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Entretien

Génocide des Tutsis au Rwanda: «Ce sont des procès hors norme, extrêmement complexes à organiser»

Au sein du Parquet national antiterroriste en France, le pôle de lutte contre les crimes contre l'humanité et les délits de crimes de guerre est en charge des dossiers semblables à celui de Sosthène Munyemana, dont la comparution a débuté mardi devant la cour d'assises de Paris. Cet ancien médecin rwandais est poursuivi pour génocide et crimes contre l’humanité, accusé d'avoir participé aux massacres en 1994. Sophie Havard est première vice-procureure et cheffe de ce pôle.

A l'intérieur du Mémorial du génocide de Kigali, le 5 avril 2014.
A l'intérieur du Mémorial du génocide de Kigali, le 5 avril 2014. REUTERS/Noor Khamis
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RFI : alors que seules trois personnes ont été condamnées définitivement près de 20 ans après le premier procès en France, où en sont les procédures concernant le génocide au Rwanda ?

Sophie Havard : Pour le Rwanda, nous avons encore une quarantaine de procédures. Nous avons eu deux mises en examen et des placements en détention provisoire en juillet et en septembre de deux ressortissants rwandais dans des procédures différentes. Entre 2011 et 2019, nous avons pu juger deux affaires, en première instance et en appel. Mais depuis la fin de l'année 2021, on constate véritablement une accélération dans l'effort de jugement puisque ce sont quatre procès qui se sont tenus. Trois qui concernaient le génocide des Tutsis au Rwanda en 1994, et un qui concernait les crimes commis au Liberia, également en 1994.

Vous le savez, ce sont des procès hors norme, extrêmement complexes à organiser. Vous avez un nombre exceptionnel de témoins, d'experts et de parties civiles qui sont amenés à témoigner devant la cour. Aujourd'hui, on peut dire que la France est un pays qui juge régulièrement des crimes internationaux et nous pouvons nous en réjouir.  

Sosthène Munyemana est arrivé en France fin 1994. La plainte contre lui date de 1995. Il est jugé 28 ans plus tard. Au-delà de son cas personnel, pourquoi ces mis en cause peuvent vivre aussi longtemps en France sans être inquiétés ?

Il faut parfois du temps pour identifier les auteurs des faits, qui sont susceptibles de faire barrage à leur identification. Et puis il y a toute la complexité des enquêtes. Mais la question des délais d'enquête et du jugement est évidemment cruciale. Et elle se pose avec de plus en plus d'acuité dans ces procédures puisque les faits se sont déroulés il y a presque 30 ans. À défaut de moyen suffisant pour tout mener de front, nous nous attachons, depuis la création du Parquet national antiterroriste, à mener à bien les procédures pour lesquelles une procédure de jugement pourra être rendue. Il est extrêmement difficile de hiérarchiser, de prioriser l'insoutenable auquel nous devons faire face dans ces procédures qui concernent des crimes internationaux, mais nous devons faire des choix. L'un des facteurs principaux de priorisation est le fait qu'une personne soit placée en détention provisoire.

Il s'agit de crimes lointains, à la fois dans l'espace et le temps. Quels sont vos moyens d'investigation et quelle peut être la fiabilité des éléments de preuve ?

Nous travaillons avec des enquêteurs spécialisés de l'Office central de lutte contre les crimes contre l'humanité. Ces enquêteurs effectuent des missions dans le cadre de la coopération qu'on a pu mettre en place au Rwanda, généralement deux à trois missions par an, ce qui permet d'entendre de très nombreux témoins sur place. On a des difficultés qui s'additionnent : l'ancienneté des faits qui est susceptible d'entraîner la disparition d'un certain nombre de preuves, de preuves testimoniales, notamment avec le décès de personnes. Il y a également l'éloignement, qui ne favorise pas l'accès aux scènes de crime, mais aussi l'instabilité géopolitique, voire les situations de guerre qui rendent extrêmement complexes la préservation des preuves. Enfin, une autre difficulté tient dans la dissimulation ou l'opposition de certains États qui empêchent toute coopération.

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