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Portrait libre

Tracy Campbell, guerrière des droits des Premières Nations du Canada

Fille d'une femme autochtone et d'un homme blanc, Tracy Campbell dédie sa carrière à la défense des droits des Premières Nations du Canada. Celle qui se considère comme une « guerrière pour les droits » offre la possibilité aux peuples autochtones de se défendre juridiquement face à un racisme systémique qu'elle et sa famille ont subi.

Tracy Campbell devant le logo de son cabinet de conseil nommé en l'honneur de sa famille maternelle, le 24 avril 2024 à Calgary, au Canada.
Tracy Campbell devant le logo de son cabinet de conseil nommé en l'honneur de sa famille maternelle, le 24 avril 2024 à Calgary, au Canada. © Léopold Picot / RFI
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De notre correspondant à Calgary,

Tracy Campbell a donné rendez-vous dans un café au pied de son bureau, dans la banlieue de Calgary, dans la province canadienne de l'Alberta. « Je ne pense qu'à mon travail. Je n'ai pas de passe-temps. Dès le matin, je lis sans cesse des articles sur la dernière décision de la Cour suprême ou sur un litige concernant les ressources naturelles », s'amuse la juriste de 61 ans, sourire en coin.

Son travail ? Accompagner les peuples autochtones du Canada à défendre leurs droits, notamment face aux aspirations des entreprises qui souhaitent avoir une activité sur leurs terres. Des aspirations qui trouvent leur source dans un racisme systémique global, que Tracy a vécu. « Mon père était blanc, ma mère issue d'une Première Nation. Il a toujours voulu nous élever comme des Blancs, ma mère incluse. Il voulait qu'elle soit une dame blanche convenable : elle a été obligée de tout changer, de sa manière de parler à sa manière de manger, de vivre », raconte Tracy.

Elle doit aussi en partie à son père sa politisation, car ils parlaient beaucoup politique à table. Mais elle admet avoir pris beaucoup de temps, même après sa mort en 1997, à réconcilier l'amour qu'il lui portait et la perception qu'il avait de la culture autochtone. Pour la juriste, la vision de son père est loin d'être isolée : « Si l'on replace cela dans le contexte canadien, le Canada croyait vraiment qu'il faisait ce qu'il fallait, en essayant de transformer les peuples autochtones en peuples non-autochtone, et cet effort se poursuit encore aujourd'hui. » 

L'héritage au cœur de l'action

C'est l'expérience de sa tante maternelle qui l'a poussée à se spécialiser dans le principe juridique de consultation des peuples autochtones, lors de ses études, en l'utilisant comme étude de cas. Elle était employée dans une entreprise spécialisée dans l'exploitation pétrolière en Colombie-Britannique. « Ils lui ont demandé d'aller régler une question litigieuse d'exploitation avec une Première Nation en mode : " Vous êtes une Indienne, allez parler à ces Indiens et régler le problème. " Sauf que ce cas était symptomatique de la méconnaissance des droits des traités », regrette Tracy.

Les traités autochtones reconnaissent une réserve pour les peuples, mais aussi le droit de prélever, de chasser, de cueillir sur un territoire bien plus large, autour de la réserve. C'est là que l'entreprise s'est trompée : « Elle essayait de forer un puit à environ 250 km de la réserve la plus proche et elle pensait que c'était bon, car il n'était pas situé dans une réserve et pour eux, les réserves sont l'endroit où les droits issus de traités se concrétisent. Ils n'ont pas voulu prendre en compte qu'une réserve est l'endroit où les peuples autochtones vivent, mais qu'ils peuvent récolter en dehors de la réserve, sur l'ensemble du territoire visé par le traité. »

Faire appliquer le droit

Cette protection juridique date pourtant de la colonisation. « Les Blancs ont signé ces traités au début de la colonisation, car ils étaient en infériorité numérique face aux peuples autochtones. Mais lorsque la population des Blancs a dépassé les métis, Inuits et Premières Nations, ils ont commencé à passer outre », relate Tracy Campbell. Ignorés pendant des décennies, les traités ont aujourd'hui une valeur juridique majeure grâce à leur reconnaissance dans la Constitution de 1982.

Parmi ces droits, celui de devoir consulter les peuples autochtones pour toute activité susceptible d'avoir un impact sur leur territoire. « Dans un devoir de consultation des peuples autochtones, le gouvernement est accompagné par des experts juridiques, les entreprises aussi, mais pas toujours les peuples autochtones », regrette-t-elle. Tracy créé donc en 2008 un cabinet de conseil pour faire respecter les traités : Calliou Group, du nom de sa famille maternelle.

Son travail mêle énormément de domaines d'expertises et c'est ce qui fait sa richesse. « Il faut une expertise en matière de réglementation, en matière d'environnement et en matière de droits ancestraux et de droits issus de traités. Je dois garder un œil sur le prix du pétrole et de l'uranium, je peux commenter des projets forestiers ou dire comment se déroule une exploitation minière à ciel ouvert. C'est une fierté », affirme Tracy.

Un combat sans fin

Sur sa page LinkedIn, Tracy Campbell se définit comme une « guerrière des droits ». Elle admet, tout sourire, être en « état de rage constante » face au racisme systémique subit par les peuples autochtones — un héritage de ses ancêtres Cree, ironise-t-elle. Mais elle ne perd pas sa clairvoyance. « Je le vois, quand je m'assois à la table des négociations, que je suis haïe par les entreprises ou les politiques. C'est mon travail, même si le fait d'être dans cette adversité en continu n'est pas agréable tous les jours », admet Tracy.

Le gouvernement Trudeau ? Elle a failli y croire à son arrivée en 2015, avant de vite déchanter. « Il est Canadien, il dirige un gouvernement canadien, basé sur la colonisation. Ils ont le pouvoir de protéger les droits issus des traités, mais pas la volonté politique. J'apprécie le Premier ministre et son gouvernement pour d'autres choses, mais lorsqu'il s'agit de la protection des droits des populations autochtones, il est comme tout le monde », affirme la juriste.

Tracy Campbell ne voit pas de fin à sa lutte, car pour elle, le racisme, comme la misogynie ou l'homophobie existera toujours. Elle espère surtout que les nouvelles générations auront les clés pour les combattre : « J'ai une fille qui fait des films sur les pensionnats autochtones, un garçon historien. Certaines facultés ont mis en place des cursus universitaires pour étudier le droit des peuples autochtones, c'est déjà ça ». Elle ne ferme d'ailleurs pas la porte à enseigner, un jour, le droit des traités.

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