Accéder au contenu principal
Portrait libre

Boukary Sawadogo, parler de l'Afrique par l'image et les mots

Le professeur universitaire Boukary Sawadogo a plusieurs passions, dont une qui le guide : l’Afrique. Installé aux États-Unis depuis 2005, le Burkinabè est désormais considéré comme l’une des voix les plus résonnantes du pays sur les questions du cinéma et des études africaines, depuis le célèbre City College de New York où il enseigne. 

Boukary Sawadogo dans son bureau.
Boukary Sawadogo dans son bureau. © RFI / Michael Oliveira da Costa
Publicité

De notre correspondant à New York,

La soif de connaissance, prendre son destin en main, sans jamais oublier d’où l’on vient. Telle est la philosophie de Boukary Sawadogo. Du Burkina Faso jusqu’aux amphithéâtres de la « Grosse pomme » - du City College de New York plus précisément - sur le campus historique de Harlem, l’universitaire a su prendre des risques pour devenir l’une des figures incontournables africaines de l’enseignement supérieur du pays. Mais pour en arriver là, Sawadogo a dû traverser bien des galères, et parier sur lui-même.

Né en Côte d’Ivoire, il ne tarde pas à quitter ses parents burkinabè venus travailler dans les plantations, pour être envoyé à ses 4 ans chez ses grands-parents à Touya, un village du nord du pays. « C’est la tradition : le premier enfant doit partir pour s’habituer à la dureté de la vie, loin du cocon familial », se souvient-il. « J’y suis resté jusqu’à 13 ans. Mon grand-père, ancien tirailleur, me disait "Le travail de la terre, c’est dur. Le savoir, que l’on t’aime ou pas, on ne pourra jamais te l’enlever !" J’ai pris son conseil à la lettre. »

Le jeune Boukary est un élève brillant, et part chez sa tante à Ouihagya, où il doit aller dans la rue le soir pour étudier ses leçons, à la lumière de l’éclairage public. Il est déterminé à prendre son destin en main, et demande même à un vigile de pouvoir accéder à la salle d’étude de son lycée la nuit. Il décroche son bac brillamment, et part pour Ouagadougou y étudier l’anglais, malgré les galères du quotidien. « Je devais faire 30 kilomètres de vélo par jour, je ne comptais pas mes heures d’études, les nuits blanches. Je me mettais aux abords du Stade du 4-Août en pleine nuit pour étudier, l’éclairage était génial ! », rigole-t-il.

Après deux ans, il part à Dakar, à l’université Cheick-Anta-Diop, et y décroche licence et maîtrise. Il rentre en 2001, et là, dur retour à la réalité. « Je pensais trouver du travail rapidement, mais j’ai galéré trois ans. J’enchaine les boulots, interprète pour Amnesty International, cours d’anglais, et guide touristique », précise-t-il.

En 2004, il tente le concours de la diplomatie, mais sa tête regarde déjà vers les États-Unis. Il envoie une trentaine de demandes à des universités américaines, et en 2005, reçoit enfin une réponse positive. L’université de Northern Iowa, à Cedar Falls, lui propose de venir, et d’enseigner également le français. « Une porte d’entrée s’ouvrait, et je prends tout le monde de court en refusant de poursuivre une carrière toute tracée dans un ministère », sourit-il encore, « mais je savais que c’était la meilleure décision ».

Il traverse l’Atlantique, le choc est brutal : l’Iowa est rural, et la transition est difficile pour le jeune Burkinabè. « J’avais vendu quasiment tout ce qui m’appartenait pour venir ici, et ça a été une rude transition ! Pour moi, les États-Unis, c'étaient les clips de rap de 50 Cent [rires] ! La réalité, c'était… des champs à perte de vue ! », rigole-t-il. Il y passe deux ans, puis reçoit une bourse de doctorat en études francophones à l’université de Louisiane, à Lafayette. Cap sur le sud du pays.  

