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Cinéma / Colombie / Cinéma du Réel

«Tout a commencé par la fin», le cinéaste colombien Luis Ospina raconte Caliwood

Hollywood, Bollywood, Nollywood et, moins connue peut-être, Caliwood. Après le Festival de Carthagène où son film a remporté le prix du public, le Festival Cinéma du Réel rend hommage au réalisateur Luis Ospina. « Tout commence par la fin », un long documentaire choral, est présenté ce samedi 26 mars à Paris. Le réalisateur colombien raconte l’histoire d'une bande d'amis passionnés de cinéma originaires de Cali, ville du sud-ouest de la Colombie. Caliwood, c'est eux : réalisateurs, monteurs, comédiens et, au-delà, toute une génération d'artistes qui a émergé au début des années 1970, à la faveur de l'onde de choc du printemps 68 européen. Et ils ont imprimé une forte marque sur la vie culturelle de la Colombie. Hommage aux amis, hommage au cinéma.

Sur l'affiche du film, les trois silhouettes de Luis Ospina, Andrés Caicedo et Carlos Mayolo (de gauche à droite)
Sur l'affiche du film, les trois silhouettes de Luis Ospina, Andrés Caicedo et Carlos Mayolo (de gauche à droite) DR
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Un « reconstructeur de vies ». Dans un récent article, paru en mars dans la revue Arcadia, c'est ainsi que Luis Ospina se définit. Selon lui, le cinéma documentaire est un art biographique par excellence et faire un portrait est un travail de mémoire. C'est à sa propre mémoire et à celle des amis que fait appel le réalisateur pour brosser ses personnages : lui-même d'abord et ses proches, au fil des chapitres de ce long film. L'un des chapitres, celui précisément consacré à Caliwood, s'ouvre sur cette citation en hommage au cinéaste américain Jonas Mekas : « l'authentique histoire du cinéma est une histoire invisible : l'histoire d'amis qui se rassemblent et qui font cela même ce qu'ils aiment ».

Andrés Caicedo (archives photo Luis Ospina)
Andrés Caicedo (archives photo Luis Ospina) DR

Les portraits se construisent en croisant témoignages et films, des années 1960 à 2012, les propres films d'Ospina et les films de ses amis puisque le cinéma était leur oxygène à tous, qu'ils se filmaient et se photographiaient continuellement les uns les autres, pour et hors leurs oeuvres. Ils étaient aussi tout à la fois acteurs, monteurs, réalisateurs, accessoiristes et critiques de cinéma.

Deux personnages se détachent dans ce groupe composite : le brillant touche-à-tout Andrés Caicedo, instigateur du cinéclub de Cali, tout à la fois cinéaste, homme de théâtre, écrivain, qui se suicida à l'âge de 25 ans, laissant derrière lui quelques œuvres comme le roman Que viva la música, considéré par la critique comme le premier roman urbain racontant la jeunesse colombienne. Un visage d'ange et une personnalité fascinante dont le groupe d'amis eut du mal à faire le deuil. Luis Ospina avait déjà rendu hommage à Andrés Caicedo dans un précédent film, en 1986, Unos pocos buenos amigos. Autre figure majeure, le réalisateur Carlos Mayolo, lui aussi disparu prématurément en 2007, à l'âge de 60 ans, après de longues années de travail et de complicité avec Luis Ospina avec lequel il a réalisé de nombreux films. Tous les trois, Ospina, Mayolo et Caicedo fondèrent la revue de critique cinématographique Ojo al cine.

De gauche à droite : Sandro Romero (qui sera à Paris pour Caliwood), Werner Herzog, Carlos Mayolo et Luis Ospina, pendant le tournage du film « Cobra Verde » de Werner Herzog en Colombie au milieu des années 1980.
De gauche à droite : Sandro Romero (qui sera à Paris pour Caliwood), Werner Herzog, Carlos Mayolo et Luis Ospina, pendant le tournage du film « Cobra Verde » de Werner Herzog en Colombie au milieu des années 1980. DR

Luis Ospina est l'un des derniers témoins du groupe originel. « C'est à toi de faire le film [de notre histoire], lui dit l'une des compagnes de Carlos Mayolo, parce que tu es ce qui reste de tout ce qui a été ». Mais lorsqu'il commença la réalisation de ce film mémoriel, Luis Ospina apprit qu'il était gravement malade. Le documentaire s'ouvre sur sa première opération d'un cancer et son angoisse de ne pouvoir terminer le film, de ne pouvoir raconter ce qui fut, mettre en ordre de marche leurs images pour raconter une histoire dont il est l'un des derniers dépositaires. D'où le titre choisi, Tout commence par la fin, qui est aussi l'histoire d'un deuil.

« Rumba y cine »

Histoires de maladie, de suicide et de mort, mais aussi et surtout de « rumba y cine » dans une maison où tous vivaient en communauté, façon hippie, des années de très grande liberté, de fêtes et de création, abrités dans un lieu magique, la Ciudad solar, en référence à Cali, ville du soleil par excellence. Dans les années 70-80, Cali, c'est aussi la ville des cartels de la drogue. Le groupe goûte et touche à tout et pendant qu'il fait la fête, le pays se délite, racontent Ospina et son choeur. Images choc des frères Orejuela et de Pablo Escobar, de paquets de cocaïne, de déversement de défoliants sur les plantations, de corps démembrés, de violences.

Caliwood fait la fête mais rend aussi compte avec ses images des réalités sociales de la ville et de ses habitants, comme dans Cali, calido, caliscopio ou la série Cali, hier, aujourd'hui et demain. Un cinéma engagé - Carlos Mayolo fut un militant du parti communiste colombien - mais qui cherche une voie propre, loin de la « pornomiseria ». Parmi tout ce flot d'images, signalons aussi celles du photographe Fernell Franco, qui fait plusieurs apparitions dans le film d'Ospina. Images que l'on peut voir en ce moment à la Fondation Cartier dans l'exposition Cali clair-obscur.

Une partie du groupe de Cali avec, au centre, Luis Ospina et Carlos Mayolo, dans les années 1970.
Une partie du groupe de Cali avec, au centre, Luis Ospina et Carlos Mayolo, dans les années 1970. DR

Film virtuose de montage, Todo comenzó por el fín est séquencé aussi par des scènes de repas, clin d'oeil au Banquet de Platon où chaque participant, identifié comme il se doit par des images, égraine ses souvenirs... d'amitié, d'amour et de tournage. Luis Ospina, qui a commencé à faire du cinéma en 1964, juste après que Rosselini ait déclaré que le cinéma était mort, a exhumé de la « cinémathèque de l'oubli » des images qui racontent une ville, une bande d'amis auxquels le cinéma, avec son « apparente immortalité, avec son éternel présent », (re)donne vie.

► Le film de Luis Ospina est présenté en séance spéciale samedi 26 mars au Festival Cinéma du réel.    

Du mercredi 30 mars au vendredi 1er avril à 20h : Opération Caliwood, organisée par la Fondation Cartier, avec Luis Ospina, Sandro Romero Rey. Projections, lectures et rencontres.

►L'exposition Cali clair-obscur de photographies de Fernell Franco est à la Fondation Cartier jusqu'au 5 juin.

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