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Entretien

Rwanda, Burundi, RDC: ce que pense l'envoyé spécial américain

L’envoyé spécial américain pour les Grands Lacs poursuit sa tournée dans la région. Après le Rwanda et l’est de la République démocratique du Congo, Tom Perriello est de passage à Kinshasa avant de se rendre au Burundi. Entretien.

Tom Perriello, l'envoyé spécial des Etats-Unis pour les Grands Lacs.
Tom Perriello, l'envoyé spécial des Etats-Unis pour les Grands Lacs. Crédit: Flickr/Center for American Progress Action Fund
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RFI : Le président rwandais Paul Kagame est officiellement candidat. Votre pays s’est dit déçu de cette candidature mais le commentaire du département d’Etat semblait moins fort que ceux qu’on avait pu entendre avant cette annonce. Qu’en est-il ?

Tom Perriello : En fait, les Etats-Unis se sont dits « profondément déçus » et publiquement par sa décision de modifier la limite constitutionnelle du nombre de mandats, mais aussi de la manière dont le référendum constitutionnel a eu lieu juste avant Noël. Et si vous avez suivi le fil Twitter du président Kagame, vous aurez noté que ce message a retenu l’attention et a reçu une réponse. J’étais à Kigali ces derniers jours. Et nous prenons au sérieux les changements constitutionnels et des règles pour maintenir un homme au pouvoir. Mais aussi le problème de la restriction de l’espace politique.

RFI : Est-ce que vous considérez la possibilité d’imposer des sanctions ?

Nous avons beaucoup de discussions à Washington et dans la région sur les conséquences à tirer suite à des décisions dans la région relatives à la limite du nombre de mandats ou sur l’usage de la répression, et c’est également un sujet ici en RDC. Nous allons faire le tour des options pour régler cette situation comme nous allons continuer de féliciter ce pays pour les aspects positifs et notamment la contribution aux opérations de maintien de la paix et ses efforts dans la lutte contre l’extrême pauvreté. Nous avons en tout cas exprimé publiquement notre inquiétude à ce propos, comme à propos des informations crédibles faisant état de recrutement de combattants dans les camps de réfugiés, ce qui est évidemment interdit par les lois internationales.

RFI : Pour le M23, les Etats-Unis avaient décidé de prendre des sanctions pour protester contre le soutien à une rébellion étrangère. Quel devrait être, selon vous, la prochaine étape dans ce cas de figure ?

Le Rwanda est parfaitement au courant de la volonté du gouvernement américain d’imposer des mesures dans les situations similaires à celles du M23. Nous avons exprimé un certain nombre d’inquiétudes publiquement et en privé à propos de la crise au Burundi. J’ai moi-même rencontré certains des anciens enfants-soldats burundais arrêtés ici en RDC. Et nous allons continuer de garder l’œil sur cette situation et continuer de signaler à tous, amis comme ennemis, les activités qui n’aident pas à la résolution de la crise. Mais le plus important, c’est de parvenir à accélérer la reprise du dialogue voulu par la région. Nous sommes contents de voir un nouvel élan du côté de la communauté des Etats d’Afrique de l’Est et même un soutien du Rwanda pour ce processus, mais les nouvelles autorités en Tanzanie semblent sérieuses dans leur intention de tenir ces pourparlers. Parce que nous continuons de penser que la solution au Burundi, c’est de réunir les acteurs pour un dialogue crédible.

RFI : Avez-vous évoqué cette question du dialogue avec le président burundais ?

Je pars ensuite au Burundi. Mais nous sommes restés en contact étroit avec le gouvernement du Burundi. Le côté positif, c’est que les discussions aujourd’hui portent plus sur la forme du dialogue et la date pour la prochaine rencontre que sur la nécessité du dialogue. Le gouvernement a accepté qu’un dialogue à l’extérieur du Burundi est nécessaire. Il a fait part de ses inquiétudes, certaines sont compréhensibles, d’autres un peu moins sur la manière dont les choses doivent se passer. Nous avons dit à plusieurs reprises à l’Ouganda comme à la communauté des Etats de l’Afrique de l’Est que la tenue de ce dialogue était urgente. Parce que de notre point de vue, le temps n’est pas l’allié de la paix au Burundi.

RFI : Le Burundi continue d’envoyer des soldats et des policiers dans les opérations de maintien de la paix. Cela signifie que les Nations unies, l’Union européenne et l’Union africaine continuent d’appuyer financièrement le gouvernement. Or, cet argent pourrait servir à la répression.

Ce que nous comprenons de l’article 96 [des accords de Cotonou, NDLR], c’est que l’Union européenne ne pourra plus financer le gouvernement du Burundi. Maintenant, c’est à l’UE et l’UA de voir ce qu’il est nécessaire de faire, parce que l’Amisom est une mission importante. Mais nous avons effectivement entendu des inquiétudes exprimées quant à la présence de ces contingents là-bas.

RFI : Est-ce que vous pensez que c’est réellement possible d’avoir une mission d’enquête indépendante, notamment sur la question des fosses communes et des viols ?