Une place au soleil dans l’ultra-compétitif milieu universitaire américain 

Sawadogo arrive dans l'État le plus francophone du pays, et décroche son doctorat en quatre ans, tout en pensant déjà à la prochaine étape. Il postule avant même sa soutenance, et reçoit une offre du…Vermont, dans le nord-est du pays, l’une des zones les moins peuplées des États-Unis.

« Je ne pouvais pas dire non, je deviens assistant dans un contexte qui est d’une concurrence folle : environ 500 personnes postulent, on passe des entretiens, on vit 24 heures sur le campus avec le recteur, les gens qui veulent vous tester, afin de les convaincre de vous recruter. C’est une expérience très, très intense, où tous vos gestes et mots sont analysés à la loupe », se rappelle-t-il.

Mais le Burkinabè ne se plait pas dans cette zone du pays, peu connue pour son dynamisme. Il décide de postuler ailleurs, et veut faire avancer sa carrière sans attendre. Il publie son premier livre, Les cinémas francophones ouest-africains (L’Harmattan) en 2013, et plusieurs de ses articles de recherches sortent dans de grandes publications universitaires. Il parle de l’Afrique, de ses cinémas, et des questions sociales liées au continent et à ses diasporas. « Toutes ces thématiques me fascinent, et je cherche donc à toujours plus apprendre, et parler de celles-ci, car elles sont en constantes évolutions et surtout, peu évoquée ici », précise-t-il.

En 2015, à force de travail, il décroche enfin un poste de prestige au City College de New York. Sawadogo passe à la vitesse supérieure, et devient professeur dans l’une des grandes institutions de l’est du pays. « J’étais au pays lorsqu’on m’a contacté pour m’offrir le poste, j’étais tellement heureux, se rappelle-t-il, mais je savais aussi qu’il fallait être à la hauteur du challenge, car après autant d’épreuves et de travail, on est attendu au tournant quand on est recruté par une telle université. »

Le milieu universitaire américain est le plus compétitif du monde, et Sawadogo sait qu’il entre dans la cour des très grands. Il s’installe à Harlem, où se situe le campus historique, et s’investit à fond dans sa nouvelle fonction. Il donne des cours sur l’histoire du cinéma africain, et un grand nombre d’étudiants s’y inscrivent. Son nom circule dans le milieu universitaire, et il est invité à de nombreuses conférences, discussions et intègre plusieurs grandes commissions, comme celle du Cuny (College universities of New York), l’école doctorale qui regroupe l’ensemble des 25 universités publiques de l’État, et qui encadre plusieurs milliers d’étudiants.

Il poursuit l’écriture d’articles sur le cinéma africain, et développe des études sur les diasporas africaines et les questions d’identité qui y sont liées. « J’ai trouvé un terrain commun entre les productions cinématographiques ou documentaires et la diaspora, mais aussi l’expression de l’identité, et je veux toujours chercher à en savoir plus sur la question. »

En 2020, il crée le premier Festival de cinéma d’animation africain à Harlem, qui rencontre un franc succès, et démarre l’écriture de son nouvel ouvrage, Africains d’Harlem : une histoire méconnue. « J’ai voulu mettre la lumière sur les migrations et les Africains qui sont une communauté importante de New York, à Harlem spécifiquement, car c’est un sujet dont on parle peu. Il y a des milliers de gens qui viennent du Sénégal, du Mali, du Burkina Faso, et qui sont installés dans ce quartier historique. Avec l’idée du livre, je propose aussi un tour à pied des lieux africains du quartier, et ça a rencontré un franc succès également ! », précise-t-il.

Sawadogo, désormais incontournable dans le milieu des études africaines et du cinéma, est invité partout dans le monde pour parler de ses sujets de prédilections. Malgré le succès, il reste simple, et n’oublie pas d’où il vient et le chemin parcouru. « Je suis heureux de parler de mon continent, et de créer du débat. Il y a tellement de sujets à couvrir, ce n’est que le début ! », conclut-il. 

NewsletterRecevez toute l'actualité internationale directement dans votre boite mail

Suivez toute l'actualité internationale en téléchargeant l'application RFI

Partager :
Page non trouvée

Le contenu auquel vous tentez d'accéder n'existe pas ou n'est plus disponible.