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Entretien

Législatives en Inde: «Il s’agit pour Narendra Modi et la machine du BJP de continuer le travail»

L'Inde a commencé à voter ce vendredi 19 avril pour les élections législatives. Près de 970 millions d'Indiens sont appelés aux urnes pendant six semaines pour désigner les députés. Figure omniprésente, le Premier ministre nationaliste hindou Narendra Modi est presque assuré de l’emporter face à une opposition à la peine. Entretien avec Jean-Luc Racine, directeur de recherche émérite au CNRS.

Un travailleur passe devant une affiche aux couleurs de Narendra Modi, à Raipur, le 15 avril 2024.
Un travailleur passe devant une affiche aux couleurs de Narendra Modi, à Raipur, le 15 avril 2024. AFP - IDREES MOHAMMED
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RFI : Après dix ans au pouvoir, quelles sont les raisons qui incitent le Premier ministre Narendra Modi à briguer à un troisième mandat de cinq ans ?

Jean-Luc Racine : Il y a d’un côté le parcours personnel. Narendra Modi nourrit le culte de la personnalité. Son portrait est partout. Le programme électoral du BJP de 76 pages qui vient de sortir contient plus de 50 photos de Modi. Il y a évidemment son ambition personnelle et l’image très importante – celle du chef –, qui est perçue au sein du parti.

D’un autre côté, il y a une lecture propre de ce qu’est le passé, le présent, et l’avenir de l’Inde dans le contexte idéologique du nationalisme hindou. Il s’agit pour Narendra Modi et pour la machine du BJP de continuer le travail entamé, avec un discours qui se projette sur l’avenir en deux étapes. Cela consiste à dire : « Nous sommes aujourd’hui la 5e puissance mondiale. Donnez-moi un troisième mandat à l’issue duquel nous serons la 3e puissance économique mondiale. » Ce qui est possible quand on compare le taux de croissance indien avec celui du Japon et de l’Allemagne. Et l’autre horizon qui est défini est le suivant : « Nous travaillons pour que l’Inde en 2047 – c’est-à-dire lors du centenaire de l’indépendance – soit un pays développé ».

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Et du reste, depuis l’année dernière et les 75 ans de l’Inde, sous la bénédiction en quelque sorte du BJP, l’Inde est entrée dans des temps auspicieux, un concept védique mis en avant pour souligner qu’il s’agit d’une phase décisive de l’histoire de l’Inde. Il y a donc une rhétorique permanente qui joue aussi sur la place centrale de la personne de Narendra Modi.

Confiant dans sa victoire à l’issue de ces législatives, Narendra Modi a déclaré lors d’un récent meeting dans l’Assam : « En 2014, j’ai apporté de l’espoir, en 2019, de la confiance et en 2024, des garanties ». À quelles garanties fait-il référence ?

« Garanties », c’est le terme utilisé depuis plusieurs mois et mis en avant dans le titre même du programme électoral du BJP qui est sorti il y a quelques jours. Tout le programme est présenté comme étant la garantie de Modi sur l’emploi, pour les pêcheurs, pour les femmes, pour les jeunes, pour les vieux.

Mais en réalité, l’opposition souligne que des promesses n’ont pas été tenues dans le passé. Comme la promesse imprudente de doubler le revenu des agriculteurs, alors que des centaines de milliers d’agriculteurs sont descendues dans la rue il y a un an ou un an et demi et plus récemment encore, lorsque Modi a été contraint de faire marche arrière sur une réforme des prix agricoles.

L’opposition met en avant que la croissance existe, mais qu’elle n’est pas génératrice de suffisamment d’emplois, en particulier pour les jeunes qui arrivent sur le marché du travail. Et ça, c’est un vrai problème. D’ailleurs, quand on lit le programme électoral du BJP, on s’aperçoit finalement que peu de choses sont dites sur ce qu’on appelle l’hindutva, c’est-à-dire l’hindouité, le programme socio-économique prédomine dans cette campagne. L’arme de Modi, c’est de dire : « Nous travaillons pour l’Inde hindoue et sa culture, mais nous avons également mis en place des programmes socio-économiques dont beaucoup ont pu bénéficier. »

Le Premier ministre indien Narendra Modi s'exprime lors d'un meeting de campagne électorale à Meerut, en Inde, le 31 mars 2024.
Le Premier ministre indien Narendra Modi s'exprime lors d'un meeting de campagne électorale à Meerut, en Inde, le 31 mars 2024. © Anushree Fadnavis / Reuters

Le gouvernement affirme avoir sorti 250 millions de personnes de la pauvreté. Le programme fait l’impasse sur un point, que soulignent aussi bien les économistes et l’opposition, sur la façon dont les plus favorisés des Indiens continuent à s’enrichir, avec une dichotomie croissante entre une élite bien pourvue et la classe moyenne, même si le BJP cible la classe moyenne et les classes populaires.