Nous pensons vraiment qu’une enquête neutre est nécessaire, qu’elle soit menée par l’UA ou par d’autres. Mais que cela devrait être couplé avec le fait de rendre des comptes que ce soit pour les crimes commis par un camp ou un autre. Il est très clair que des actes terribles ont été posés par le gouvernement, comme par l’opposition et que cela ne doit pas rester sans suite. L’absence de médias indépendants et de la société civile, à cause des fermetures des médias, des restrictions imposées par le gouvernement, est très inquiétante. Et les efforts du gouvernement pour empêcher les experts de l’UA de se déployer comme ils le devraient sur le terrain… Comme je l’ai dit au gouvernement, quand vous empêchez les gens de voir ce qui se passe sur le terrain, vous ne devriez pas être surpris que les gens se posent des questions sur ce que vous craignez qu’ils découvrent. Donc pour nous, les enquêtes, les poursuites judiciaires contre toutes les parties au conflit et la réouverture des médias sont une urgence.

RFI : A propos de la République démocratique du Congo, vous revenez d’une tournée dans l’est. A Miriki, les casques bleus sud-africains, l’armée et la police sont accusés de n’avoir rien fait pour empêcher un massacre. Est-ce que cela vous inquiète ?

Je crois que c’est toujours important d’enquêter sur ces incidents tragiques. Et ce que je crois comprendre, c’est que la Monusco est en train de le faire. Nous sommes inquiets de la montée des tensions ethniques dans certaines zones de l’est, des tensions qui sont dues en partie aux offensives contre les FDLR et d’autres groupes. Nous pensons que c’est important de connaître les faits et de savoir si certaines choses ont été mal faites. Pour le côté position, il y a des progrès qui semblent avoir lieu sur le plan des opérations conjointes. Je pense que plus les missions de la Monusco, la coopération seront claires, moins il y aura de place pour l’ambigüité sur ce que les casques bleus sont censés faire pour protéger les civils et les actions qu’ils peuvent mener. Mais nous savons que c’est en train d’être examiné.

RFI : Qu’est-ce qui doit être fait selon vous en ce qui concerne le dialogue convoqué par Joseph Kabila et, plus important encore, pour que les élections aient lieu cette année en RDC ?

Je crois qu’avant toute chose, il faut que l’espace d’expression pour les citoyens soit protégé et que le gouvernement a une obligation particulière de permettre aux citoyens de s’exprimer, mais également de le faire sans menaces et intimidations. Nous avons trop souvent vu dans la région que quand les gouvernements essaient de criminaliser leur opposition et de la réprimer fortement, cela est non seulement mauvais pour la liberté d’expression mais pour le gouvernement lui-même. Donc notre message aujourd’hui c’est que, peu importe le processus, que ce soit le dialogue ou d’autres moyens, il faut que cela se déroule dans un environnement sans intimidation. Quand une opposition ne peut pas s’exprimer sans crainte ou par des voies légales, cela devient vraisemblable qu’ils essaient de s’exprimer par d’autres moyens. C’est pourquoi c’est important que le gouvernement, non seulement ne viole pas les droits de ses citoyens, mais de s’assurer de manière proactive qu’un espace d’expression existe et que les droits de l’homme puissent prospérer.

RFI : On entend de plus en plus qu’il pourrait être difficile de tenir les élections dans les délais prévus par la Constitution, notamment à cause de la révision du fichier électoral qui a pris du retard. Qu’en pensez-vous ?

Je pense qu’il y a un désaccord sur le sujet. L’opposition croit qu’il existe des sociétés crédibles qui pourraient mener ce travail en six mois. C’est aussi ce qu’on entendait du côté de la Céni [Commission électorale nationale indépendante, NDLR], même si la Céni donne aujourd’hui une autre version à ce propos. Ce que nous croyons, c’est que l’un des moyens de faire baisser la tension aujourd’hui, ce serait de commercer dès maintenant à enrôler les électeurs vu que tout le monde pense aujourd’hui que c’est l’une des opérations qui pourrait prendre le plus de temps.

Mais malheureusement, il n’existe pas aujourd’hui suffisamment de confiance entre l’opposition et la majorité, ce qui empêche toute prise de décision à ce sujet. Nous pensons que c’est primordial de protéger la Constitution. Je pense que certains ont le sentiment que le dialogue en RDC, c’est une tradition qui remonte à l’époque de Mobutu.

Mais le dialogue national, c’était après 40 ans de dictature. Et quand les gens se sont assis à Suncity, c’était après une guerre civile. Et je pense que parfois les gens ne donnent pas assez de crédit à la RDC. C’est une démocratie constitutionnelle. Ce serait vraiment malheureux que les gens remettent en cause tous les progrès accomplis et balaient d’un revers de la main le point auquel les Congolais sont attachés à leur Constitution.

C’est ce que j’entends le plus quand je voyage à l’intérieur du pays, qu’il y avait une raison pour laquelle les gens ont fini par s’entendre et rédiger cette Constitution : ils voulaient mettre toutes ces crises derrière eux, cette époque où tout se décidait par la guerre et les pourparlers de paix, et c’est pourquoi je crois qu’on sent une résistance au sein de la population à l’idée de se démarquer du cadre constitutionnel.

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