et l’écriture, via des associations. Après une visite à son père réfugié aux Pays-Bas, à 24 ans, avec une seule lentille à l’œil, le déclic de l’écriture se produit. « Je pouvais voir de près, et je ne voyais rien en même temps. Dans cette double vue, j’ai réalisé que mon histoire, qui effrayait les gens en Italie, n’était pas si particulière, et que ce que j’avais à dire était important ».

Elle obtient en 2001 un doctorat de lettres avec une thèse sur la littérature brésilienne, et publie en 2007 son premier livre, Madre Piccola (« Mère petite »), bien reçu par la critique.

Elle y met en scène son environnement, ces « tanties » de la diaspora qui s’occupent d’enfants après la guerre, faisant le choix d’être mères sans lien biologique – comme dans toute l’Afrique des conflits. Mais surtout, elle pose cette question liée à l’exil : « Que fait-on quand a perdu toutes ses références, son environnement, ses relations et qu’on est désorienté ? La réponse : de vraies relations et se définir en racontant son histoire aux autres, qui vont vous aider à reprendre racine ».

Retour à Mogadiscio après 31 ans d’exil

Aujourd’hui, cette admiratrice de Toni Morrisson, William Faulkner et Jesmyn Ward passe son temps entre sa maison familiale à Bruxelles, où elle a suivi avec leurs deux enfants en 2013 Giuliano, lui aussi économiste, et ses nombreux voyages en Europe et en Afrique pour des conférences et résidences d’écriture. Elle s’apprête à republier Madre Piccola chez Zulma en français, et travaille à la parution d’un recueil de nouvelles, dans lequel elle évoquera son récent retour à Mogadiscio, en avril 2022.

« Je dois prendre le temps de digérer ce voyage émotionnellement », dit-elle. Elle s’est laissée entraîner dans ce retour imprévu par une amie somalienne, à partir de Nairobi, au Kenya. Après 31 ans d’absence, elle ne reconnaît rien, les immeubles ont poussé. La plage, autrefois vide, est noire de monde. « Mogadiscio est tellement peu sûre ! J’ai fait tant de choses dangereuses pour voir d’anciens lieux, comme ma maison, qui se trouve dans la zone contrôlée par les shebabs. Autrefois c’était un quartier chic et maintenant, tout est en ruines ».

Elle est tombée sur de jeunes miliciens drogués et alcoolisés. Ils l’ont traitée de « salope » malgré son voile, parce qu’elle était en mouvement dans la ville, le soir, avec son amie. Elle les a tancés en leur rappelant qu’elle avait l’âge d’être leur mère. Touché, un jeune de 20 ans s’est mis à les escorter. Ubah Farah a vécu ce voyage rempli de souvenirs comme une « conclusion, une fermeture ». Elle a ressenti le besoin de s’en laver, en plongeant dans une piscine, un soir à Nairobi.

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