Une véritable oligarchie s’est mise en place avec quelques figures emblématiques dont la plus notable est sans doute Gautam Adani, à la tête d’une grande entreprise qui travaille en Inde et à l’étranger sur les grandes infrastructures, et qui fait l’objet parfois de controverses, surnommées « le capitalisme de connivence » entre le pouvoir et ce que l’on peut commencer à appeler les oligarques. Cela fait partie de cette nouvelle Inde qui se dessine.

Face à un Premier ministre tout-puissant, l’opposition est handicapée par des luttes intestines. Le parti du Congrès de Rahul Gandhi a constitué une coalition avec plus d’une vingtaine de partis régionaux pour affronter le BJP. Feront-ils le poids ?

Il y a eu des problèmes dans la constitution de cette alliance qui s’est donnée comme acronyme en anglais India (Alliance inclusive pour le développement national indien). D’un côté, il y a le Congrès, une force nationale et de l’autre, essentiellement des partis d’assise régionale. Le but de la coalition serait de présenter un seul candidat d’opposition face au BJP. Il faudrait pour cela que les membres de cette alliance réussissent à se mettre d’accord pour décider qui du Congrès ou de tel ou tel parti sera le candidat dans telle ou telle circonscription. Cela a fonctionné dans certains États, mais pas à l’échelle nationale.

Le leader de l'opposition Rahul Ghandi, lors d'une conférence de presse à New Delhi, samedi 25 mars.
Le leader de l'opposition Rahul Ghandi, lors d'une conférence de presse à New Delhi, samedi 25 mars. AP - Altaf Qadri

La question dépasse toutefois le pouvoir d’une coalition, elle joue aussi sur l’image de Rahul Gandhi, qui apparaît comme le leader n°1 de l’opposition, d’autant plus qu’il est porteur d’un discours quasi quotidien pour attaquer le BJP et Narendra Modi.

Son image a un peu changé, puisqu’il faisait figure jadis de dilettante. Les deux longues marches qu’il a menées – l’une de la pointe sud de l’Inde jusqu’au Cachemire il y a environ un an et demi, et puis l’autre qu’il a terminé il y a un mois depuis l’extrême Est jusqu'à la côte ouest de l’Inde – ont un peu redoré son blason.

Son programme met en avant la justice sociale et la défense de la démocratie. Mais il reste un point d’interrogation sur sa véritable capacité à incarner la fonction et les capacités de l’alliance. Ce qui marque généralement les élections générales indiennes, c’est la possibilité pour un même électeur de voter différemment aux élections législatives de son État, pour un parti d’opposition par exemple, et de voter pour le BJP à l’élection générale pour le Parlement indien qui définira le gouvernement central. Et c’est là que se joue le différentiel entre la figure de Modi et celle de son principal opposant Rahul Gandhi.

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Autre point important : le mode de scrutin en Inde. C’est un scrutin uninominal à un tour, il suffit donc d’arriver le premier pour être élu dans une circonscription. Ce qui explique par exemple qu’en 2019, le BJP a obtenu avec 37% des voix environ 300 députés, plus que la majorité. Le Congrès, avec un peu moins de 20% des voix, avait obtenu une cinquantaine de députés. Actuellement, l’avantage est au BJP. La question est de savoir si Modi arrivera à tenir son pari ou si son pari est le fruit d’une hubris mal contrôlée.

Quand Modi a annoncé que le BJP aura 370 sièges, un signal qui renvoie à l’article 370 de la Constitution sur le statut du Cachemire, qui était une des grandes actions de Modi réélu en 2019 de supprimer les dernières marges d’autonomie du Cachemire, soit plus qu’en 2019 et en 2014. On entend même dire 400 sièges pour le BJP, alors que ce serait plutôt 400 sièges pour l’alliance autour du BJP. Même s’ils obtiennent 300 sièges, ils auront toujours la majorité.

De nombreux analystes observent un resserrement démocratique et un glissement autocratique sous le règne de Narendra Modi. Quel sera le visage de l’Inde dans les prochaines années ?

Shashi Tharoor qui est à la fois un intellectuel, un leader congressiste et un ancien haut fonctionnaire de l’ONU soulignait dans un article publié récemment dans le quotidien The Hindu, que cette élection était en réalité un scrutin décisif non seulement sur l’avenir de l’Inde, mais sur ce que serait l’Inde, en termes de démocratie, d’autoritarisme et de nature du régime. C’est finalement ce qui se joue.

Lors du premier mandat de Modi (2014-2019), on a vu le BJP dominer, mais au sein d’une coalition. Narendra Modi a attendu d’avoir la majorité absolue en 2019 pour lancer de grandes réformes inscrites à son agenda depuis très longtemps. Et donc, s’il était réélu une troisième fois, il y aurait des réformes, entre autres, des circonscriptions électorales qui permettraient, en les ajustant sur l’évolution de la population, de favoriser le Nord de l’Inde qui a gardé des taux de croissance démographique plus fort que le Sud. Or, le Nord vote beaucoup plus pro-Modi que le Sud, où l’opposition est en place. Il y a donc effectivement de grands enjeux dans cette élection de 2024.

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